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Turquie : abandon du projet de loi sur le viol des mineurs

La rue aura finalement eu raison du projet de loi porté par l’AKP (parti au pouvoir en Turquie), et voté en première lecture, prévoyait que les hommes accusés d’agression sexuelle sur mineurs ne soient, dans certains cas, pas poursuivis s’ils épousent leurs victimes. L’annonce du retrait du texte a été faite par le Premier ministre Binali Yildirim, quelques heures après la prise de parole publique du président Recep Tayyip Erdogan lundi soir. Celui-ci a alors appelé son gouvernement à « régler ce problème dans un esprit de large consensus en prenant en compte les critiques et les recommandations issues des différentes composantes de la société ».

Selon le Ministre, le retrait du texte vise aussi « à donner aux partis d’opposition le temps nécessaire pour qu’ils élaborent leurs propositions ». Et l’opposition fut féroce : cette annonce fait écho à un week-end agité, lors duquel des milliers de femmes ont manifesté à travers la Turquie pour protester contre cette réforme. Sur Twitter, le mot-dièse #TecavüzMesrulastirilamaz (#OnNePeutPasLegitimerLeViol) était vendredi parmi les plus populaires dans le pays. Nombre d’organisations de défense des droits des enfants craignaient que ce texte encourage les agressions sexuelles sur mineurs en permettant aux agresseurs de faire pression sur les familles pour épouser la victime et échapper à toute poursuite.

Cependant, la ligne de défense du Ministre de la justice turc, Adalet Bakanlığı, était que cette proposition de loi visait, au contraire, à protéger les enfants : « En réalité, cette disposition ne devra s’appliquer qu’aux personnes mariées religieusement au moment des faits, mais qui, du fait de leur jeune âge, n’ont pas pu se marier officiellement. D’autre part, l’infraction d’atteinte sexuelle sur mineur devra avoir été commise en l’absence de violence, de menace ou d’abus d’autorité ». Selon lui, ce texte viserait donc à protéger les femmes qui ont épousé religieusement et non civilement un homme alors qu’elles étaient mineures. Cependant, le mariage islamique ne possède aucune valeur juridique en Turquie et n’est autorisé qu’une fois que l’union civile a été contractée.

En Turquie, l’âge minimum légal pour se marier est de 17 ans, avec l’autorisation des parents. La loi autorise le mariage dès 16 ans dans certaines « circonstances exceptionnelles », avec l’aval d’un juge. Du fait de l’écart d’âge, si le mari est majeur, il risque en effet aujourd’hui la prison. Lorsqu’un enfant naît de cette union civilement non officielle, le médecin a le devoir de le notifier à la justice. Dans un pays où l’on compte aujourd’hui quelques 4 000 procédures judiciaires ouvertes, cette loi viserait en somme à trouver une solution de justice pour les mariages précoces. Une perspective qui ne ravit pas non plus les femmes turques. Parmi elles, la vice-présidente est la fille cadette du président Erdogan, avaient exprimé leur inquiétude : « Comment la volonté propre d’une jeune fille peut-elle être identifiée ? », s’était-elle interrogée.

La presse avait elle aussi quasi-unanimement condamné une initiative « médiévale ». Le quotidien kémaliste SÖZCÜ dénonçait le caractère « rétrograde » et « misogyne » de la politique familiale du gouvernement. « Les jeunes filles qui ne voulaient pas de leur mari, qui ignorent encore tout de la vie de couple et qui ont été poussées au mariage par leur famille, doivent impérativement être protégées ». Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) s’était joint aux opposants au projet, faisant état de sa « profonde préoccupation » au sujet du projet de loi initial qui « affaiblirait la capacité de la Turquie à lutter contre les agressions sexuelles et les mariages précoces ».

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