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Daech, touchée mais pas coulée

Même ceux qui vivent dans une grotte ont dû l’entendre : le chef du groupe Etat islamique (EI), Abou Bakr Al Baghdadi est mort. Il s’est donné la mort, dans la nuit du samedi 26 au dimanche 27 octobre, pris au piège lors d’une opération des forces spéciales américaines, au nord-ouest de la Syrie. La maison où il se cachait a ensuite été détruite par une frappe aérienne pour empêcher que le site ne soit transformé en sanctuaire pour celui qui a dirigé l’organisation terroriste pendant 10 ans. Sa mort est le point culminant d’une série de revers qui se sont enchaîné ces dernières années et a vu Daech perdre toutes les villes qu’elle contrôlait.

De plus, moins d’un jour après la mort d’Al Baghdadi, Abou Hassan Al Mouhajir, ex-porte-parole de Daech, pressenti pour le remplacer, a été tué lors d’une frappe aérienne. Ces derniers jours ont donc constitué un choc énorme pour Daech, avec la perte de celui qui avait été surnommé « le fantôme » du fait de sa capacité à échapper aux raids aériens répétés de la coalition. Il était, en outre, le « conquérant » de Rakka et de Mossoul. Il avait su relever l’organisation, au plus mal lorsqu’il en a pris les rênes. C’est donc un personnage quasi mythique qui a finalement été rattrapé par ses crimes. Mais il s’agissait également d’un radical, assez peu charismatique et peu porté sur la communication.

Vers une nouvelle incarnation du « calife »

Al Baghdadi n’est donc pas irremplaçable. Sa mort ne signifie pas non plus la fin de la « guerre contre le terrorisme » comme semblait le laisser entendre Donald Trump. On connait d’ailleurs déjà le surnom de son successeur – les dirigeants de l’organisation djihadiste se voient généralement attribuer un nouveau nom de guerre lorsqu’ils sont nommés à une nouvelle fonction. Le « nouveau calife » sera donc Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi – un nom qui nous indique qu’il appartient à la dynastie des Hachémites, descendants du prophète de l’islam, Mohamed et qu’il est membre de la tribu des Quraysh, celle du prophète.

Ses nouvelles fonctions aient été entérinées par le « Majlis choura », l’assemblée consultative de Daech. Les experts pensent qu’il peut vraisemblablement s’agir de deux personnes : l’irakien Hajji Abdullah (pseudonyme), ancien officier de l’armée de Saddam Hussein, qui fut l’un des principaux adjoints d’Al-Baghdadi, ou Hajji Hamid, l’homme qui fut un temps en charge des finances de l’organisation. Quelle que soit son identité réelle, « ce dernier va devoir sortir de l’ombre à un moment donné afin de donner un visage au califat, pour renforcer sa crédibilité et attirer des partisans » note justement Wassim Nasr, journaliste à France 24, spécialiste des mouvements djihadistes.

Survie de la « marque » mondiale

La question sur toutes les lèvres est désormais la suivante : ce nouveau venu pourra-t-il rallier de nouveaux adeptes ? L’idéal utopiste d’une révolution religieuse, qui a porté le succès initial de Daech, a en effet désormais du plomb dans l’aile. En outre, les exactions de l’organisation lui ont coûté en soutien local : « Les populations locales ont vu son vrai visage. Elles ont été témoin des décapitations, de la dérive extrémiste. Elles ont été victimes du racket imposé par le prélèvement de taxes. Aujourd’hui, les gens sont fatigués », remarquait ainsi le colonel Hassan Rajoub, chef de la 23e division de l’Armée syrienne libre.

Mais les frustrations et la colère qui ont vu Daech grandir sont encore bien présentes. Et à cela il faut ajouter le nombre important de djihadistes entrés dans la clandestinité devant l’avancée de la coalition au sol et qui n’attendent qu’une chose : de reprendre les combats sous de meilleures auspices. Aussi, d’un projet de califat, l’EI est redevenu une organisation terroriste classique, qui ne cherche pas à contrôler de large territoire. L’annonce du décès d’Al Baghdadi a également été suivie d’une vague ininterrompue d’attaques dans le nord de la Syrie, comme pour rassurer les soutiens du groupe terroriste : Daech n’est pas morte avec son leader.


Il est donc probable que l’EI connaisse une phase d’essor après la série d’échecs cuisants qui l’a vu presque tout perdre – et ce d’autant que le retrait américain suivi de l’offensive turque dans le nord de la Syrie n’ont fait qu’aggraver la volatilité de la région. Après tout, la seule porte de sortie serait un retour de la stabilité politique et sociale au nord de la Syrie et de l’Irak, ce qui est loin d’être acquis. Mais plus largement, Daech joue désormais sa survie bien au-delà de son berceau original irako-syrien. Le groupe a su surfer sur des dynamiques endogènes pour s’implanter dans de nombreuses autres régions (le Sinaï égyptien, l’Asie du Sud-est le Bangladesh ou la Somalie) et y a développé des racines profondes, encore renforcées par l’humiliation qu’est la fin du rêve de califat.

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