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Affaire Khashoggi : le rapport de l’Onu qui embarrasse l’Arabie saoudite

Neuf mois après l’assassinat du journaliste et dissident Jamal Khashoggi, l’affaire fait un retour inattendu à la « une » de la presse internationale. Pour rappel, cet éditorialiste, ancien conseiller de la famille royale saoudienne, très critique de la dérive autoritaire du prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS) et de son clan avait été assassiné à Istanbul le 2 octobre 2018. Ce dernier s’était réfugié en Turquie afin d’échapper aux foudres du jeune dirigeant.

Après avoir nié les faits, puis donné des versions contradictoires, l’Arabie Saoudite avait finalement admis, fin octobre dernier, que Jamal Khashoggi avait été tué par un commando saoudien dans le consulat du pays à Istanbul. Le journaliste aurait été étranglé puis démembré à la scie à l’intérieur du consulat, lors d’un rendez-vous pour obtenir les documents administratifs lui permettant d’épouser sa fiancée turque.

Riyad sur la défensive

Riyad a toujours affirmé que cette opération d’une rare barbarie avait été menée à son insu. Une version des faits contestée par la Turquie, qui a déclaré avoir des enregistrements de l’assassinat de Khashoggi réalisés clandestinement dans le consulat saoudien. « La Turquie n’a toujours pas divulgué tous les éléments concernant l’enquête sur le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul » mettait ainsi récemment en garde le président turc, Recep Tayyip Erdogan.

Des menaces qui n’ont pas plu à Mohammed ben Salmane, qui a mis en garde dimanche « tous ceux qui exploitent » la mort du journaliste. D’après lui, le dossier est bel et bien fermé. « La mort de Jamal Khashoggi est un crime très douloureux » a expliqué le prince héritier. « Tous ceux qui exploitent l’affaire d’un point de vue politique devraient arrêter de le faire, et présenter des preuves au tribunal, ce qui contribuera à rendre justice ».

Un rapport accablant

Mauvais timing pour Riyad. Trois jours plus tard est sorti un rapport accablant rédigé par Agnès Callamard, une experte des droits de l’homme de l’ONU. Au terme de six mois d’investigations approfondies – et un accès aux enregistrements des services secrets turcs – cette dernière a ainsi établi que le journaliste avait été la « victime d’une exécution délibérée, préméditée, extrajudiciaire dont l’État d’Arabie saoudite est responsable en regard du droit international lié aux droits de l’homme ».

Ce document confirme que la scène du crime, à laquelle la police turque n’a pu accéder que le 15 octobre, « a été nettoyée intégralement, de manière médico-légale » par des agents saoudiens. « Cela indique que l’enquête saoudienne n’a pas été conduite de bonne foi et qu’elle peut constituer une obstruction de justice » note-t-elle. Aussi, Mme Callamard a requis, mercredi 19 juin, l’ouverture d’une enquête pénale internationale qui viserait nul autre que le Prince héritier saoudien.

MBS au cœur de la controverse

Il « existe des preuves crédibles justifiant des investigations supplémentaires, de la responsabilité individuelle d’officiels saoudiens de haut niveau, y compris [MBS] » note l’experte. Aussi, elle appelle Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, à former un tribunal ad-hoc, pour établir les responsabilités dans cette affaire. « Selon les lois de l’immunité, rien n’interdit de sanctionner des individus occupant des positions comme celles du prince héritier », précise la spéciale des exécutions extrajudiciaire.

Le rapport confirme par exemple que l’un des principaux suspects, Saoud Al-Qahtani, un proche conseiller de MBS, ne figure pas parmi les accusés. L’identité des accusés n’a par ailleurs pas été rendue publique. Aussi, le rapport conclut que le procès « ne remplit pas les standards de procédure ». Pour son auteure, « l’institution du Conseil de sécurité s’est rendue complice de ce qui pourrait bien être une erreur de justice » en refusant de donner suite à cette affaire.

Un renouveau des pressions sur Washington

Dès l’annonce de la publication de ce rapport, Ankara a « appuyé avec force » les recommandations d’Agnès Callamard à l’encontre de Riyad et de son futur souverain. Ce faisant, Erdogan vise Donald Trump, qui avait refusé de s’exprimer devant le Congrès américain sur le rôle du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane dans cet assassinat. Sans parler de le condamner. Et ce alors même que la CIA juger que l’assassinat a été commandité par le prince héritier.

Le soutien dont a bénéficié MBS lors de la révélation de ces fait sinistres – par la Maison Blanche, mais aussi le Roi Salmane, son père – a en quelque sorte donné l’impression que le prince héritier pouvait agir en toute impunité. Qu’il était intouchable. En réitérant, de manière probante, la piste du crime d’état, Agnès Callamard va une nouvelle fois mettre sous pression le réseau de soutiens internationaux du prince – même s’il est pratiquement acquis que ces derniers se mobilisent une nouvelle fois, non sans une certaine lassitude.

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