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Blocage sur la présidence de la Commission

« Hier j’étais prudemment optimiste. Aujourd’hui je suis davantage prudent qu’optimiste ». C’est ainsi qu’a résumé la journée de jeudi dernier le président du Conseil Donald Tusk. Les dirigeants de l’UE n’ont pas réussi à s’entendre sur le nom du successeur des Jean-Claude Juncker durant le sommet tenu la semaine dernière à Bruxelles. De fait, le nouveau Président de la Commission européenne devra obtenir le soutien de 21 des 28 dirigeants européens et rallier une majorité d’au moins 376 voix au Parlement. Et c’est bien là que le bât blesse : les chefs des groupes Socialiste et centriste Renew Europe ont annoncé qu’ils ne soutiendraient pas la candidature candidat du Parti populaire européen (PPE), l’allemand Manfred Weber.

Candidat du controversé système des « Spitzenkandidaten », Weber est loin de faire l’unanimité. Du fait du recul de la formation de droite lors des dernières européennes, ce dernier sera-t-il victime d’enjeux de politique intérieures ? C’est ce qu’espère le néerlandais Frans Timmermans, candidat des Socialistes. Ce dernier bénéficie d’une réputation éminente dans plusieurs états membres du fait de sa lutte acharnée contre les dérives autoritaires des pays d’Europe de l’Est (Pologne, Hongrie, Roumanie) – ce qui lui vaut aussi de solides inimitiés. C’est également ce qu’espère la danoise Margrethe Vestager, dauphine des libéraux-centristes. Elle termine un remarquable mandant de Commissaire européenne à la Concurrence, qui l’a vue tenir tête aux GAFAM.

Weber attaqué de toutes parts

Alors que le sommet devait consacrer la prise de fonctions de Weber, il s’est terminé en humiliation pour le bavarois. Son parti a d’ailleurs dénoncé une « manœuvre de Paris et de Madrid ». Un argument qui est loin d’être illégitime, Emmanuel Macron ayant de longue date fait savoir qu’il était opposé à cette nomination. De fait, Weber n’a jamais été ni Premier ministre ni même ministre, et ne parle pas français (à peine baragouine-t-il un anglais basique), deux exigences pour occuper la fonction de président de la Commission européenne. En outre l’homme divise. Il a d’ailleurs fait l’objet d’une récente charge du Premier ministre grec, Alexis Tsipras, selon qui le PPE a tué le processus de Spitzenkandidaten en choisissant Manfred Weber, un candidat « strictement partisan », « obsédé » par l’austérité ; qui divise l’Europe plutôt que de l’unir.

La ligne « Germany first » intransigeante de Weber en a en effet offensé les habitants du sud de l’Europe. Mais est également loin de faire l’unanimité dans son propre pays. « En 2014, Jean-Claude Juncker avait bien joué, il avait réussi à former une majorité au Parlement européen, ce que Manfred Weber visiblement n’a pas réussi à faire », souligne Franziska Brantner, députée Verts allemande. D’après elle, la légitimité démocratique du Président de la Commission réside avant dans une capacité à trouver un terrain politique commun, et non dans le système des Spitzenkandidat : « Les groupes politiques au Parlement européen ont commencé à formuler un programme politique commun aux différentes fractions, qui servira de base pour l’élection d’un ou d’une présidente de la Commission. »

Au niveau européen aussi, le PPE sous le feu des critiques, en particulier des libéraux, renforcés par leur progression lors des dernières européennes. Son dirigeant entend faire valoir que, quoiqu’affaiblie, sa formation de droite est tout de même arrivée en tête aux élections européennes. Un argument balayé par Renew Europe. « Rappelons-leur les faits. Le PPE a détruit le projet des listes transnationales parce qu’il craignait de perdre du terrain au profit des progressistes », a ainsi fustigé Pieyre-Alexandre Anglade, responsable des affaires européennes à LREM. « Ces listes auraient renforcé la démocratie parlementaire puisque les citoyens auraient pu voter directement pour leurs dirigeants »

PPE : fin de l’hégémonie ?

Weber, attaqué de toutes parts, a mis en garde contre le retour d’une « diplomatie de portes closes ». Il dénonce ceux qui voudraient faire « passer l’intérêt de certaines capitales avant celui des électeurs ». « Maintenant, c’est aux députés européens de décider », a-t-il estimé. Pour lui, la procédure des Spitzenkandidaten contribue à la « démocratisation urgente de l’UE ». Pour l’instant, il bénéficie du soutien de son parti. Le président du PPE, Joseph Daul, rappelle ainsi qu’aucun candidat à la présidence de la Commission ne pourrait être élu sans les voix des 180 eurodéputés PPE. « Nous ne sommes pas pressés. Nous avons un PPE qui est président de la Commission [Jean-Claude Juncker] et on peut prendre le temps ».

D’autres, en revanche sont moins convaincus de leurs chances dans ce rapport de force. « Il faudra un temps de deuil pour que le PPE digère. La question est de savoir si ce temps durera une nuit ou quelques jours », confiait pour sa part un membre du parti après le dernier sommet bruxellois. Si la crispation s’inscrivait dans la durée, il est envisageable que le PPE décide de laisser tomber Manfred Weber, au profit d’un autre candidat moins clivant. Michel Barnier, fort de son succès dans les négociations du Brexit, et désormais soutenu par les pays de Visegrad, ferait dès lors figure de favori. Il serait assuré du soutien de Paris, principal obstacle à la nomination de Weber. Il a aussi montré des signes d’ouverture vers le centre, ce qui lui vaudrait sans doute le soutien des libéraux.

Ce scénario déplait toutefois à la Chancelière allemande, Angela Merkel, et sa formation qui constitue la colonne vertébrale du PPE. Perdre, en tant que premier parti européen, la capacité de décider du prochain dirigeant de la Commission serait un coup dur, mais perdre, en tant que premier pays européen, la main face à la France, le serait encore plus. Aussi, la tournure que semble prendre les cours des choses à Bruxelles crispe quelque peu à Berlin. Si le résultat de ces manœuvres n’est pas certain, il marque le retour à plein de la France dans le jeu politique européen, après des années de docilité sous la bannière franco-allemande. Reste à savoir si ce sera pour le meilleur ou pour le pire.

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