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Droits de l’homme, travail forcé : les ambitieuses réformes du Qatar

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Les semaines se suivent et tendent à se ressembler de plus en plus à Doha et ses environs. Plus de deux mois après le début de la dénommée « Crise du Golfe » qui place le Qatar sous embargo de ses voisins (l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn et l’Egypte), le petit émirat subit les événements sans vraiment vaciller. La solidité de son économie, ses nombreuses réserves à l’étranger et ses soutiens diplomatiques (celui de la Turquie en premier lieu) permettent au Qatar de l’émir  Tamim Ben Hamad Al-Thani de poursuivre son objectif numéro : la bonne tenue de « sa » Coupe du monde de football prévue dans un peu plus de 4 ans.

 

La fin de l’esclavage moderne ?

Pour le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL), cet événement est plus qu’un enjeu majeur qui engage près de 200 milliards de dollars d’investissements publics : c’est une occasion unique de faire refléter son émergence et son importance dans le paysage diplomatique et économique mondial. Pour y parvenir pleinement, elle doit encore fournir des efforts en matière de droits de l’homme. Le « Kafala », est au cœur des enjeux. Pour rappel, il oblige tout travailleur étranger à avoir un « parrain » local (entreprise ou individu). Pour changer de travail ou quitter le pays, le travailleur doit obtenir son autorisation, ce qui s’apparente sans nul doute à de l’esclavage moderne.

Ce système a été officiellement aboli le 13 décembre 2016 par le biais d’une réforme du travail. Un soulagement pour les 2,1 millions d’étrangers, dont une majorité de migrants (travailleurs forcés) issus de l’Asie du Sud-Est et travaillant sur les chantiers de la Coupe du monde ? Pas totalement car, si le visa de sortie permettant de quitter le pays n’est plus nécessaire, les travailleurs doivent toujours obtenir la permission de leur employeur pour changer de travail ou quitter le territoire. En cas de litige – et c’est finalement la grande nouveauté -, une commission d’appel permet aux expatriés de faire valoir ses droits. Si cette réforme reste insuffisante aux yeux des ONG, le gouvernement qatari fait preuve d’une ouverture jamais aperçue jusqu’alors dans les monarchies du Golfe.

 

Une nouvelle opportunité pour les résidents

Le 2 août dernier, une autre étape positive a été franchie au bénéfice des travailleurs et des citoyens. L’émirat a, en effet, créé un statut de « résident permanent » pour trois catégories de personnes. Désormais, les enfants nés de mères qataries mariées à des étrangers, ceux « ayant rendu service au Qatar » et ceux « ayant des compétences pouvant bénéficier au pays » bénéficieront des mêmes privilèges que les Qataris (gratuité des services publics, des soins et de l’éducation). Un « résident permanent » n’a également plus besoin d’un sponsor pour acquérir un bien immobilier ou ouvrir une entreprise. Cette « vraie » et nouvelle réforme – également inédite dans le Golfe – ne concerne que quelques milliers de personnes. Mais elle ouvre de nouvelles perspectives, non seulement pour les travailleurs étrangers parfois réticents à se plier aux règles du droit du travail qatari, mais également pour les enfants binationaux nés de mère qatarie qui ne pouvaient pas jusqu’ici jouir de leurs droits. Certes, comme le précise Human Rights Watch, cela ne règle pas les problèmes d’inégalités et de discriminations faites aux femmes. Ceci étant, le statut de « résident permanent » a le mérite d’offrir à ces binationaux un quotidien moins contraignant.

 

Cheikha Moza, la moderniste

Plus récemment, l’ouverture d’un Musée de l’Esclavage et l’histoire du Qatar témoigne d’une volonté d’ouverture rare dans la région du Golfe.  Salué par le Monde dans sa liste d’articles thématiques « Le Golfe, au-delà du pétrole », le quotidien a ainsi fait le point sur un musée de l’esclavage qui « s’affranchit des tabous ». « Les problématiques contemporaines ne sont pas le fort des musées du Golfe. Les plus anciens (…) comme les plus récents (…) tendent à ignorer les réalités économiques et sociales de ces pays », explique le quotidien en guise d’ouverture.

Outre une rétrospective antique sur l’esclavage dans les contrées, une seconde partie est exclusivement consacrée au Qatar et fait office de mea culpa. « Beaucoup d’ouvriers du secteur de la construction, dans les régions du monde en voie d’industrialisation rapide, notamment le Golfe, sont considérés comme des esclaves contractuels », peut-on lire dans la dernière salle, nous raconte le Monde. Le musée s’élevant d’ailleurs contre les abus de la Kabala. Dans une région plutôt habituée à la répression, cette autocritique de Doha se démarque étonnamment de ses voisins.

L’ouverture de ce musée aurait été, selon le Monde, motivée par Cheikha Moza, la mère de l’émir. Audacieuse et moderne, cette dernière pilote la Qatar Foundation, dédiée à l’éducation, aux sciences et au développement communautaire. Cheikha Moza a déjà plusieurs réussites à son actif telles que la Cité de l’Éducation, un quartier de Doha réunissant des universités et de grandes écoles occidentales comme Georgetown ou HEC, ou la réhabilitation du quartier de Msheireb.

Avec l’émir Tamim, elle semble s’imposer petit à petit comme une figure de la modernisation du Qatar. Et même si le pays agit certainement sous la pression de la Coupe du monde à venir, la décision de Doha de mettre fin à la Kafala et de faire son autocritique est, incontestablement, un solide pas en avant.

 

Les Droits de l’Homme dans le Golfe : une problématique ancienne

Dans le Golfe persique, le sujet des Droits de l’Homme a toujours été problématique. Entre l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis et le Qatar (les trois plus grands acteurs régionaux), les pétromonarchies ne font pas toujours jeu égal dans le respect des Droits de l’Homme. Avec une liberté de la presse équivalente à ce que l’on retrouve aux Emirats Arabes Unis, l’abandon dans les faits de la peine capitale dans les faits (dernière peine prononcée en 2003) et un processus électoral davantage transparent que ses pairs, Doha fait figure de premier de la classe. En revanche, l’Arabie saoudite, qui ne connait ni pluarlisme politique et qui a exécuté jusqu’à 154 personnes en 2016, est bonne dernière du classement des ONG spécialisées. Les récents heurts avec le Yemen, où l’Arabie saoudite a été accusée par l’ONU d’avoir violé le droit des enfants, n’est pas prêt de redorer le blason de cette dernière.

 

Droits de l’Homme en Arabie saoudite, au Qatar et aux Emirats Arabes Unis: où en sommes-nous?

 

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