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Qu’espérer de la reprise timide du dialogue au Venezuela ?

L’opposition vénézuélienne a finalement accepté de rencontrer à la Barbade des représentants du gouvernement de Nicolas Maduro. Cette tentative d’établir, sous l’égide de la Norvège, un dialogue entre deux camps aux antipodes vise à faire sortir le Venezuela de la crise politique et institutionnelle qui remonte aux élections législatives de 2015. A l’époque, le régime de Maduro avait en effet nié et tenté de contourner la victoire de l’opposition qui avait remporté la majorité à l’Assemblée nationale – avec la création, notamment, d’une Assemblée constituante alternative inféodée au gouvernement.

Plus largement, ce qui a mis le feu aux poudres dans le pays est la pire crise économique de l’histoire récente, provoquée par la baisse du prix du baril de pétrole et une économie insuffisamment diversifiée. Celle-ci n’a cessé d’augmenter en ampleur depuis, et a notamment provoqué des pénuries de nourriture et de médicaments majeures, poussant plus de 600 000 personnes à quitter le pays. L’hyperinflation devrait atteindre les 10 000 000 % en 2019, selon le FMI. Aujourd’hui, plus d’un quart de la population aurait besoin d’une aide humanitaire d’urgence, d’après l’ONU.

Sortir de la crise

Depuis le 24 janvier 2019, la légitimité de Maduro est contestée par le Président de l’Assemblée, Juan Guaidó, qui accuse le chaviste d’être un « usurpateur ». Ce dernier s’est autoproclamé Président par intérim – et a de facto pris la tête de l’opposition. Mais si l’actuel chef d’état fait face à des mouvements sociaux sans précédent, il bénéficie encore du soutien de l’armée. Pour tenter de sortir de l’impasse, deux rounds de pourparlers ont été organisés en mai dernier à Oslo entre les délégués de l’opposition et ceux du camp présidentiel, sans toutefois permettre de débloquer la situation.

De nouveaux appels au dialogue ont été lancées à l’occasion de la fête nationale vénézuélienne, le 5 juillet. Ils ont dans un premier temps été écartés par Guaidó qui, pour se justifier, dénonçait la mort en détention « après avoir été torturé » d’un capitaine de l’armée. Ce dernier était accusé par le régime d’avoir pris part dans une « tentative de coup d’Etat ». L’opposant a finalement changé son fusil d’apeule, et accepté de rencontrer les représentants du régime – en partie motivé par la lente érosion de la mobilisation dans les manifestations anti-Maduro. Cette réunion avec « des représentants du régime usurpateur » sur l’île caribéenne devra servir à « établir une négociation en vue de sortir de la dictature », a-t-il expliqué.

Lundi, après une phase préliminaire Nicolás Maduro s’est dit « très optimiste » après avoir reçu des rapports « prometteurs » de son principal négociateur, le ministre de la Communication Jorge Rodríguez. « Aujourd’hui, ils ont eu une réunion de cinq heures et il me semble que pas à pas, avec une patience stratégique, nous ouvrons la voie de la paix » a-t-il estimé. « Si on travaille avec de la bonne volonté et qu’il n’y a pas d’interventionnisme gringo […], je suis sûr que des accords seront conclus », a ajouté Maduro, pour qui les manouvres politiques des Etats-Unis sont les premières reposables de l’échec de précédentes négociations.

L’opposition, en face, est plus dubitative. Elle a posé trois objectifs à cette rencontre : le départ de Nicolas Maduro de la présidence qu’il occupe depuis 2013, un « gouvernement de transition », puis des « élections libres avec des observateurs internationaux ». Trois conditions que Maduro ne semble certainement pas enclin à honorer. Aussi, une partie de l’opposition a désavoué Guaidó pour sa participation à ces pourparlers, estimant qu’ils donneront « de l’oxygène » au régime.

Un rapport de l’ONU accablant

Ces appels à l’entente du régime interviennent au moment de la sortie d’un rapport accablant de la haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet. « L’État de droit au Venezuela s’est érodé », a mis en garde cette dernière lors de sa présentation. « Mon service a eu connaissance des attaques contre l’opposition et les défenseurs des droits humains » note-t-elle, avant de dénoncer une stratégie pour « neutraliser, oppresser et criminaliser les opposants politiques et les personnes qui critiquent le gouvernement ». Le rapport s’alarme d’un nombre « extrêmement élevé » d’exécutions extrajudiciaires dans le pays.

Il note ainsi qu’a minima, les forces spéciales vénézuéliennes, créées en 2017 pour faire face aux manifestations monstres appelant au départ de Maduro, auraient tué 5 287 personnes en 2018 et 1 569 entre le début d’année et le mois de mai. Sur la même période, le rapport relève que 793 personnes ont été privées de leur liberté de manière arbitraire. 22 députés ont également été privés de leur immunité parlementaire.

Aussi, dans ce contexte, l’optimisme de Maduro semble davantage indicateur de sa volonté de donner du grain à moudre à la communauté internationale que d’une véritable tentative de compromis. D’après le politologue Jesus Castillo-Molleda, le gouvernement, chercherait ainsi « à gagner du temps car il a montré son manque de volonté à résoudre les problèmes ». En face, il est « évident que l’opposition n’arrive pas à vaincre le gouvernement, ni seule, ni avec l’aide des Etats-Unis. Cela l’oblige à chercher d’autres mécanismes pour arriver à des accords en vue d’élections ». Une situation qui ne laisse pas entrevoir la fin du blocage politique et des déboires des vénézuéliens de sitôt.

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