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Vers une renégociation du Brexit ?

Lundi soir le ministre des Affaires étrangères britannique Jeremy Hunt a estimé qu’un Brexit sans accord serait un « suicide politique ». Dernière mise en garde apocalyptique d’une longue série – qui peine à convaincre ceux qui n’en sont pas déjà convaincus, cette annonce n’est pas neutre sur fond de succession de Theresa May et de de déroute politique pour les conservateurs britanniques. Pour rappel, le parti a essuyé sa pire défaite depuis 1832 aux européennes en récoltant seulement 9 % des suffrages. Ce résultat le place loin derrière le parti eurosceptique de Nigel Farage, le Brexit Party, qui a raflé 31,6 % des voix, sans proposer d’autre programme que la sortie de l’UE.

« Le seul moyen de lui (Nigel Farage, ndlr) montrer qu’il a tort, c’est de mettre en œuvre le Brexit (…) en s’unissant et en entrant de nouveau en négociation avec l’Union européenne » estime M Hunt. Il souhaite ainsi mener de nouvelles négociations avec l’Europe pour trouver un accord sur le Brexit. « Si nous nous risquons à des élections législatives avant d’avoir mis en œuvre le Brexit, nous serons anéantis », a-t-il estimé. Mais cette fois, il est également question d’espoir : « il se targue d’avoir obtenu d’Angela Merkel qu’elle le soutienne pour une renégociation avec Bruxelles afin d’éviter un Brexit sans accord », explique Valérie André, professeure à l’université Aix-Marseille.

Le combat des chefs

 « Je suis absolument sûr que si nous adoptions la bonne approche sur ce sujet, les Européens seraient prêts à négocier » a expliqué Jeremy Hunt. Ce dernier espère-t-il vraiment que toutes les cartes soient remises sur la table ? Pas certain, mais cette prise de position est censée lui redonner une certaine visibilité dans un parti largement dominé par l’ancien Maire de Londres et éphémère Ministre des Affaires étrangères Boris Johnson. Hunt fait en effet partie des dix candidats à la succession de la Première ministre Theresa May et espère s’imposer comme la voix de la raison alors que les augures semblent sourire à « Bojo », qui a obtenu le soutien de 42 députés conservateurs.

Cette semaine Bojo menaçait de ne pas payer la dette anglaise due à l’UE. « Nos amis et partenaires doivent comprendre que l’argent sera conservé jusqu’à ce que nous ayons plus de clarté sur la voie à prendre » annonçait-il. Un beau coup de pub pour récupérer les électeurs qui ont choisi Farage lors des européennes. « Avec cette déclaration, Boris Johnson n’est pas dans un début de négociation. Il s’inscrit d’abord dans le processus pour prendre la tête du parti conservateur. Il s’adresse avant tout à son électorat, très europhobe », analyse Emmanuelle Saulnier-Cassia, professeure de droit public, spécialisée en droit de l’Union européenne à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

Le paiement dû à l’Union européenne par le Royaume-Uni doit de fait honorer sa part des engagements financiers pris conjointement avec les autres États membres européens pendant le Brexit. Il recouvre notamment le budget communautaire pluriannuel 2014-2020, le versement des droits à la retraite des fonctionnaires européens, les paiements résultant de la fin de l’appartenance du Royaume-Uni aux organes ou institutions de l’UE, tels que la Banque centrale européenne (BCE) ou la Banque européenne d’investissement (BEI). Le chiffre exact de ce versement n’est pas connu du grand public, mais on l’estime entre 40 et 45 milliards d’euros.

On prend les mêmes et on recommence

« Boris Johnson est susceptible de remporter ces élections car il offre aux membres du parti conservateur ce qu’ils veulent (…), un Brexit sans accord », note Tim Bale professeur de politique à l’Université de Queen Mary de Londres. « Qu’il y parvienne réellement est une autre affaire ». De fait, il existe toujours trois scénarios possibles : le Royaume-Uni quitte du jour au lendemain l’union douanière et le marché unique sans filet faute d’accord d’ici au 31 octobre (le « No deal »), il renonce à appliquer l’article 50 pour revoter sur la sortie de l’UE – et peut être repartir à zéro –, ou une réouverture des négociations avec l’Europe pour tenter de trouver un nouvel accord.

Cette dernière solution, malgré les appels de Jeremy Hunt est improbable, puisque jusqu’ici, les 27 et la Commission sont restés inflexibles sur la question : les négociations ont déjà eu lieu et il n’est pas question de faire marche arrière. Et ce en particulier avec l’arrivée massive de députés eurosceptiques britanniques au Parlement européen, ce qui va unir les partis europhiles autour d’un départ rapide du Royaume-Uni. En outre, paradoxalement, ce sont les fanfaronnades de Bojo, qui ne sont pourtant pas réellement adressées à Bruxelles, qui pourraient unir le plus les états membres autour de la ligne « dure » de Macron sur le Brexit.

Ce dernier a prévenu qu’un non règlement des frais européens, comme Mme May s’était engagée à le faire, serait « équivalent à un défaut sur sa dette souveraine ». Un avis partagé par nombre d’experts juridiques. « Ils doivent des comptes à l’UE », prévient Florence Chaltiel-Terral, professeure de droit et rédactrice en chef de la Revue de l’Union européenne. « S’ils ne payaient pas, l’UE pourrait donc saisir la cour de justice de l’UE pour manquement. » Certains parlent même de guerre commerciale – une solution très risquée pour des économies aussi imbriquées. Mais la menace n’est sans doute pas la solution la plus raisonnable face à une nation qui se targue encore d’avoir survécu au « Blitz ».

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