Site icon La Revue Internationale

Conférence de Munich : un requiem de l’OTAN ?

Ce weekend, la capitale bavaroise accueillait trois jours de débats autour des questions de sécurité internationale. Si d’habitude ce type d’évènement est un espace pour les grandes puissances pour réciter leur laïus habituel, celui-ci a une nouvelle fois consacré la détérioration du lien entre l’Europe est les Etats-Unis– comme un clou de plus dans son cercueil.

 

« Discuter des uns et des autres, plutôt qu’avec les uns et les autres »

Le mot d’ordre avait été donné à l’ouverture par Wolfgang Ischinger, ancien ambassadeur allemand aux Etats-Unis et président de la conférence de Munich : ce grand rendez-vous du gotha de la diplomatie risquait de devenir un sommet où on discute « [l]es uns et des autres, plutôt qu’avec les uns et les autres ». Et il avait vu juste. Sur fond d’un retour fulgurant de la logique de blocs – et du « faites ce que je dis, pas ce que fais » de Washington – lors d’une une intervention ponctuée de silences glaçants, le vice-président américain Michael Pence, a enchainé les menaces pour ses ennemis (l’Iran et la Russie en tête) et les instructions pour ses alliés.

Le n°2 américain a ainsi proféré des menaces contre les européens si ceux-ci mènent à bien le projet de gazoduc Nord Stream 2, censé bientôt relier l’Allemagne à la Russie et sommé les membres de l’OTAN de reconnaître Juan Guaido comme président du Venezuela et de remplir l’objectif de 2 % de leur PIB alloué à la Défense qu’impose le traité nord-atlantique. Il a aussi appelé ces derniers à imiter Washington et sortir de l’accord multilatéral sur le nucléaire iranien (JCPOA), point d’orgue des tensions entre Bruxelles et Washington. Tout en finesse, Mike Pence a accusé Téhéran de fomenter « une nouvelle Shoah ».

 

Angela Merkel, dernière voix du multilatéralisme ?

Si jusque-là Emmanuel Macron s’était illustré comme le dirigeant européen qui tenait tête à Trump, il a cette fois brillé par son absence. Retenu à Paris par la crise de gilets jaunes, il n’aura pas pu donner la réplique à Mike Pence.  Mais c’est la voix d’une autre figure internationale qui aura opposé la réponse la plus ferme aux Etats-Unis : Angela Merkel. Dans un style bien à elle, sans formules chocs et avec des appels répétés au dialogue, la chancelière allemande a méthodiquement déconstruit les paradoxes de la politique américaine actuelle.

A propos du nucléaire iranien : « Est-ce-que nous contribuons à notre but commun en mettant fin au seul accord encore existant ? Ou bien est-ce plus judicieux de sauvegarder ce texte pour faire pression sur Téhéran sur d’autres dossiers ? » A propos de la Syrie : « Est-ce que c’est une bonne idée de la part des Etats-Unis de quitter immédiatement et aussi vite que possible la Syrie ou bien est-ce qu’un tel retrait ne permet pas à la Russie et à l’Iran d’augmenter leur influence ? » A propos de l’OTAN : « Parler de dépense militaire ne suffit, pas il faut s’entendre sur la nature des contributions ».

Dans son plaidoyer, elle a également tendu la main aux autres pays de l’UE. « Beaucoup de gens ne partagent pas nos idées pour un modèle européen. Vous dites que je tourne autour du pot, mais l’Allemagne et la France ne sont pas toute l’Europe. Quand j’ai une idée et que les Pays-Bas et la Finlande ne la partagent pas, cela ne suffit pas, il faut parvenir à quelque chose que nous partageons tous. Nous devons prendre tout le monde à bord » admettait-elle. « Nous devons nous battre pour le multilatéralisme, pour l’Europe, contre ceux qui pensent qu’ils peuvent agir seuls » a-t-elle conclu.

 

Les prémices d’un front européen ?

Son intervention s’est démarquée de ses prises de position prudentes depuis l’élection de Donald Trump à la Maison blanche. Une évolution imputable à sa libération politique (elle ne se représentera pas pour un dernier mandat) mais aussi libération face aux menaces économiques de Washington. Trump avait en effet mis en garde contre de sanctions visant le secteur automobile européen, invoquant une menace la sécurité nationale des États-Unis En choisissant de lui tenir tête, alors même que l’Allemagne, fleuron de l’automobile mondiale, a le plus à perdre en cas de taxe, elle déjoue sa stratégie du « diviser pour mieux régner ».

Il s’agit du premier signe clair que donne la dirigeante allemande, fragilisée par la montée du populisme dans son pays et sa prise de position « pro-migrants ». Certains aimeraient y voir les prémices au courage politique qu’il faudrait si l’Union Européenne veut un jour relancer sa construction, en particulier sur les questions financières et sécuritaires. Sans aller jusque-là, il ressort de ces trois jours d’échanges que la tentative de Washington de réaffirmer son autorité sur l’OTAN a tourné à une sorte requiem pour l’organisation. Et si l’OTAN n’est pas morte et enterrée, on voit mal comment il pourrait à ce rythme survivre à deux années d’administration Trump supplémentaires.

Quitter la version mobile