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Brexit : encore un vote ?

Si sur le continent on s’intéresse davantage aux négociations entre Londres et Bruxelles (aujourd’hui au point mort, malgré des affirmations de Boris Johnson démenties par des officiels européens), au Royaume-Uni le sort du Brexit se joue en interne. Le Nouveau Premier ministre britannique est ainsi forcé de mener de front trois négociations en même temps : avec son propre parti – dont il a pris le leadership par la droite ; avec le Parlement – où l’opposition entend bien le renverser à la première occasion ; et avec les autres composantes du Royaume-Uni (l’Irlande du nord, l’Ecosse et le Pays de Galles), terrifiées à l’idée d’une sortie sans accord.

La première confrontation avec le Parlement, revenu de vacances le 2 septembre, a été douloureuse pour le dirigeant Tory, qui ne bénéficiait que d’une majorité d’une voix. 21 députés du camp conservateur se sont opposés à son projet de Brexit sans accord, provoquant leur exclusion de la famille politique et la paralysie quasiment assurée de la Chambre de communes. « Le Brexit a transformé ce qui fut un grand parti en quelque chose qui ressemble davantage, désormais, à une faction (…) infectée par le populisme et le nationalisme anglais » commentait alors Johnson, Phillip Lee, le premier député conservateur à avoir claqué la porte du parti dont il était membre depuis 1992.

De nouvelles élections faute de majorité ?

Grace au groupe disparate de « mutins conservateurs », les élus britanniques ont ainsi privé le gouvernement de tout moyen immédiat de les contourner, et d’imposer un no deal que la majorité d’entre eux rejette. Mais l’opposition n’en est pas pour autant unie autour d’un projet positif concret. En atteste le profil de ces nouveaux opposants : « Certains sont des députés récemment élus, d’autres sont d’anciens remainers, d’autres encore sont favorables au Brexit, pour des questions de souveraineté nationale, ou parce qu’ils estiment qu’il faut respecter le vote des Britanniques au référendum de 2016, mais ils souhaitent que le retrait se fasse avec un accord négocié », analyse Agnès Alexandre-Collier, professeur de civilisation britannique à l’université Bourgogne-Franche Comté.

 Si Johnson a perdu sa majorité, dans un manœuvre qui peut surprendre les élus de l’opposition ont cependant exclu de dissoudre les Communes pour procéder à de nouvelles législatives. L’objectif est en effet de forcer le chef de gouvernement de manquer sa promesse de sortir avant le 31 octobre prochain, d’entailler sa forte popularité et de lui faire perdre le soutien des eurosceptiques les plus radicaux, qui retourneraient dans le giron de Ukip et de Nigel Farage. Une loi d’opposition a même été votée en fin de semaine dernière lui imposant de demander à Bruxelles de repousser la date de divorce au 3 janvier 2020. L’idée est que le nouveau parlement soit élu dans un contexte moins favorable pour Johnson, qu’un sondage YouGov place en tête, avec 35 % des voix (14 de plus que les travaillistes).

Johnson déjà en campagne

Boris Johnson, qui affirmait préférer « mourir dans un fossé » plutôt que de demander un report du Brexit, n’a cessé d’organiser l’affrontement avec le parlement. Faute de majorité pro-no deal aux communes, lui qui prétendait ne pas vouloir d’élections anticipées a tout fait pour les précipiter. La semaine dernière, il a même tombé le masque et demandé une dissolution lui-même. Elle n’a toutefois recueilli que 298 votes, alors qu’il lui en fallait 434. Mais il manouvre toujours pour obtenir un nouveau parlement, plus favorable. Un nouveau vote lui permettrait également de se voir légitimer après avoir été « mal élu » par les seuls adhérents du parti conservateur après la démission de Theresa May.

46 % des Britanniques se disent aujourd’hui opposés à de nouvelles législatives d’après le même sondage YouGov (35 % y sont favorables). Mais privé de sa majorité, Johnson n’a aujourd’hui plus rien à perdre à pousser vers une nouvelle législature. De plus, dès a prise de position il n’a cessé de poser les bases pour sa campagne de réélection – de manière assez habile.  « En jouant des divisions dans son parti, Boris Johnson a réussi à donner une image d’un parti cohérent autour d’un hard Brexit », estime ainsi Agnès Alexandre-Collier. Si une nouvelle campagne devait avoir lieu avant le 31 octobre, elle serait certainement centrée autour de la question du Brexit – et donc à son avantage.

Une opposition qui peine à se former

Paradoxalement, le chef de file de l’opposition, Jeremy Corbyn, après avoir demandé une dissolution du Parlement pendant deux ans, ne veut maintenant plus d’élections. Il s’est concentré sur le vote de la loi de report du Brexit, qui met Johnson dans l’embarras. Ce dernier a d’ailleurs laissé entendre qu’il ne la respecterait pas, avait d’ironiser : « Jamais dans l’histoire un parti d’opposition ne s’était vu offrir une chance d’avoir une élection et ne l’avait rejetée ». De fait, le leadership très clivant de Jeremy Corbyn, ains que son absence de ligne claire sur le Brexit, le pénalisent et ce dernier ne devrait pas être en mesure de remporter la première place si le vote intervenait prochainement.

Aujourd’hui, ce sont principalement les libéraux-démocrates (centre proeuropéen) qui devraient bénéficier de ces manœuvres entre les deux grande familles politiques britanniques. Le parti semble espérer former une alliance avec les travaillistes si le mauvais score de Corbyn le forec à jeter l’éponge et laisser place à une direction plus modérée de son parti. Aussi ces derniers pourraient pousser en faveur d’un vote rapide après le 31 octobre. Mais pour l’heure, la nouvelle responsable du parti, Jo Swinnson, rejette le controversé chef travailliste estimant qu’il est « impossible qu’il puisse unir les conservateurs rebelles avec les indépendants pour défier Boris Johnson ».

Pour l’instant, ce dernier est dans l’embarras. « C’est comme si Boris Johnson était en prison : il n’a plus de majorité et il ne peut pas convoquer de nouvelles élections », commente Federico Fabbrini, directeur du Brexit Institute à Dublin. Mais faute de la formation d’un front commun des anti-Brexit, l’avantage à terme semble toujours dans le camp des Brexiters. Il ne sera en effet pas éternellement possible de repousser la dissolution des communes et actuellement, le débat n’est plus tant de sortir ou rester, mais sortir avec ou sans un accord. Une bonne nouvelle pour Nigel Farage, qui se fait discret et organise son jeune parti au niveau national de sorte à récupérer les déçus de Boris Johnson.  

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