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Crise algérienne : le pays d’Abdelaziz Bouteflika, mauvais élève de la diversification économique ?

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La chute libre des prix du pétrole entamée en 2014 a entraîné une détérioration des perspectives économiques de l’Algérie, dont l’or noir représente une large part des exportations. Ce qui est présenté comme une fatalité par les autorités du pays aurait pourtant pu être minimisé, à défaut d’être évité. Comment ? Par des investissements ciblés dans des secteurs d’avenir.  

Le 4 octobre en Conseil des ministres, le gouvernement algérien a présenté un projet de loi de finances pour l’année 2017. Placé sous le signe de l’austérité pour la troisième année consécutive, celui-ci vise à réduire de moitié le déficit budgétaire, calculé à 15 % du PIB pour 2016 contre 8% pour 2017. Un serrage de ceinture synonyme de réductions drastiques des dépenses publiques et de hausse des prix des produits de base. Comment expliquer ces perspectives si peu réjouissantes ? La réponse est, bien entendu, à aller chercher du côté des prix du baril de pétrole. 

Les exportations d’hydrocarbures représentent 95 % des exportations totales en Algérie. Or, le baril est passé de 100 dollars en 2014 à 59 dollars en 2015, après être descendu momentanément sous la barre des 30 dollars. Une chute en forme de désastre économique pour un pays aussi pétro-dépendant que l’Algérie. Les revenus tirés de l’or noir ont dévissé de 70% depuis l’été 2014. En 2015, la croissance a sensiblement ralenti, redescendant à 2,9 % sous l’effet de cette baisse, et le déficit budgétaire s’est établi à -15,9 % du PIB. Malgré une politique monétaire restrictive, l’inflation a atteint 4,8 % et le dinar a baissé de 15% en un an par rapport à l’euro. Des réformes sont entreprises, mais le gouvernement, faute de les avoir anticipées, se trouve aujourd’hui acculé, contraint à la réaction désespérée plutôt que maitre de ses actions. 

« Pour redresser ses finances, l’Algérie a besoin d’un baril supérieur à 80 dollars », avance Alexandre Kateb, économiste chez Tell Group. En attendant, dans le secteur, tous les voyants ont viré au rouge : la production décroit, la consommation nationale flambe et la part réservée aux exportations recule. Les experts estiment que si les tendances actuelles devaient se prolonger, la Sonatrach, la compagnie d’extraction nationale, n’aurait plus rien à exporter d’ici 2025. Un scénario catastrophe pour le pays d’Abdelaziz Bouteflika, d’autant plus que les 750 milliards de dollars générés par les exportations de pétrole et de gaz entre 1999 et 2014 n’ont pas, ou très peu, été investis dans le développement d’autres pans de l’économie : cette manne a surtout servi à acheter la paix sociale en finançant des subventions.

Rattrapé par sa mauvaise gestion, le gouvernement algérien est aujourd’hui condamné aux économies de bout de chandelle, après des années de dépenses fastes. Un manque de vision qui lui vaut de ployer sous les reproches. Le Front des forces socialistes (FFS) a immédiatement réagi à l’annonce du nouveau budget, le qualifiant d’ « antinational et antisocial ». Avec ses 12,7% de chômage – qui touche massivement les jeunes (29,9% chez les moins de 25 ans) – et un secteur formel dominé par les fonctionnaires et les employés des entreprises publiques, l’Algérie se trouve dans une  position délicate, et ses dirigeants semblent avoir de plus en plus de mal à faire illusion auprès de leurs administrés, qui n’hésitent plus à descendre dans la rue – les protestations actuelles contre la réforme des retraites le montrent.  

« L’augmentation du mécontentement social vis-à-vis des coupes budgétaires, de l’augmentation des taxes et du taux de chômage élevé chez les jeunes pose un risque », mettait en garde la Banque mondiale dans son dernier rapport annuel. Une grogne sociale qui pourrait écorner l’image d’un pays déjà en souffrance. Abdelaziz Bouteflika a multiplié les initiatives pour améliorer le climat des affaires et les appels du pied aux investisseurs étrangers, comme le débat sur l’investissement en Algérie, organisé à New York par le forum d’affaires américain Business Council for international understanding, mais ces mesures sont essentiellement cosmétiques et peu fécondes en résultats. Des réformes simples concernant la protection de la propriété intellectuelle et l’investissement direct étranger (notamment la règle dite des 51- 49 %, qui plafonne à 49 % la part de participation des investisseurs étrangers dans des entreprises de droit algérien) ne sont toujours pas prises, et plombent l’attrait du pays. 

L’idée que le marasme algérien n’est pas uniquement imputable à la volatilité des cours du baril est largement reprise par l’opposition, selon laquelle cette crise aurait pu être maitrisée avec un minimum de bon sens politique. Pour Ali Benflis, président du parti d’opposition Talaie El Hourriyet, l’Algérie « vit une crise politique sans précédent. Cette crise n’est pas fortuite ; cette crise n’est pas sortie du néant ; cette crise n’est pas conjoncturelle et donc aisément réversible. Cette crise est l’une des manifestations les plus visibles d’un système politique arrivé en bout de parcours »

Si le régime a amorcé la sortie d’une politique de subventions inefficace, il en faudra bien plus pour renflouer les caisses de l’Etat. C’est à un aggiornamento structurel majeur que doit s’atteler l’Algérie, réservant une plus grande place au secteur, à l’initiative et à l’investissement privés au détriment du pétrole et des sociétés publiques. Un vœu pieux jusqu’à présent, faute de réel volontarisme. Ali Benflis dénonce ainsi « le manque de volonté politique de rompre avec une économie de rente, les mauvais choix économiques, la mal- gouvernance, la corruption et l’absence de contrôle, le gaspillage et le mauvais usage de l’aisance financière qui aurait permis de bâtir une économie diversifiée à forte croissance ». La crise pétrolière, en ce sens, n’a fait que révéler au grand jour un dérèglement profond de la gestion du pays.

Une logique de l’entêtement également pointée du doigt par le journaliste et commentateur Hassan Haddouche : « Tout se passe comme si les autorités algériennes étaient tétanisées par les résultats de la politique appliquée dans ce domaine depuis 15 ans et qu’elles préféraient tenter d’en corriger les effets dans la plus grande discrétion et de façon un peu honteuse. Mais comment, dans ces conditions, assurer « l’information régulière des citoyens sur les difficultés et les enjeux, ainsi que sur la démarche économique mise en œuvre, afin de rallier leur adhésion en cette période cruciale que traverse le pays » comme le réclame le Président Bouteflika lui-même ? » Délicat en effet. 

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