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France-Allemagne : fin de la lune de miel ?

Paris avance, Berlin recule. Le moteur bicéphale de l’Europe serait-il en panne ? Les signaux de brouille se sont en tout cas multipliés ces derniers mois, sur fond d’appels d’Emmanuel Macron à entamer à marche forcée une réforme de l’Union européenne dont Berlin ne veut pas vraiment. Il y a quelques jours, Emmanuel Macron a même défini le lien franco-allemand comme une « confrontation féconde ». Il y a à peine trois mois, tout semblait au beau fixe, alors que les deux voisins signaient le traité d’Aix-la-Chapelle, un accord interparlementaire qui renforçait sensiblement leur coopération.

En plus de leur habituel plaidoyer commun pour un engagement environnemental plus fort, les deux pays s’y sont engagés à « coordonner » leurs positions au sein de l’ONU et à chercher un consensus au sein de l’Union européenne. Paris s’engageait par ailleurs à faire de « l’entrée de l’Allemagne au Conseil de sécurité une priorité de la diplomatie franco-allemande » (Article 8). La nouvelle Assemblée parlementaire franco-allemande, composée de cinquante députés allemands et de cinquante députés français devrait pour sa part rapprocher encore davantage les deux pays.

Et pourtant, comme dans « tout couple », il faut « assumer d’avoir des désaccords » confiant Emmanuel Macron il y a dix jours, donnant peut-être raison à Herman Hesse, lorsqu’il affirme que « la magie est au commencement ».

La désillusion française

« Après l’amitié surjouée des débuts entre Macron et Merkel, la réalité est que les chemins de la France et de l’Allemagne sont en train de diverger de plus en plus », notait récemment un haut responsable européen. Une situation révélée publiquement par les différends marqués apparus sur le dossier du Brexit – la France appelait à une position ferme quitte à provoquer un « no deal », ce que Berlin estime inacceptable. Aussi, lors du Conseil européen extraordinaire du 10 avril, quand Macron jouait aux durs, Angela Merkel appelait à plus de diligence.

Plus largement, ce refroidissement est dû à une déception française par rapport à l’engagement allemand. De fait, Paris a passé deux ans à attendre un soutien sur le dossier de la relance européenne – qui n’est jamais venu. Après avoir pris une position courageuse mais impopulaire en faveur de l’accueil des migrant dans son pays, la chancelière allemande s’est retrouvée fragilisée politiquement, et a dû mettre sa politique résolument pro-européenne en sourdine, laissant Emmanuel Macron bien seul. Et ce au moment même où il voulait profiter du Brexit pour passer la seconde.

Aussi, ce dernier a cessé de fermer les yeux sur la posture léonine de Berlin dont le « modèle de croissance a « beaucoup profité des déséquilibres de la zone euro ». L’omerta est brisée. Mais le Président français a toujours su que Berlin réserverait un accueil très tiède à ses propositions de réforme de la zone euro, étant la grande gagnante du statu quo. « Ils n’ont vu que son côté pro-européen, ils n’ont pas voulu voir qu’il voulait réformer en profondeur l’Europe », commente un diplomate français. Le doute s’est depuis effacé.

Un timing délicat

L’approche des élections européennes a exacerbé les tensions entre les deux moteurs européens – dont, il faut le reconnaitre, un semble être en panne. « Ces derniers mois, Macron et Merkel ont poussé leurs propres dossiers en pensant d’abord à leurs intérêts électoraux », commentait récemment un diplomate allemand proche de la chancellerie. « Chacun est soucieux de prouver à ses électeurs qu’il apporte les réponses qu’ils attendent. Au niveau de l’agenda européen, c’est clair que nous n’avons pas toujours eu les mêmes priorités ces derniers temps. »

« Pendant dix ans, de la fin des années 1990 au début des années 2000, la France a été paralysée par l’élargissement d’abord, par le tabou des changements de traité ensuite, après Nice et 2005. Pour le pays, c’est une décennie de gel des propositions. Nous sommes à un moment de croisement des courbes », commente pour sa part un diplomate français. Si les divergences sont davantage tactiques qu’idéologiques, il n’en reste pas moins que le couple franco-allemand crie à hue et dia à la veille d’élections cruciales, subissant d’importantes pressions liées à des facteurs de politique intérieure.

En France, les « gilets jaune » ont fait vaciller Emmanuel Macron, et risque bien de lui coûter la pole position dans son pays. Attaqué à sa droite par une percée des Républicains, portés par un François-Xavier Bellamy pas si incompétent que beaucoup l’ont affirmé, il a dû prendre un virage social, et incidemment marquer encore ses divergences avec l’orthodoxie budgétaire de Berlin. L’idée désormais est de ne pas sortir affaibli lorsque les tractations sur l’avenir de l’UE reprendront – cette fois, avec une ligne de confrontation plus ouverte avec Berlin.  

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