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Brexit : le nouveau rapport de force

Alors que certains ont ironisé sur le 31 janvier, « ce jour qui n’a rien changé », la sortie officielle du Royaume-Uni de l’Union européenne a ouvert la voie à la reprise des négociations entre Londres et Bruxelles. C’est reparti pour un nouveau round de tractations, un marathon qui devra être réalisé en format sprint, et à observer les trois dernières années de négociations tumultueuses, les auspices ne sont pas bien encourageants. Et ce d’autant que Boris Johnson a réaffirmé son intention d’aboutir à un accord avant la fin de l’année dans un premier discours aux accents churchilliens.

Le Premier ministre britannique n’a pas manqué de promettre qu’il imposera ses vues commerciales aux Vingt-Sept, confirmant chemin faisant que le Royaume-Uni veut bel et bien s’éloigner des normes européennes. Il appelle à un accord de libre-échange qu’il qualifie d’« ambitieux », et qui passerait pas la quasi-suppression des barrières d’importations, sans toutefois supposer un alignement avec les règles communautaires. Un point rejetté sans appel par les européens. « Le niveau d’accès au marché unique européen sera proportionnel au degré d’alignement du Royaume-Uni sur les règles européennes », a rétorqué le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier.

Comment s’en assurer ? Les deux camps se déchirent d’ores et déjà sur la méthodologie à adopter : un accord par paquets ou un accord global. Londres a bien proposé un « Plan B » sous forme d’une liste de priorités à traiter d’ici à la fin de l’année pour s’assurer de la continuité des relations entre les anciens partenaires. Si pour certains, il ne s’agit que d’une parade visant à ne pas perdre la face lorsque le couperet du 31 décembre tombera, pour d’autres il s’agit d’une première manœuvre afin d’imposer les sujets prioritaires des négociations. Bruxelles attend, circonspecte.

La rhétorique du couteau-tiré

L’empressement britannique d’en finir peut se comprendre : durant la période de négociations, les règles européennes continueront de s’appliquer aux Britanniques sans qu’ils aient leur mot à dire. Soit l’exact contraire ce que les électeurs de Johnson souhaitaient. Fort d’une majorité large au Parlement, le premier ministre compte bien prendre une nouvelle fois son peuple à témoin. En outre, sa famille politique a en quelque sorte été purgée des divergences initialement à l’origine du referendum du Brexit. « Dans le camp des Tories, il ne subsiste plus aucun des remanier : soit ils sont partis, soit ils ne se sont pas présentés, soit ils ont perdu leur siège » note Agnès Alexandre-Collier, Professeur en civilisation britannique à l’Université de Bourgogne.

Après trois ans et demi de divisions, Johnson a bien compris que le meilleur moyen de réunir les britanniques c’est de leur trouver un ennemi commun. Et à ce propos, le choix d’une rhétorique belliqueuse a commencé bien avant le 31 janvier : les brexiters ont fait porter sur Bruxelles la faute de la paralysie des négociations tout au long de la bérézina qu’a été le mandat de Theresa May, alors que c’est justement l’absence de majorité britannique qui bloquait le processus. « C’est la première fois où il ne s’agit pas d’encourager la convergence, mais de maîtriser la divergence » a prévenu M. Barnier. Dans cette optique, Bruxelles demande un mécanisme permettant de régler d’éventuels différends – prévoyant notamment des sanctions, voire de suspendre le futur « deal ». Ambiance.

Un test pour l’unité des 27

Il semble de prime abord que la stratégie de l’offre à prendre ou à laisser choisie par Londres n’est pas féconde. Et ce d’autant que sa proposition est bâtie sur deux contradictions fondamentales – outre ses contradictions avec le modèle européen lui-même. « Boris Johnson promet un accord dérégulé, défiscalisé, et il soutient en même temps une relance par la consommation et une politique d’investissement, mais ce sont deux modèles contradictoires » souligne Agnès Alexandre-Collier. Dans le même temps, le Premier ministre souhaite « revenir à l’esprit de nos ancêtres avec un point de vue réellement international » tout en conservant « un lien étroit » avec l’UE. Ce dernier point est en effet exclu des accords passés avec le Canada ou l’Australie, auxquels les tories se réfèrent constamment.

Qui dit lien dit contrainte, et par un simple effet de masse, l’UE a une capacité plus grande à imposer ses normes. « Avec environ la moitié de leur commerce extérieur réalisé dans l’UE, les Britanniques sont plus dépendants du marché unique que l’inverse, ils seront obligés de mettre de l’eau dans leur vin » opine ainsi Christian Lequesne, professeur à Sciences-Po. Mais pour ça, encore faut-il le bloc reste uni. Johnson tentera certainement de jouer la carte de la division à une époque où l’Europe est justement tiraillée de toutes parts. Le bras de fer s’annonce donc sans pitié et il est fort à parier que les rapports entre britanniques et européens se tendent encore davantage dans les mois à venir.

Un facteur de raison pourrait toutefois éviter l’escalade : les effets d’une discorde sur les marchés financiers, en particulier au Royaume-Uni. « La voix des milieux économiques n’a pour le moment pas été prise en compte, ce qui est une grande première. Elle va obligatoirement jouer à un moment », note ainsi Olivier de France, chercheur en sciences politiques à l’université d’Oxford. La City serait en effet la grande perdante d’un divorce sans accord et fera tout pour l’empêcher, quitte à rappeler à l’ordre son Premier ministre s’il devenait trop bravache.

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