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Reprise timide du dialogue entre Poutine et Zelensky à Paris

Les dirigeants russe et ukrainien ont échangé à Paris mardi en présence d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel, pour la première rencontre au format « Normandie » depuis 3 ans. Vladimir Poutine agissait en tant que médiateur de façade des 40 000 séparatistes armés qui mènent une guerre d’indépendance à Kiev depuis 2014. Depuis, les deux camps sont aux antipodes, malgré des efforts d’apaisement répétés. L’élection, en avril dernier, du candidat hors-système Volodymyr Zelensky (avec 73 % des voix) toutefois a relancé un dialogue après trois ans de blocage politique total. Ce sommet s’est achevé par la promesse d’un nouveau rendez-vous dans 4 mois.

La guerre civile ukrainienne a causé plus de 13 000 morts en cinq ans et déchiré le pays en deux, rendant la vie impossible aux habitants vivant près de la zone de front et dans les régions indépendantistes. Des résolutions ont toutefois été prises ces derniers mois afin de paver la voie à cette rencontre et faire baisser les tensions. Un désengagement militaire a ainsi été organisé dans trois zones pilotes le long de la ligne de front. L’Ukraine et la Russie ont également procédé à l’échange de 70 prisonniers début septembre, et le retour de trois navires de guerre ukrainiens à la mi-novembre, saisis un an plus tôt par la Russie près du détroit de Kertch.

Au terme de la rencontre à l’Elysée, il a été décidé d’un nouvel échange de prisonniers pour le 31 décembre prochain. L’Ukraine n’est pas sortie d’affaire pour autant. « La situation reste très mauvaise sur le terrain », explique Ioulia Shukan, chercheuse à l’université Paris-Nanterre, familière du Donbass. « Beaucoup d’usines ont fermé, le chômage explose. On constate des difficultés de déplacement sur la ligne de front dans un rayon de 50 km, ainsi que des tirs réguliers, quotidiens, pour des raisons surtout tactiques, en des points de tension. » Quant au cessez-le-feu, il « a été proclamé à vingt reprises ces dernières années et à vingt reprises il a été violé » rappelait Zelensky.

Une seconde vie pour les accords de Minsk ?

La sortie de crise devait être supervisée par les accords de Minsk, signés entre les deux parties en 2015. Ce texte prévoyait notamment la tenue d’élections locales libres dans les républiques séparatistes du Donbass. Mais la Russie demande un statut spécial prévu pour l’Est insurgé avant tout vote. Une requête inadmissible pour Kiev, qui pose la reprise en main de sa frontière orientale comme condition à tout vote. L’Ukraine considère la cession de ses territoires et la fédéralisation comme des lignes rouges. Chaque partie attend donc un geste de bonne volonté de l’autre en amont de ce vote. « C’est le séquençage de Minsk qui détermine le vainqueur et celui qui capitule », résume l’analyste russe Vladimir Frolov.

Un blocage qu’on a retrouvé au cœur de la rencontre d’hier. « Nous n’avons pas trouvé de solution miracle », a reconnu le président français. Zelensky s’est montré plus désabusé : « Le résultat de ce sommet pour moi n’est pas à la hauteur de mes attentes, j’aurais souhaité régler davantage de problèmes ». Porté au pouvoir par une population pleine d’optimisme, il s’est heurté à la complexité de ce dossier. « Beaucoup de questions ont été abordées, mes homologues ont dit que c’est un très bon résultat pour une première rencontre. Pour moi, je le dis honnêtement, c’est très peu », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à l’issue de cette réunion.

La (timide) ouverture russe

« Sur la question de la frontière, les positions sont divergentes » a également reconnu Vladimir Poutine. « Mais notre position est celle prévue par les accords de Minsk. Pourquoi les remettre en cause ? » Le dirigeant russe a voulu être rassurant : « Le processus est en train de se développer dans la bonne direction, parce qu’il y a eu des échanges de prisonniers, parce que nous sommes arrivés à un désengagement dans trois points clés et parce que nous nous sommes retrouvés dans ce format Normandie ». Et pour cause, il parvient à obtenir la libération de soldats – dont de nombreux soldats russes capturés par l’armée ukrainienne – sans réel cout politique. Il espère un apaisement, qui permettrait une amélioration des conditions de vie des prorusses du Donbass.

 « On a interprété de façon trop positive les gestes récents de la Russie, comme les premières libérations de prisonniers ou le retour des navires de guerre, totalement inutilisables car saccagés. Cela ne leur coûte rien politiquement. La vraie bonne volonté consisterait à favoriser un désarmement dans le Donbass », souligne ainsi Mathieu Boulègue, expert au cercle de réflexion Chatham House à Londres. « On a du mal à accepter qu’il faut progresser par petits pas dans l’est de l’Ukraine, avec une approche humaine, avant de se lancer dans des considérations politico-électorales ». Une approche qui entre toutefois en contradiction avec les termes de l’accord de Minsk.

Un test pour le rapprochement franco-russe

Cette rencontre fait écho au tête-à-tête à Brégançon entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine en août dernier. « Le sommet Normandie permettra de mesurer si oui ou non la Russie est prête à s’engager sur la voie du rapprochement avec les Européens » analysait Céline Marangé, chercheuse à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire, avant la rencontre.  « Chacune avec sa sensibilité, la France et l’Allemagne estiment qu’on n’avancera pas sur la sécurité européenne sans progrès sur la guerre en Ukraine », explique une source française. « C’est le passage obligé. »

Pour Paris, il s’agissait d’obtenir assez de compromis pour prouver que la Russie n’est « plus un ennemi ». Mais la normalisation des rapports avec Moscou requiert des attentes réalistes. « Il semble peu probable que le Kremlin renonce à exercer une influence sur le Donbass et à exiger un statut spécial pour cette région », estime Céline Marangé, « Le coût politique d’un désengagement de l’Est de l’Ukraine serait trop lourd à porter, même pour Vladimir Poutine. La situation dans le Donbass permet par ailleurs de laisser de côté l’annexion de la Crimée. »

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