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L’extrême droite parviendra-t-elle à se mettre en ordre de bataille pour les européennes ?

Les divisions qui paralysent la gouvernance européenne ouvrent la voie aux mouvements europhobes, avec un réel risque d’implosion l’UE. Seulement, ses détracteurs semblent aussi divisés que ses partisans, ce qui interroge sur leur capacité à s’unifier afin de changer durablement le visage de l’UE comme ils le souhaitent ?

A cinq mois des élections européennes, il apparait que le clivage gauche-droite traditionnel est relégué au second plan, et que ce vote opposera ceux qui croient en l’Europe et ceux qui n’y croient pas. C’est en tout cas ce que défendent les détracteurs de l’UE, qui espère transformer ce scrutin en plébiscite pour tous les détracteurs du Bruxelles des élites, fédéral, libéral et mondialiste. Dans un contexte de défiance grandissante contre la politique européenne, le Ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini mène la charge. L’homme fort de Milan se voit comme le fer de lance de ce mouvement national-populiste et autoritaire, qui fera plier l’Union européenne (UE).

Salvini s’est rendu à Varsovie pour y rencontrer, mercredi 9 janvier, les dirigeants du Parti Droit et justice (PiS – ultraconservateurs) et tenter de faire front commun contre Bruxelles. L’idée est de fédérer tous les mécontents afin de s’imposer comme une puissance politique majeure – la première, qui sait ? – au parlement européen. Les eurosceptiques peuvent en effet s’appuyer sur une tendance répétée au fil des élections européennes : seuls les mécontents ont tendance à se rendre aux urnes (43% de participation moyenne au sein de l’Union lors des deux derniers scrutins).

Aussi, les sondages prédisent que l’ensemble des partis de la droite radicale devraient obtenir entre 150 à 160 sièges en mai prochain (contre une petite centaine en 2014). « L’Italie et la Pologne vont être les acteurs d’un nouveau printemps, d’une renaissance des vraies valeurs de l’Union européenne », a ainsi promis le ministre italien. Au terme de la rencontre, M. Salvini a déclaré que les deux partis avaient trouvé des points de convergence sur « 90 % » des sujets, et qu’ils travaillaient désormais sur un pacte en dix points pour l’Europe.

 

Une tentative de convergence

Ces sondages sont encourageants – d’autant qu’ils ont tendance à sous-estimer le score des partis défendant des idées éloignées du politiquement correcte – mais les eurosceptiques vont aussi devoir faire face au départ abrupt des conservateurs britanniques, très largement eurosceptiques. Aussi faudra-t-il, pour compenser, ratisser plus large et essayer de fédérer plus largement autour des thèmes de la souveraineté et de l’identité.

Nicolas Bay, coprésident du groupe de l’Europe des nations et des libertés (ENL, le groupe d’extrême droite qui rassemble actuellement 34 élus de 8 pays, dont 15 Français du Rassemblement national) plaidait d’ailleurs dans ce sens il y a quelques semaines : « Si on arrive à faire un seul grand groupe réunissant tous les partisans d’une Europe des nations, on peut devenir une force incontournable. »

D’aucuns doutent toutefois de la capacité de ce groupe à trouver suffisamment d’atomes crochus pour pouvoir s’unir réellement. C’est la thèse de Thierry Chopin, professeur spécialiste de l’Union européenne à l’université catholique de Lille. « Ce sont autant de forces qui siègent dans des groupes politiques différents au Parlement, et qui n’ont que peu de chances de s’unir davantage en mai prochain qu’en 2014 », notent-ils.

« Ces différentes forces politiques populistes comme on les appelle – et le terme est peut-être un peu trop général – désignent de manière assez confuse à la fois l’extrême droite, les conservateurs souverainistes et nationalistes, les eurosceptiques, les europhobes ; et bien sûr il englobe parfois même sous l’étiquette populiste la gauche radicale », détaille-t-il. Une observation pertinente quand on regarde les revendications de chacun dans le détail.

 

Des divisions importantes persistent

Les « populistes » européens veulent donc faire cause commune, mais pour quoi exactement ? Lors de la visite de Salvini, le gouvernement polonais a bien essayé de le convaincre du bienfondé de son conflit avec Bruxelles autour de l’Etat de droit. Ce dernier s’est toutefois bien gardé de faire « toute promesse » sur cette question très clivante – en particulier pour la base électorale italienne. De même, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD – extrême droite) accorde une importance primordiale à la rigueur budgétaire – ce que l’Italie semble totalement rejeter au vu de son dernier budget.

Plus largement, l’AfD affiche une ligne économique plutôt libérale, là où la plupart des mouvement nés dans les pays européens du Sud défendent une vision plus sociale et protectionniste de l’économie. De même, les rapprochements de Marine Le Pen et Matteo Salvini avec Vladimir Poutine indisposent le PiS polonais – historiquement très hostile à la Russie. S’il existe des éléments fédérateurs entre les mouvements populistes européens, des divisions de fond demeurent. Aussi, pour l’heure, leurs manœuvres traduisent surtout leurs difficultés à s’entendre.

 

Marine le Pen encore marginalisée

Un autre risque est à prendre en compte : à trouver des alliances trop à droite, les eurosceptiques moins virulents risquent de perdre le soutien des conservateurs chrétiens traditionnels. Ainsi, Jarosław Kaczynski, Président du PiS a précisé à plusieurs reprises que son parti n’avait « rien à voir » avec le Rassemblement National (RN). Mercredi 10 janvier, le dirigeant hongrois Viktor Orban a lui aussi refusé d’admettre des liens avec la formation politique française d’extrême droite.

Cette situation pourrait bien sûr changer, en particulier si Marine le Pen parvenait à récolter un large soutien au sein du mouvement des gilets jaunes et donner une orientation à cette masse idéologique instable et complexe. Elle n’a en effet aucun « surmoi de gauche » intrinsèque, comme le soulignait justement Thomas Legrand. Elle n’est toutefois actuellement que soutenue par la frange de gilets jaunes la plus radicalement anti-fiscalisme, anti-élitisme, anti-européanisme et anti-migration.

Mais si elle est promise à un succès électoral en France – un sondage Ifop publié le 23 décembre dans le Journal du Dimanche place RN en tête des européennes en France avec 27,5% des voix – Mme le Pen figure encore parmi les infréquentables en Europe. La récupération des gilets jaunes pourrait toutefois l’aider à améliorer l’image de son mouvement, entachée par ses prises de position historiques et plusieurs scandales financiers (les assistants européens, le financement des campagnes, la sous-évaluation de son patrimoine).

 

Rupture ou PPE ?

L’isolation du RN rappelle que chez les nationalistes, il existe un clivage entre les modérés et les radicaux, entre les partisans de la démocratie libérale et ceux qui sont plus favorables à l’autoritarisme. Et à ce titre, le groupe politique auquel chaque parti eurosceptique décidera de rallier sera déterminant. Une situation parfaitement illustrée par le dilemme auquel fait face le Fidesz hongrois. Son leader, Viktor Orban veut conserver l’image « respectable » de son parti, aussi a-t-il réaffirmé sa « loyauté » envers le Parti populaire européen (PPE – droite) mercredi dernier. Le même mouvement qui discutait il n’y a pas si longtemps de l’exclure après une énième provocation.

De même, à propos des mouvements ultraconservateurs qui font la cour à Orban (et qui sont clairement nés dans son sillage) le PPE a toujours été clair : « Pas question qu’eux ou la Ligue nous rejoignent ». Actuellement, le PPE est en perte de vitesse. Il n’a connu qu’un léger recul en 2014, il est resté le premier parti du Parlement européen, avec plus de 220 sièges (sur 751). Mais on lui donne 180 sièges lors de la prochaine législature. Aussi, il est possible qu’il élargisse sa formation sur la droite pour donner le change – là encore difficile de dire où il fixera la limite.

Orban espère sans doute pouvoir récupérer les rênes d’un PPE affaibli, qui se vide progressivement de ses libéraux à mesure que sa rhétorique s’aligne sur une droite radicale qui vient le concurrencer au niveau national. Il voudrait en faire sa « chose » et s’en servir de base pour réformer l’UE. Une décision renforcée par l’arrivée tonitruante d’un Salvini à sa droite. Il n’est en effet plus le seul leader naturel des ultraconservateurs en Europe. Une stratégie qui la place aux côtés des populistes autrichiens, mais qui risque de fermer vraisemblablement la porte à de nombreux alliés potentiels sur sa droite.

 

Moins d’Europe ou pas d’Europe ?

Si l’extrême droit peine encore aujourd’hui à se mettre en ordre de bataille, rien n’exclut que la situation se débloque – et alors le risque d’implosion pour sera bien réel pour l’UE. Et c’est bien la réalité de ce risque qui refroidit certains mouvements politiques. Une dissolution de l’UE ne serait en effet pas bienvenue pour tous. Ainsi, la Pologne, malgré sa rhétorique hostile à Bruxelles, demeure très nettement le premier bénéficiaire net d’aides européennes (+8,8 milliards d’euros).

Même son de clache chez les Hongrois – également l’un des principaux bénéficiaires de la manne communautaire – qui veulent bien obtenir davantage de subventions et d’aides européennes mais veulent pouvoir avoir la main sur une gouvernance « illibérale ». Les deux pays sont terrifiés par le projet de conditionner les fonds européens au respect de l’Etat de droit, et ils tenteront tout pour bloquer une telle politique – quitte à s’allier avec des anti-européens radicaux, qui appellent à la fin de l’Union. Ils n’ont, après tout, pas grand-chose à perdre.

L’Italie est, quant à elle, ambiguë. Autrefois un des pays les plus europhiles, elle a connu un revirement soudain qui a porté la Ligue et le Mouvement Cinq Etoiles au pouvoir. Mais il est loin d’être certain que la majorité des italiens ait si rapidement tourné le dos aux idéaux communautaires et rejette désormais l’idée d’une Union. Des réserves qui sont alimentées par le déroulement laborieux du Brexit et des perspectives qu’il ouvre pour le Royaume-Uni. De fait, la marge de manœuvre de Salvini (minoritaire au sein de la coalition au pouvoir, rappelons-le) s’en trouve partiellement limitée.

Aussi, s’il existe une forme de consensus pour rejeter la politique actuelle de l’UE, les eurosceptiques sont très divisés lorsqu’il s’agit de lui proposer une alternative. La devise de l’UE est « Unie dans la diversité ». Pas certain qu’aujourd’hui ses détracteurs soient en mesure d’en dire autant.

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