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Retrait de Bouteflika : un recul calculé

Lundi 11 mars, après deux semaines de contestation d’une ampleur inédite en 20 ans de pouvoir, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika a finalement décidé d’écouter la rue et renoncé à un cinquième mandat. Dans un long message à la nation, il annonce son renoncement ainsi que son intention de réformer le système politique algérien et d’élaborer un projet de Constitution d’ici la fin d’année. Une décision que beaucoup voient comme la manouvre dilatoire d’un régime qui tente d’organiser son maintien au pouvoir.

Le renoncement du clan Bouteflika

« Il n’y aura pas de cinquième mandat et il n’en a jamais été question pour moi, mon état de santé et mon âge ne m’assignant comme ultime devoir envers le peuple algérien que la contribution à l’assise des fondations d’une nouvelle République » écrit Abdelaziz Bouteflika – ou du moins les membres de son clan, le dirigeant étant bien incapable de communiquer avec son peuple depuis des années – dans une longue adresse à la nation algérienne. C’est depuis un exil suisse, dans un hôpital de renom, que le dirigeant de 82 ans aurait « renoncé » à se présenter.

Le clan Bouteflika a été contraint de lâcher du lest après une contestation sans précédent – des millions de personnes seraient descendues dans les rues d’Alger ce weekend, pour couronner ce mouvement né dans les provinces rurales du pays. La situation était tout bonnement devenue intenable après que l’armée, politiquement très influente, ait pris le parti de la rue ce dimanche. Le chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, a en effet déclaré que les forces de défense et le peuple algériens partagent les « mêmes valeurs » et ont « une vision commune » de l’avenir du pays.

En plus d’annoncer qu’il ne participerait pas aux prochaines présidentielles, l’équipe de M Bouteflika a annoncé le limogeage du très impopulaire Premier ministre Ahmed Ouyahia, très souvent décrié lors des manifestations. Il a été remplacé par Noureddine Bedoui, jusqu’ici ministre algérien de l’Intérieur, qui a la charge de former un nouveau gouvernement qui assurera la transition politique.

 

Un cadeau empoisonné

Si la nouvelle a été accueillie dans la joie, elle a rapidement fait place à une réaction plus dubitative devant les modalités du deal proposé par le régime. D’après son communiqué, le Président octogénaire restera en poste au-delà de l’expiration de son mandat pour assurer la transition, alors que la prochaine élection est de facto reportée à une date inconnue. « C’est une victoire du peuple algérien. Il faut rappeler que le gouvernement a cédé à la pression de la rue » explique le vice-président de la Ligue algérienne des droits de l’homme, Said Salhi, avant de tempérer : « Mais nous restons vigilants ».

D’autres, en revanche, n’y vont pas par quatre chemins : il s’agit d’un subterfuge conçu pour obtenir une année supplémentaire pour organiser la réincarnation du régime. Ali Benflis, ancien Premier ministre de Bouteflika passé à l’opposition, estime ainsi que « l’allongement du 4e mandat est une agression contre la Constitution par les forces non constitutionnelles [notamment un des frères du président considéré comme le vrai chef de l’Etat] ». Lui comme beaucoup d’autres, jugent le procédé illégal – la constitution algérienne ne prévoit de fait pas de solution en cas de blocage politique.

 

« Je vous ai compris »

Même réaction de l’ex-diplomate et ancien ministre de la Culture entre 1998 et 1999, Abdelaziz Rahabi estime que « le président Bouteflika se moque du peuple […] Son acharnement à rester au pouvoir va pousser le pays vers l’inconnu et est un danger pour la stabilité de l’Etat et l’unité du pays ». Reste à savois si le coup d’Etat transitionnel réussira à convaincre assez de citoyens algériens de cesser leur protestation ou si ce succès renforcera la confiance du mouvement d’opposition au cinquième mandat de Bouteflika. Il pourrait alors se retourner contre le régime tout entier.

« Paradoxalement, cette annonce de M. Bouteflika renforce le sentiment chez les Algériens et les manifestants qu’il s’agit d’une victoire, qu’une telle concession n’aurait pas été imaginable avant les manifestations » explique Amel Boubekeur est chercheuse en sociologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. D’après elle, la promesse d’un renouveau constitutionnel ne changera pas les choses. « Le problème n’est pas de mettre en œuvre une nouvelle Constitution mais de respecter déjà les lois qui existent, la Constitution en vigueur » note-t-elle.

La question est donc maintenant de savoir comment le mouvement politique qui a vu le jour ces dernières semaines pourra passer de la rue à la vie publique officielle. Celle-ci est aujourd’hui encore la chose du régime. Et sans cette transition, le clan Bouteflika, sachant qu’il ne conserver le pouvoir à travers un cinquième mandat, se sera maintenu au pouvoir en prolongeant tout simplement le quatrième.

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