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Afrique : une influence française plus raisonnable

Travailleurs africains

De plus en plus discrète depuis la fin de la colonisation, la présence française en Afrique ne se résume pas qu’aux multiples déboires militaires essuyés par le passé. L’influence tricolore peut aussi revêtir d’autres formes à travers des projets sur le long terme et des partenariats de terrain.

Le 11 novembre 2019, à l’occasion de la traditionnelle cérémonie de commémoration de l’Armistice de 1918, Emmanuel Macron a inauguré le nouveau monument aux Morts pour la France en opérations extérieures. Le dévoilement officiel de cet ouvrage fut l’occasion pour le chef de l’État de rendre hommage aux 549 soldats tombés au combat depuis 1963. Chaque année, une dizaine de militaires français trouve en moyenne la mort dans les zones de combat où la France est présente. Le 2 novembre, le nom de Ronan Pointeau est le dernier à s’être ajouté à cette liste. Le brigadier-chef est décédé suite à une attaque de Daesh dans la région du Liptako, entre le Mali et le Burkina Faso. Une cinquantaine de soldats maliens aurait également péri au cours de ce drame. Présente sur place depuis janvier 2013 via l’opération Serval, l’armée française compte déjà 23 victimes au Mali.

Lancée en août 2014 dans l’ensemble de la région du Sahel et du Sahara, l’opération Barkhane fait, quant à elle, état de 28 militaires français tués au service. Destinée à contrer la résurgence des combattants djihadistes au Sahara, Barkhane a pris la suite des opérations Serval au Mali et Épervier au Tchad, où 128 soldats tricolores ont déjà péri. Après avoir mobilisé plus de 4 500 hommes en cinq ans, elle suscite de nombreuses interrogations devant son incapacité à sécuriser les cinq États de la région. À travers l’opération Barkhane, l’incapacité de la France à juguler la présence terroriste dans le Sahel et le Sahara rappelle d’autres interventions contestées, voire même condamnables.

En 2011, l’offensive militaire française en Libye contre l’ex-dictateur Mouammar Kadhafi est gravement mise en cause. En 2016, un rapport de la commission des affaires étrangères britannique a conclu qu’elle était fondée sur «des postulats erronés», «une analyse partielle» de la situation et sans vérification de «menace réelle». Au contraire, les ordres donnés par le président français Nicolas Sarkozy, soutenu par le premier ministre britannique David Cameron, auraient été motivés par d’autres intérêts, comme l’accès au pétrole libyen, l’accroissement de l’influence française en Afrique du Nord et une ambition politique personnelle, dénonce Sidney Blumenthal, ancien conseiller d’Hillary Clinton (alors secrétaire d’État américaine), dans ce rapport.  Depuis l’intervention française et la chute de Kadhafi, la Libye traverse une période de grande instabilité politique, dont l’État français semble s’être aujourd’hui détourné.

Mais en matière d’ingérence militaire, l’opération la plus contestée demeure celle de juin 1994 au Rwanda. Plus de deux mois après le début du génocide des Tutsis, l’armée française a déployé 2 500 soldats dans le pays ravagé par la guerre civile. En deux mois, près d’un million de civils, principalement de la minorité tutsie, a été massacré par les milices hutues, avec le soutien actif de l’armée rwandaise. Mais au lieu de venir en aide aux victimes, l’opération Turquoise dépêchée par la France aurait soutenu les militaires du régime dans leur combat contre les rebelles du FPR (Front patriotique rwandais), qui luttaient contre le génocide. Ce n’est que lors des tout derniers jours du conflit que l’État-major français se serait rendu compte de sa méprise et aurait sauvé entre 10 000 et 17 000 Tutsis d’une mort certaine. Aujourd’hui encore, le sujet reste pour le moins sensible au sein de l’armée française. Lors d’un récent colloque organisé le 15 juin par le ministère des Armées, le général François Lecointre, actuelle chef d’État-major des Armées, a affirmé qu’« il n’y a[vait] pas de gentils, pas de méchants », ni de « vérités simples »…

Société Générale, Telecel, Total… : le virage du boom démographique en Afrique

L’échec de la France à conserver son influence sur l’Afrique ne se limite pas uniquement au champ militaire. Il se vérifie parfois sur le terrain économique, où de nombreuses sociétés françaises ont continué à exploiter les ressources africaines bien après la fin des colonies. Heureusement, le temps des accords opaques entre grands groupes tricolores et chefs d’État africains, sous le haut patronage de l’Élysée et sans redistribution aux populations locales, semble de plus en plus dépassé. Les vieux relents de la Françafrique et d’une présence française dite sentimentale laissent progressivement place à des échanges commerciaux plus horizontaux et plus inclusifs, même parmi les grands groupes.

Parmi les géants du CAC40, certains ont ainsi amorcé un virage à 90 degrés dans leurs relations avec le marché africain à l’image de L’Oréal, qui a transféré son centre de recherche sur les cheveux africains et peaux noires des États-Unis à l’Afrique du Sud, ou de Danone, qui a créé une Direction Afrique en 2015. Ces dernières années, la Société Générale aussi s’est adaptée aux besoins d’une population en plein boom démographique en renforçant sa présence dans 19 pays d’Afrique. « Nous misons sur l’Afrique parce que ce continent représente de la croissance à long terme, quand la vieille Europe a des perspectives de croissance plus incertaines. Les marchés bancaires y sont encore jeunes et la démographie est particulièrement dynamique, explique Frédéric Oudéa, directeur général du groupe bancaire. Nous souhaitons que cette croissance soit inclusive pour tous les acteurs économiques. Nous voulons nous appuyer sur des talents africains, créer des pôles d’expertise sur le continent et jouer sur les synergies panafricaines. »

La Société Générale a ainsi développé le programme Grow with Africa pour accompagner financièrement les PME du continent et créé le service de mobile money Yup. Elle recherche un partenariat avec un acteur bancaire panafricain pour doubler sa part de chiffre d’affaires à l’international, actuellement à 5 % en Afrique. D’autres acteurs majeurs de l’économie française suivent ses pas comme Total, qui s’apprête début 2020 à forer un nouveau puits d’exploration au large de l’Afrique du Sud. Sur ce projet, le groupe français collabore notamment avec un consortium sud-africain, Main Street. Il développe également des projets solaires via sa filiale SunPower, qui fabrique localement des panneaux photovoltaïques, et alimente 70 000 foyers du Cap en électricité via sa centrale solaire mise en service en 2016.

D’autres groupes français contribuent au développement économique et technologique de régions moins développées du continent, comme Telecel Group en République centrafricaine. L’opérateur a investi en 2015 dans le pays d’Afrique centrale, alors qu’il était en pleine guerre civile. Aujourd’hui, sa filiale centrafricaine affiche d’excellents résultats économiques, qui l’encouragent à monter de nouveaux projets en Afrique de l’Ouest. « Notre modèle d’affaires est et restera le développement et la redynamisation de sociétés en difficulté » explique Laurent Foucher, son codirigeant. En 2015, nous avions promis aux autorités politiques de l’époque qu’en dépit de la situation tragique que traversait le pays et l’impact sur ses opérateurs économiques, aucun licenciement économique ne serait effectué. Cinq ans plus tard, la promesse a été tenue : Telecel RCA est aujourd’hui une société en bonne santé, premier contributeur du trésor public et donc les salaires sont parmi les plus élevés du pays. » CQFD.

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