Site icon La Revue Internationale

70 ans de l’OTAN : l’âge de la retraite ?

L’Otan fête son 70ème anniversaire à Londres à l’occasion d’un sommet sous pression. Intérêts divergents, dirigeants autoritaires incapables de compromis, absence de vision commune, 30 années sans guerre froide, raison première de cette alliance, ont créées des états d’âme existentiels chez ses membres. L’organisation « la plus réussie de l’histoire », assurait ad nauseam son secrétaire général, Jens Stoltenberg, serait-elle au bord de l’implosion ? Pas certain. Le Président américain, Donald Trump, qui la qualifiait il y a peu d’ « obsolète » s’est depuis transformé en ardent défenseur de l’Alliance atlantique. Avant de se dire, dans le même souffle, prêt à punir les membres mauvais payeurs, à qui il veut imposer de nouveaux droits exubérants.

L’OTAN n’en est plus à une crise près : d’un côté on a les Etats Unis multiplient les menaces contre ses alliés pour les forcer à augmenter leur contribution budgétaire, afin qu’ils achètent davantage d’armes américaines. De l’autre, l’attaque militaire de la Turquie en octobre dernier en Syrie, qui va à l’encontre les intérêts de ses alliés occidentaux. Elle intervient après des années de provocations de Recep Tayyip Erdogan. Rappelons, par exemple, qu’il a choisi de s’équiper d’un système anti-missiles russe, exposant ainsi tous les systèmes de défense intégrés de l’alliance à son ennemi historique. Une décision qui revient à « faire entrer le loup russe dans la bergerie », estimait Jenny Raflik, professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Nantes.

Des divergences dans la hiérarchie des menaces

La situation est par bien des égards inédite – et en totale violation de l’Article 7 du traité, qui impose la transparence et le consensus entre états signataires. Ces dévires ont valu à l’alliance d’être qualifié de « junior partner des Américains » par le Président français Emmanuel Macron. Ce dernier a provoqué une vive controverse en estimant l’OTAN « en état de mort cérébrale ». L’Allemagne s’est empressée de critiquer cette sortie – bien qu’en « off », ils partagent le même diagnostic. Berlin pense toutefois que la Russie reste une menace pour l’Europe, citant l’annexion de la Crimée en 2014 et guerre civile fomentée en Ukraine. Elle a rapidement été rejointe par les autres pays d’Europe centrale et de l’Est qui – l’histoire a laissé des séquelles – craignent pour leur sécurité.

Si les peurs d’une invasion relèvent aujourd’hui du fantasme, l’attitude disruptive de Moscou est bien réelle. « La menace véritable, aujourd’hui, est d’abord de ‘basse intensité ‘– on pense en particulier à la désinformation ou aux cyberattaques visant à dresser les peuples les uns contre les autres, et à saper la confiance des Européens dans l’Otan et dans leurs institutions nationales », analyse ainsi Martin Michelot, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors. Pour Paris, cependant, abandonner la logique de la guerre froide serait de nature à réduire le risque d’agressions de Moscou, en sortant le Russie de son assiègement stratégique. Des désaccords qui questionnent : l’OTAN ne contribue-t-il justement pas au « monde instable » décrit par M. Stoltenberg pour justifier son existence ?

Des désaccords assumés

Les sorties d’Emmanuel Macron lui ont valu d’être copieusement insulté par son homologue turc, l’accusant d’être lui-même en « état de mort cérébrale ». Le président français a alors répliqué en appelant Ankara à clarifier ses « ambiguïtés » vis-à-vis « des intermédiaires de l’EI » quelques jours seulement avant un dîner Turquie-France-États-Unis à Buckingham Palace. De quoi titiller le colérique dirigeant turc, qui martèle que ce n’est pas son pays qui s’associe à des terroristes, mais certaines puissances occidentales, qui soutiennent politiquement les forces kurdes. Aussi, on imagine que cette rencontre, qui devait précéder les cérémonies des 70 ans de l’alliance, a dû prendre des airs de dîner de Thanksgiving en période électorale.

On retrouve dans cet étalement des conflits en plein jour les répercussions mondiales de la diplomatie disruptive à la Trump. D’autres pays s’essayent à l’exercice, l’histoire nous dira à quel prix. « Le plus extraordinaire, et il fallait écouter les commentaires stupéfaits des journalistes américains hier après la conférence de presse commune de Trump et Macron, c’est que plus personne ne fait d’efforts pour cacher ces divergences » note ainsi l’analyste Pierre Haski. « Les États-Unis sont en train de partir, les Européens doivent se préparer à se défendre sans eux ; les Européens lui répondent ‘chut, vous allez les faire partir’ » a pour sa part ironisé l’ancien ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, volant au secours du Président français.

De nouveaux enjeux

Les faits sont éloquents : après le Brexit, 80 % des forces de l’OTAN viendront de pays non-membres de l’Union européenne. Une situation qui a fait dire à l’ambassadrice française à l’OTAN, Muriel Domenach : « Il n’y a pas d’alternative à un effort accru des qui fait dire à Européens pour leur sécurité. Pas dans le but de remplacer l’OTAN, simplement parce que cela est obligatoire. Sauf si nous nous préparons à être l’enjeu d’autres rivalités stratégiques. » Une défense européenne dont la France veut prendre la direction, étant le seul pays européen disposant de capacités opérationnelles, comme l’a rappelé le « prix du sang » payé au Mali de la semaine dernière.

Si Emmanuel Macron n’a de cesse de multiplier les appels de pied, la forme que cette défense commune pourrait prendre reste incertaine – sans parler de ses espoirs de réussite à court terme.

Une telle initiative sera en tout cas impossible tant que les européens doutent de leur capacité collective. Restent par ailleurs les questions plus larges, à l’image de l’abandon de facto du traité russo-américain sur les Forces nucléaires intermédiaires, alors que Washington et Moscou s’accusent mutuellement de violer, le réchauffement climatique ou encore les questions bioéthiques, récemment remises au premier plan par l’annonce de la naissance de « bébés OGM » en Chine. Ces enjeux ne pourront être traités qu’à travers une coopération internationale la plus large possible. Un autre terrain où l’OTAN semble quelque peu dépassée.

Quitter la version mobile