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Une « minorité forte » pour Justin Trudeau

Après une campagne à tombeau ouvert, le chef du parti libéral canadien, Justin Trudeau, peu enfin souffler. Au lendemain des élections fédérales, il est encore en tête. Bien que largement fragilisé, il va très certainement rester à la tête du pays. Son Parti libéral a en effet réussi à totaliser près de 157 sur les 338 que compte la Chambre des Communes à Ottawa. Aussi, il lui en manque une dizaine pour atteindre la majorité. Il devra donc former un gouvernement minoritaire et chercher le soutien d’autres formations politiques.

Jusqu’à la dernière minute, les Conservateurs y croyaient pourtant. Non seulement le parti d’Andrew Scheer talonnait Trudeau dans les sondages, mais ce dernier était tombé au plus bas dans l’opinion (avec seulement 35% d’avis favorables). Il a finalement été élu, malgré avoir réalisé le score le plus faible de tout gouvernement canadien en 152 ans d’indépendance – moins de 35 % des votes. En outre, Trudeau doit sa victoire au système électoral, qui a pénalisé le parti de droite, qui se serait imposé d’un cheveu en cas de proportionnelle.

Avec 65,95 % des électeurs inscrits ont été voter cette année contre 68,3 % en 2015 et la perte de sa confortable majorité absolue de 177 sièges, Trudeau essuie donc une double déconvenue : il n’aura pas su mobiliser ses électeurs. Et s’il reste à la tête du pays, il dépendra d’ententes publiques sur des initiatives particulières – fait assez habituel dans le jeu politique canadien. En face, son grand rival, le conservateur Andrew Scheer, obtient 121 sièges.

Le prix des scandales

Avec une victoire aussi écrasante que surprenante en 2015, Trudeau avait mis un terme à dix années de conservatisme incarnées par Stephen Harper. Il avait su tirer une grande popularité due de sa modernité de programme comme dans sa communication. Mais il a été mis à mal par des couacs à répétition lors de son mandant (« blackface », accusation d’inconduite sexuelle pendant ses études, ses deux voyagés, aux frais de son hôte, sur l’île privée de l’Aga Khan, aux Bahamas). Aussi, le candidat qui voulait incarner le changement a été taxé par nombre de ses soutiens politiques d’hypocrisie.

A cela il faut ajouter une affaire d’ingérence politique dans une procédure judiciaire visant le géant canadien SNC-Lavalin. L’ancienne ministre canadienne de la justice, Jody Wilson-Raybould, l’accuse en effet de « pressions constantes et soutenues » et des « menaces voilées » pour obtenir la fin des poursuites contre le groupe d’ingénierie. Aussi, plombé par les affaires, beaucoup estiment que Trudeau doit davantage sa victoire à la peur d’avoir le très conservateur Andrew Scheer qu’à un réel soutien populaire.

Le conservateur aura certainement souffert de son hostilité personnelle à l’égard de l’avortement et de ses postures flirtant avec le déni climatique le plus obscène. Conscient d’être clivant Scheer avait fait campagne sur le terrain économique, promettant un retour à l’équilibre budgétaire, des baisses d’impôts, avec un objectif simple : « Remettre de l’argent dans la poche des Canadiens ». Un choix assez peu avisé compte tenu du bilan économique solide de Trudeau – une croissance solide et un chômage à son plus bas depuis quarante ans.

Le rassemblement à gauche

Si Justin Trudeau s’est fait, lors de son premier mandant, une réputation de rassembleur, il devra plus que jamais s’en servir pour parvenir à former une coalition. La première option sur la table est un rapprochement avec le Bloc Québécois, arrivé troisième avec 32 sièges. Avec ce retour en grâce, le parti est à nouveau reconnu comme un parti officiel à la Chambre des communes, et récupère de ce fait l’accès aux ressources qu’il avait perdues en 2011. Il a largement profité d’un recul du Parti libéral et du NPD, ayant reçu le soutien des mêmes électeurs, une alliance est donc théoriquement possible. Pourtant elle reste improbable car incompatible avec le ligne indépendantiste de la formation.

C’est donc le Nouveau parti démocratique (NPD), une formation de gauche emmenée par Jagmeet Singh, qui devrait s’imposer en nouveau faiseur de roi et transformer ce scrutin en opportunité politique. Avec 24 sièges, il sera un allié suffisant pour assurer une majorité aux libéraux. M. Singh, conscient de ses atouts a déjà indiqué dans un discours qu’il ne fera partie d’une majorité que si celle-ci s’attaque de front au changement climatique, à une assurance-médicaments universelle, qu’elle développe le logement abordable et entame une réconciliation plus sincère avec les autochtones.

Le prix à payer est raisonnable pour le parti libéral. Ce sont justement les atermoiements de Trudeau sur ces dossiers – qui s’était présenté comme le parangon du progressisme – qui lui ont couté nombre d’électeurs. Aussi sa survie politique dépendait de toute façon d’avancer sur les dossiers de l’environnement et des programmes sociaux. « Nous comprenons la responsabilité qui nous est impartie. […] Les Canadiens ont envoyé un message clair : ils s’attendent à ce que le Parlement travaille pour eux. Et nous allons nous en assurer », a pour sa part annoncé un Jagmeet Singh conciliant.

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