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Le Labour se déchire sur la question du Brexit

Ambiance tendue à Brighton, où se tient le congrès du Parti travailliste britannique. Les adhérents et élus du parti ont jusqu’à mercredi pour trouver un semblant d’unité sur la question du Brexit. Pas une mince affaire, lorsqu’on sait à quel point le sujet divise le pays. Pas une mince affaire, également parce que l’actuel chef de file du parti est un eurosceptique notoire, qui freine des quatre fers alors que sa base pousse dans sa large majorité vers un second referendum. Une crise illustrée par la manœuvre ratée de Jon Lansman, le fondateur de Momentum, un mouvement pro-Corbyn interne au Labour, d’abolir le poste de numéro deux du parti, afin d’en exclure Tom Watson un député proeuropéen.

Depuis peu, Watson appelle en effet le Labour à soutenir « sans ambiguïté » le maintien dans l’UE lors d’un référendum qui selon lui doit se tenir avant même des élections législatives anticipées.  Selon le ténor travailliste, le Labour doit « devenir le parti du “Remain” ». Réponse sans appel de Corbyn : « Seul un gouvernement Labour remettra le pouvoir entre les mains du peuple ». Ce dernier continue son double discours en promettant qu’en cas de second référendum il ferait campagne pour la position choisie par les membres du Labour, tout en refusant d’afficher clairement sa position personnelle.

En restant neutre et en s’effaçant derrière le choix des députés travaillistes, il ouvre une parte. Mais la cela ne constitue pas un garantie suffisante pour les europhiles du parti. « Cette position se révélera intenable en cas d’élections législatives », a ainsi prévenu l’ex-Premier ministre Tony Blair. L’ancien dirigeant craint de voir sa formation « prise en tenailles » entre les conservateurs aujourd’hui partisans d’une sortie sans accord, et les Libéraux-démocrates, désormais favorables à l’annulation pure et simple du Brexit. « C’est comme si l’on voulait participer à une course de chevaux avec un chameau alors que vos adversaires ont des pur-sang » a-t-il ironisé.

Le Labour en berne

Si la pression s’accentue sur le dirigeant travailliste, c’est que les mauvais présages s’accumulent : un sondage YouGov, publié lundi, montre que 54% des personnes ayant soutenu le Labour en 2017 estiment que Corbyn devrait démissionner. A contrario, seuls 29% des électeurs de gauche pensent qu’il devrait rester à la tête du parti. Mais plus largement, Corbyn est en nette perte de vitesse au niveau national : seul 22% des électeurs britanniques, tout bord confondu, ont une bonne opinion de lui, d’après un récent sondage Ipsos MORI. Cela écarte largement tortue chance d’obtenir une majorité, même dans un vote de dépit.

L’approbation globale de l’action de l’actuel Premier ministre, Boris Johnson est quant à elle de 33%, malgré ses ratés à répétition. Si la cote de confiance de Corbyn est la plus basse jamais enregistrée pour un leader de l’opposition au Royaume-Uni, le parti lui-même n’est pas si fringuant, avec seulement 13,6 % des voix lors des dernières élections européennes, soit un recul de 10,8 points sur cinq ans. Un glissement qui apparait ans les pronostics en cas d’élections anticipées : avec 24,5% le Labour aurait plus de dix points de retard sur les conservateurs selon une compilation de la London school of economics.

Pour ne rien arranger, Corbyn a perdu l’un de ses proches conseillers la semaine dernier, Andrew Fishern, qui a démissionné car il ne « croit pas aux chances du parti lors des prochaines élections ». Aussi, pour le chef de file, la situation s’est totalement inversée par rapport à sa prise de pouvoir, en 2015. Il était alors largement soutenu par les électeurs travaillistes et houspillé par les cadres de son parti. Les signes de son affaiblissement se sont multipliés en amont de la conférence annuelle du Labour. Et si ses troupes se sont depuis mobilisées pour faite front commun, l’effort mais peine à cacher les difficultés de leur poulain.

Quel compromis choisir ?

« Il n’y a qu’un obstacle à une victoire du Labour qui devrait être un raz de marée : Jeremy Corbyn », s’est récemment emporté le député travailliste John Mann. « Je lui ai dès lors demandé une fois de plus de démissionner pour laisser le parti gagner le pouvoir ». Il défend sa position par le fait que tourner le dos aux habitants de ces régions pourrait coûter cher au parti – et tuer la carrière des élus de ces mêmes régions. C’est pourquoi il a démenti les rumeurs insistantes autour de son éventuelle démission, dimanche. Corbyn se dit en quête de compromis – une initiative tout à fait louable à l’heure où les institutions démocratiques se trouvent malmenées dans leur légitimité, bien que l’exemple de Theresa May laisse sceptique quant à ses chances de réussir.

Pris au cœur de promesses politiques tout azimuts des pro et des antis, ce positionnement peine à trouver des échos favorables. C’est pourquoi ses opposants au sein du parti poussent vers un autre compromis avec les libéraux-démocrates, qui ont récupéré bon nombre des voix des travaillistes partisans du maintien dans l’UE lors des européennes, donnant le ton pour les votes à venir. Jo Swinson, la nouvelle chef des LibDem a bénéficié de sa ligne politique 100 % remain – elle promet même de révoquer l’article 50 (d’annuler unilatéralement le divorce avec l’UE) en cas de victoire. Une position aux antipodes de l’ambiguïté assumée de Corbyn. Et si son parti voudra s’aligner dessus, il est fort à parier qu’il faille lui passer sur le corps d’ici demain.

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