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Législatives en Iran : la fin de l’illusion réformiste

L’Iran a voté vendredi pour renouveler son parlement. Ces législatives, interviennent trois mois après les premières grandes manifestations populaires contre le régime, mais aussi deux jours après l’annonce officielle de l’arrivée du nouveau coronavirus en Iran. Le vote était également marqué par la violente récession de l’économie iranienne du fait de la reprise des sanctions américaines et un contexte de tensions exacerbées entre Téhéran et Washington. Le scrutin a consacré un retour en force des « principalistes » – un courant qui regroupe toutes les tendances du camp conservateur, jusqu’aux plus ultras, pour la plupart opposés à toute négociation avec l’Occident.

« Victoire des candidats antiaméricains, nouvelle gifle à Trump », a réagi le quotidien ultraconservateur Keyhan, pour qui « le peuple a disqualifié les réformateurs ». Mais en réalité, si ce vote a consacré quelque chose, c’est bien la démobilisation des électeurs. Le taux de participation n’a en effet atteint que 42,57% – soit le niveau le plus bas enregistré lors de législatives depuis la révolution islamique de 1979. Un désaveu cinglant pour le régime, qui met cette faible mobilisation sur le dos du coronavirus, de la météo et des « incidents de janvier et novembre ». Le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a même accusé la presse étrangère d’avoir œuvré pour « décourager les gens d’aller voter ».

Une victoire soigneusement organisée

Si certains dénoncent une mascarade, il faut dire qu’avant même le boycott des électeurs libéraux, l’affaire avait mal commencé. Quelques 9 500 candidats, presque tous réformistes, avaient été recalés par le Conseil des gardiens de la Constitution (contrôlé par les ultra-conservateurs) avant le vote.  « On a plus affaire à une sélection plus qu’à un élection » estime ainsi Jonathan Piron, historien au sein d’Etopia, centre de recherche basé à Bruxelles. Aussi, le vote s’est largement limité à un affrontement entre conservateurs et ultraconservateur. L’annonce du rejet de ces candidatures a provoqué la colère du président sortant Hassan Rohani – une colère qui ne pèse pas lourd.

Ce dernier est pieds et poings liés devant les institutions religieuses et militaires du régime. Et ce d’autant ce le boycott de ce vote était également lié à la grande déception qu’a suscité sa présidence : il ne bénéficie même plus de soutien populaire. Les électeurs qui l’ont largement poussé au pouvoir, puis réélu pour un second mandat, ne croient plus qu’il puisse porter le changement qu’il promettait. Sa présidence, par son immobilisme mais aussi la reprise des sanctions américaines au lendemain de l’élection de Donald Trump, ont jeté le discrédit sur les progressistes, et les électeurs qui veulent une ouverture de pays s’en sont détournés. Signal pour le régime, qui reprend la main.

La fin de l’illusion réformiste

Cette séquence rappelle législatives de 2004, qui ont mené l’année suivante à l’élection du très conservateur Ahmadinejad. Il avait succédé au premier élu du mouvement réformiste, Mohamed Khatami, en 1997. Lui aussi avait déçu, et au terme de son second mandat, la formation réformiste avait largement été exclue des législatives. Ces derniers veulent renforcer la portée du vote populaire et ouvrir le système politique iranien. Ils ont été plébiscités par une large partie de la population, qui espérait des réformes qui ne sont jamais venues. Après une seconde déconvenue, cette fois sous Rohani, il existe aujourd’hui une profonde crise de confiance entre régime et population.

Elle vient de la réalisation qu’il ne sera sans doute pas possible de changer le pays sans changer de régime. Et elle a récemment été accentuée par accentuée le crash de l’avion d’Ukraine Airlines le 8 janvier dernier, abattu par l’armée qui a dans un premier temps nié toute implication dans cet incident. « Dans ce contexte, participer à ce scrutin était perçu par la population comme une manière de donner une légitimité au système. La majorité des citoyens iraniens l’a donc rejeté, surtout à Téhéran où le taux de participation n’atteint officiellement que 25 % » note Clément Therme, chercheur au sein de l’équipe « Savoirs nucléaires » du Ceri-Sciences Po.

Malgré – ou en un sens à cause de – ce boycott, la répression des opposants au régime devrait également s’intensifier, du fait de l’exclusion de l’hémicycle des quelques figures d’opposition à l’État profond et aux forces de sécurité. « Nous aurons un pouvoir isolé, mais beaucoup plus soudé et uni, qui tolérera de moins en moins la critique », analyse Clément Therme. Enfin, ce vote tronqué permet d’écarter les factions progressistes qui auraient pu se porter candidats à la succession de Khamenei, qui à 81 ans pense à sa succession.

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