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La Russie pourra-t-elle un jour se passer de Vladimir Poutine ?

La Russie pourra-t-elle un jour se passer de Vladimir Poutine ? Après déjà 20 ans à la tête du pays, l’homme fort du Kremlin était, selon ses propres aveux, en train de préparer sa sortie de scène – et de largement s’assurer du le maintien de son influence après avoir quitté la Présidence, au terme de son quatrième mandant, en 2024. Mais à la surprise générale, ce dernier a annoncé, le 15 janvier dernier, une vaste réforme de la Constitution russe de 1993. Au cours des débats entourant cette réforme, la Douma (parlement russe) vient d’adopter, dans une mise en scène bien orchestrée, un amendement permettant au Président russe de rester au pouvoir jusqu’en 2036.

A l’initiative de ce vote, on retrouve la députée russe Valentina Terechkova, ancienne cosmonaute et première femme à avoir effectué un vol dans l’espace, en 1963. Cette dernière a proposé un amendement qui remet les compteurs à zéro – permettant de facto à Poutine de se représenter immédiatement, sans devoir quitter le pouvoir symboliquement, comme il l’avait fait après ses deux premiers mandats, en devenant le Premier ministre de son bras droit Dimitri Medvedev, le temps d’un jeu de dupes. La réforme de la Constitution, qui prévoit également un renforcement des prérogatives présidentielles, a reçu l’approbation de 380 députés. Les 44 élus communistes ont voté contre.

Renforcement de l’illibéralisme russe

La nouvelle loi fondamentale russe doit désormais être validée par un « vote populaire » qui doit avoir lieu le 22 avril. En l’absence des observateurs habituels, il n’y a guère de doute que ce vote sera favorable au régime. L’opposition qui dénonce un « putsch », voulait manifester contre cette réforme. Le gouvernement a toutefois pris prétexte du coronavirus pour interdire tout rassemblement, après que la demande lui ait été adressée. Le maire de Moscou – et proche soutien de Poutine – Sergueï Sobianine a fait valoir la « stabilité du pouvoir » était nécessaire face aux ennemis « intérieurs et extérieurs » de la Russie, qui « tentent de saper notre indépendance et notre économie »

La surprise n’est pas totale, venant d’un dirigeant qui assurait l’an dernier au Financial Times que le libéralisme politique était une idée « obsolète ». Mais la rapidité de la manœuvre a, elle, de quoi laisser coi. Elle confirme, en tout cas, le virage conservateur de la Russie, axé autour du triptyque : Dieu, famille et peuple russe. La foi en Dieu a d’ailleurs été ajoutée dans le préambule de la constitution – le texte était jusqu’alors laïque, ce qui a provoqué l’incompréhension de plusieurs universitaires russes. L’initiative a en revanche reçu le soutien immédiat des autorités musulmanes russes.

La nouvelle constitution se veut également une mise au point idéologique, sorte de consolidation de l’héritage idéologique des années Poutine. Elle prévoit ainsi la protection par l’Etat de la « vérité historique », et interdit le mariage homosexuel. « L’idée que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ne fait pas beaucoup débat dans la société russe. Mais je pense que c’est aussi un message à destination internationale, parce que ça ancre la Russie dans une tactique de soft power conservateur qui est un peu la marque de fabrique de Poutine depuis quelques années » analyse Jean-Robert Raviot, professeur de civilisation russe à Paris-Nanterre.

Une transition ratée ?

Alors mettait en garde il y a quelques mois seulement contre le risque pour les dirigeants s’accrochant au pouvoir de « détruire » leur pays, aujourd’hui, Vladimir Poutine assure que le pouvoir présidentiel « vertical » est « encore nécessaire » en Russie. Comment comprendre ce revirement aussi brusque qu’imprévu ? Le contexte international tendu – coronavirus, économie en berne, guerre des nerfs avec l’Arabie saoudite autour du prix du baril de pétrole… – aura sans doute joué sa part. Mais plus largement, il montre à quel point, en se présentant comme un homme providentiel, par nature irremplaçable, Poutine s’est en quelque sorte enfermé dans ses fonctions.

Mis au pouvoir par une oligarchie qui l’avait sous-estimé, et qu’il a pu manipuler à son gré, Poutine a pris soin de faire le vide autour de lui – régner seul est un attribut essentiel pour entretenir un culte de l’homme fort. Il a aussi coupé toutes les têtes montantes qui auraient pu le concurrencer. Le dernier en date, la fidèle Medvedev, sacrifié pour faire passer une réforme des retraites hautement impopulaire. Aussi, à l’heure de passer le témoin, il n’y avait personne de son écurie qui soit à la hauteur de la tâche. Pas question, en outre, d’adouber un outsider sur lequel il n’aurait pas de contrôle.

Alors, Vladimir Poutine semble donc avoir organisé son retour faute d’alternative acceptable – pour lui. Mais à trop faire de vieux os, Poutine ne risque-t-il pas de finir aussi impopulaire qu’un Brejnev en fin de règne ? S’il va jusqu’au bout de ce nouveau cycle, il aura passé 37 années au pouvoir (7 de plus que Staline, tout de même !). Un pari risqué pour quelqu’un qui veut à tout prix pérenniser son héritage, alors qu’un sondage du centre Levada affirmait, fin janvier, que seuls 27 % des Russes seulement étaient favorables à ce qu’il brigue un nouveau mandat. La Russie pourra-t-elle un jour se passer de Vladimir Poutine ? Si c’est le cas, il en sera le seul responsable.

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