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Brexit : to deal or not to deal ?

Nous nous trouvons aujourd’hui à un peu plus de deux semaines de la date fixée pour le divorce. Après quatre années et demi de négociations, les récents échanges entre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le Premier ministre britannique Boris Johnson semblent aller nulle part. Aussi, il semble aujourd’hui que le « no deal » est l’option la plus probable pour clôturer un Brexit en plusieurs actes. Un dénouement qui se dessinait dès le 31 décembre dernier, lorsque Londres choisissait de se tenir à un délai d’un an en tout et pour tout, et renforcé par le maintien de ce cap en dépit de la pandémie de Covid-19, qui a sensiblement ralenti des négociations déjà délicates.

Ce Brexit douloureux consacre la fin de relations difficile entre le Royale-Uni et l’Union européenne, et ce avant même son adhésion au Marché Commun en 1973, avec les deux vétos opposés à l’adhésion britannique par le Général de Gaulle, alors président de la République française. A en croire la presse britannique, c’est une nouvelle fois la France qui une nouvelle fois porte la responsabilité de cet échec – avec la menace d’un nouveau veto pour défendre ses intérêts. Une menace qui en réalité a également été brandie par plusieurs autres dirigeants européens – notamment l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas. Aussi, à l’exception de l’Irlande, qui serait particulièrement affectée par un « no deal », la plupart des capitales européennes semblent ne plus chercher un accord à tout prix.

Pour autant, les pourparlers se prolongent dans un mélange de résignation polie et d’espoir un peu agité. « En dépit de l’épuisement, après près d’un an de négociations, malgré le fait que les dates butoir ont été dépassées les unes après les autres, nous pensons qu’il est responsable, à ce stade, de faire encore un effort », ont assuré Michel Barnier, négociateur européen, et David Frost, son homologue britannique, dans une déclaration commune. « Nous avons donc donné mandat à nos négociateurs pour (…) voir si un accord peut encore être conclu, même à ce stade tardif. » Les plus optimistes rappellent ainsi qu’un accord a bien été trouvé en dernière minute lors du retrait de Londres, il y a bientôt un an.

Quels blocages ?

Les tergiversations politiques sont une spécialité européenne Après tout, il faut à chaque décision majeure réconcilier 28 – bientôt 27 – points de vue différents. Aussi, la situation rappelle le vrai faux suspens autour de la négociation du budget européen, où les concessions de certains pays sont souvent obtenues en dernière minute contre de généreuses liquidités. Si certains dossiers, comme les droits de pêche dans les eaux britanniques, pourraient être réglés par ce type de marchandage, il ressort de ces négations à tiroir que deux points de désaccord compromettent le succès du processus : le mécanisme de règlement des conflits (autrement dit, quelle juridiction sera compétente) en cas de désaccord futur entre Londres et Bruxelles, et les règles de concurrence post-Brexit.

Ce second point semble le plus épineux tant il incarne les visions irréconciliables des européens et des britanniques. L’EU cherche à se protéger de toute concurrence déloyale de la part de son voisin (pour rappel, quelques 10 000 camions sortent du Royaume-Uni vers l’Europe tous les jours). Aussi, elle veut conditionner un accès sans droits de douane ni quotas à son marché à un arrimage des législations des deux blocs afin d’éviter un dumping fiscal, social ou environnemental – le fameux « Singapour sur Tamise », un temps promis par Boris Johnson. A contrario, une (courte) majorité des britanniques avant justement voté pour ne plus être soumis aux règles de l’Union, le 23 juin 2016. Un tel compromis est donc pour eux inacceptable car il revient à vider le divorce de tout son sens.

Après la palabre, l’heure des comptes

Une sortie sans filet a toutefois un coût : sous l’effet de la pandémie, du retour des barrières commerciales et des délais aux frontières, la croissance britannique devrait être divisée par deux pour l’année 2021 – soit Charybde ET Scylla. « Là encore, un divorce est un divorce. Et tous les avocats spécialistes du droit de la famille vous le diront : un divorce appauvrit » rappelait Jean-Marc Four dans une récente chronique. Pour les Brexiters, tous les prix sont bons à payer pour récupérer leur indépendance chérie. Pourtant, ce calcul semble de moins en moins raisonnable conte tenu de l’avancée de Londres avec de potentiels nouveaux partenaires : après des annonces en grandes pompes, seuls le Japon et Singapour ont signé un accord avec Londres, dans des conditions identiques à celles de l’UE, et non meilleures comme l’avaient assuré les Brexiters.

Même l’allié américain a botte en touche, préférant se concerter sur un accord avec l’UE, dont le marché est bien plus important pour Washington – et l’élection de Joe Biden n’annonce pas une position plus conciliante, bien au contraire. A cela, ajoutons que les autorités sanitaires britanniques alertent sur les risques d’une troisième vague pandémique après les fêtes de fin d’année, qui endommagerait encore davantage leur écosystème économique.

Aussi, nombreux sont ceux qui se demandent ce que fera Londres lorsque tout le monde aura réalisé que l’empereur est bel et bien nu, le 31 décembre au soir. Pour l’heure, tout ce que Johnson a prévu est que la Royal Navy puissent arrêter les bateaux de pêcheurs européens si ceux-ci s’aventuraient dans les eaux britanniques. En face, la Commission a publié jeudi dernier des mesures d’urgence en cas de « no deal » pour assurer un semblant de continuité pour des secteurs comme la pêche, le trafic aérien et le transport routier. Un contraste éloquent qui souligne à quel point les idéologues se trouvent cette fois du côté britannique et les pragmatiques du côté européen. Une inversion des rôles historiques qui rend toute avancée vers un accord bien improbable.

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