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A qui profite le retrait américain de Syrie ?

L’annonce du départ des troupes américaines de Syrie n’est pas sans conséquences pour la région. Si Donal Trump a annoncé sa décision comme une victoire américiane, la situation n’est pas aussi simple.

Jeudi dernier, le Secrétaire d’état à la défense américain, Jim Mattis, provoquait un tollé un publiant sa lettre de démission adressée au résident Donald Trump. Le document a été communiqué quelques heures après un tweet de Trump, annonçant le départ à la retraite de Mattis en février prochain. L’incident est maquant puisque cette lettre semble en tout point être une réponse de l’ancien général à le politique de son Président. « Parce que vous avez le droit d’avoir un secrétaire à la défense dont les vues sont mieux alignées sur les vôtres (…), je pense que me retirer est la bonne chose à faire », assure-t-il.

De fait, les points de tension entre les deux hommes s’étaient accumulés au fil des mois. SI bien que Mattis avait déjà menacé de claquer la porte en octobre dernier. Celui que la presse avait surnommé « Mad Dog » Matis, pour ses positions intransigeantes, notamment sur la question iranienne, s’était bien malgré lui – et contre toutes attentes – retrouvé dans un rôle de modérateur de la politique iconoclaste de Trump. Comme soucieux de régler ses comptes avant de jeter l’éponge, le militaire insiste dans sa lettre sur la nécessité pour les États-Unis de « traiter les alliés avec respect ».

« Nous devons faire tout notre possible pour favoriser un ordre international propice à notre sécurité, notre prospérité et nos valeurs, et nous sommes renforcés dans cet effort par la solidarité de nos alliances », écrit-il. Derrière ces phrases un peu vagues, on devine les assauts répétés de Trump contre l’OTAN, le Canada ou encore l’Union européenne. Pour le secrétaire d’état, il n’est pas judicieux de refuser toute forme de multilatéralisme – ce sont en effet les dialogues qui ont permis aux troupes américaines d’être présentes sur tous les continents pour défendre leurs intérêts nationaux.

 

Une promesse de campagne

Si les sujets de discorde étaient nombreux, le départ de Mattis a certainement été précipité par le changement de stratégie de la Maison-Blanche en Syrie. Même si le ministre démissionnaire n’évoque pas directement le dossier syrien, sa décision intervient juste après l’annonce mercredi du départ le plus rapide possible des quelque 2 000 soldats américains stationnés dans le pays. Dans le même temps, Washington a promis un retrait « important » des troupes stationnées en Afghanistan.

Sur Twitter, Donald Trump a rappelé qu’il honorait une de ses promesses de campagne, ajoutant que les États-Unis n’avaient pas vocation à être le « gendarme du Moyen-Orient ». « Il est temps que d’autres se battent enfin », a-t-il ajouté, invitant « la Russie, l’Iran, la Syrie et beaucoup d’autres » à prendre le relais contre l’Etat Islamique (EI). Il répond ainsi à la lassitude croissante de l’opinion publique américaine devant les conflits dans lesquels le pays s’enlise, et sacrifie de nombreuses vies, sans retombées positives réelles.

 

Perte d’intérêt stratégique

Cette décision vient consacrer le recul de l’intérêt stratégique du Moyen Orient – région particulièrement volatile – pour l’administration américaine. Depuis le développement d’une industrie pétrolière solide, basée sur l’exploitation du gaz de schiste, raffineries US tournent ainsi à plein régime. Les États-Unis sont déjà redevenus depuis quelques mois les premiers producteurs de pétrole au monde, avec 11,7 millions de barils par jour en novembre, devant la Russie (11,4 mbj) et l’Arabie saoudite (10,75 mbj).

En claquant la porte, les américains abandonnent également les miliciens kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), qui ont été le fer de lance de la guerre au sol contre Daesh. Devenus dans alliés encombrants, Trump leur a préféré un apaisement avec leur principal allié de l’OTAN dans la région : la Turquie. En échange, Washington a pu obtenir un allégement de la pression sur son allié saoudien. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a d’ailleurs menacé de « se débarrasser » de cette milice après une conférence téléphonique avec Trump.

« Nous sommes stupéfaits », a réagi un haut responsable de l’encadrement politique kurde, Hassan Mohammed. « Il y a quelques jours encore, nous recevions en Syrie des responsables américains qui nous assuraient que leurs forces militaires et leur personnel diplomatique allaient rester sur le long terme ». Pour les kurdes, il s’agit d’une véritable trahison, qui les laisse seuls, entre la Turquie et le régime syrien de Bachar el Assad. « Si les Américains se retirent aussi brutalement, ils vont créer un vide dont vont profiter des acteurs extérieurs » note Hassan Mohammed.

Autre perdant dans ce revirement politique : Israël. La Syrie est actuellement un lieu de luttes complexes, et pour Israël, il est crucial de ne pas voir son ennemi juré, l’Iran, y renforcer son assise. Aussi, le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a réagi à la nouvelle en promettant de « continuer à entreprendre des actions très fortes contre les tentatives iraniennes de s’implanter en Syrie ». Il craint en effet l’ouverture d’un corridor terrestre avec le Hezbollah libanais, surnommé par certains « l’autoroute de la terreur ».

 

Un vide dont vont profiter des acteurs extérieurs

Une multitude de conflits – et donc d’intérêts – se superposent en Syrie. Mais les le grands gagnants de ce retrait précipité des forces américaines sont avant tout Bachar al Assad et son allié russe. Après huit ans de guerre, Moscou va devenir la puissance étrangère qui tient la Syrie. Aussi, sans surprise, le Kremlin a salué une décision « juste ». Dans les négociations à venir avec Damas, les Kurdes, menacés par Ankara, sont clairement en position de faiblesse et n’opposeront à ce titre pas de résistance. Le régime que l’occident voulait abattre a donc encore de beaux jours devant lui.

Plus inquiétant encore, l’EI pourrait également recommencer une implantation territoriale. « L’EI a reculé, mais la menace n’est pas terminée », notait justement à ce propos le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas il y a quelques jours seulement. De fait, il est encore implanté long de l’Euphrate près de la frontière de l’Irak. C’est justement le départ des forces américaines déployées en Irak, en 2011, qui a ouvert la voie à Daech. Rappelons à ce titre que ce départ est une décision prise par Trump seul, contre l’avis de Mattis, et plus largement, son administration.

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