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Après-Poutine : la Russie peut-elle se passer de son homme providentiel ?

Lors de son discours annuel à l’assemblée fédérale, Vladimir Poutine a pris tout le monde de court en annonçant une vaste réforme de la Constitution russe, juste avant la démission de son Premier ministre, l’historique Dmitri Medvedev. Il a promis d’organiser un référendum afin de mettre à jour les institutions nationales et d’assurer une transition en douceur alors que son dernier mandat touche à sa fin. « Dans mon opinion, ce serait très inquiétant de revenir à la situation du milieu des années 1980, lorsque les dirigeants restaient au pouvoir jusqu’à la fin de leurs jours (et) s’en allaient sans s’être assurés de la mise en place des conditions nécessaires à une passation du pouvoir », a-t-il estimé.

La réforme prévoit un pouvoir parlementaire élargi – il nommera désormais le Premier Ministre – et un affaiblissement des prérogatives présidentielles. Ce dernier ne pourra ainsi plus exécuter que 2 mandats consécutifs stricts. Elle organise également un renforcement des pouvoirs des gouvernements régionaux et procède à un « nationalisation » de la classe politique russe, avec l’obligation d’avoir vécu les 25 dernières années en Russie pour tout candidat à la présidentielle et l’interdiction pour les juges et membres du gouvernement de posséder des permis de séjour à l’étranger. Une nouvelle qui réjouira les opposants ayant fui la répression à l’extérieur du pays.

Ces annonces marquent le début des grandes manœuvres de Poutine, qui cherche à organiser l’avenir politique du pays après son dernier mandat de président, qui s’achève fin 2024. Avec 20 ans au pouvoir, il aura joui de la plus longue domination politique russe depuis Staline. L’annonce de ces réformes s’est accompagnée de la démission du fidèle Medvedev – il avait même servi de doublure et tenu symboliquement la barre entre 2008 et 2012. Ce dernier a justifié sa décision par la nécessité « de donner toute latitude au Président pour prendre les décisions qui s’imposent » en cette période de transition.

Les élites et l’opinion

Vladimir Poutine a ainsi finement joué entre les attentes d’une opinion qui le plébiscite encore largement et de la nécessité de sang neuf à la tête du pays. Il justifie son retrait comme une nécessité démocratique, alors qu’il reste effectivement aux manettes. Quand il dit voir « clairement émerger une demande de changement au sein de la société », il est sincère. Les Russes « ont pour beaucoup le sentiment qu’ils payent la grandeur retrouvée de leur pays au prix d’un affaissement social, en termes de pauvreté, d’éducation, d’infrastructures », note ainsi le spécialiste de la Russie, Michel Eltchaninoff. Mais le changement qu’il propose en réponse, n’est qu’un tour de chaises musicales.

De plus, le sacrifice de Medvedev est opportun : après 8 ans à la tête du gouvernement sa popularité à la fois auprès des élites mais aussi de l’opinion publique, s’est largement érodée. Il était accusé par les uns d’inefficacité et les autres de corruption. Aussi, il aura joué son rôle de fusible politique alors que le pays se lançait dans un ensemble de réformes impopulaires – en particulier la délicate réforme des retraites. Il est remplacé par l’ancien chef du FISC, Mikhaïl Michoustine. Ce dernier est un technocrate de haut niveau, mais un exécutant et non un candidat potentiel à la succession de Poutine – un rôle auquel Medvedev aurait pu aspirer, en particulier après son bref passage à la Présidence.  

Un Président sous contrôle

Aussi, cette modification de l’équilibre des pouvoirs a avant tout pour but de favoriser la continuité du pouvoir. « Ce qui est frappant, c’est que cette relance semble surtout servir les intérêts du président russe » analyse en effet Michel Eltchaninoff. « L’Objectif principal de tous ces changements c’est que Poutine reste numéro 1, qu’il n’ait pas de concurrent, qu’aucun risque politique ne le menace. Que ce soit de la part de l’élite ou de la population » abonde la politologue russe Maria Lipman. « Il y aura une perte relative de pouvoir du prochain président de la fédération de Russie. En d’autres termes, Vladimir Poutine prépare l’arrivée d’un président sous contrôle d’autres instances », poursuit le premier.

On peut par exemple penser au Conseil de sécurité, dont Poutine garde la Présidence, qui pourrait prendre le pas pour les affaires internationales, qui sont les seuls qui l’ont d’ailleurs jamais réellement intéressé. Dmitri Medvedev n’est d’ailleurs pas non plus remercié sans ménagement après des années de bons et loyaux services, puisqu’il a été élu au poste de vice-président du Conseil dans la foulée de de sa démission. Cette « révolution par le haut », promise par le régime, est donc une consolidation du pouvoir de l’homme fort de Russie, au-delà de son poste présidentiel. Aussi, la question « la Russie peut-elle se passer de son homme providentiel » restera, pour l’heure, sans réponse.  

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