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Ex-URSS : où en sont les progrès démocratiques ?

Asie centrale

Alors que les restrictions des libertés publiques se multiplient partout en Europe, les pays de l’ancien bloc soviétique restent eux dominés par des régimes « semi-autoritaires », trois décennies après leur indépendance. Les processus de libéralisation y sont parfois brusques et laborieux. Seule exception au tableau, le Kazakhstan, où se poursuit la voie vers une démocratisation progressive.

« Pourquoi voistu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans le tien ? »*. La différence entre un régime « démocratique » et un régime « autoritaire » ou « semi-autoritaire » n’est pas qu’une question de nature, mais plutôt de degré. On constate, à cet égard, que de nombreux pays de l’Union européenne, prompts à dénoncer les dérives autoritaires dans le monde, s’enlisent, au nom de la lutte contre le terrorisme ou l’épidémie de Covid-19, dans d’interminables régimes d’exception qui pèsent de plus en plus sur les libertés publiques. La France, par exemple, a perdu son statut de « démocratie à part entière » pour rejoindre la catégorie des « démocraties défaillantes », selon une étude du groupe britannique The Economist publiée le 3 février dernier.

En Russie et en Asie centrale, la question de l’Etat de droit et des libertés publiques est également brûlante. Il y a un peu plus de 30 ans s’effondraient l’empire soviétique et, à Berlin, le mur éponyme symbolisant la partition du monde en deux blocs antagonistes. Trois décennies plus tard, où en est le processus de démocratisation au sein de ces jeunes Etats indépendants depuis 1991 ? La transition démocratique y est parfois laborieuse, sujette à des mouvements d’avancées et de reculs. Dans certains pays de l’ancienne Union soviétique, l’équilibre entre le pouvoir des élites et celui des peuples penche encore unilatéralement du côté des premières, les citoyens contestant l’autoritarisme de leurs dirigeants lors de mouvements populaires, parfois réprimés par les autorités.

Vague répressive en Russie après l’arrestation d’Alexei Navalny

Ainsi de la Russie. Le pays fait ces dernières semaines la Une des journaux du monde entier en raison de la vague de contestation populaire suivant l’incarcération de l’opposant politique numéro un de l’hôte du Kremlin : Alexei Navalny. Le militant, de retour en Russie après la tentative d’empoisonnement dont il a été victime en août dernier, a été appréhendé immédiatement à sa sortie de l’avion qui le ramenait d’Allemagne, où il était en convalescence. Au terme d’un simulacre de procès, Navalny a été condamné à deux ans et demi de prison en camp de travail. Héritage de l’URSS, les camps pénitentiaires offrent des conditions de détention qui sont régulièrement dénoncées par les défenseurs des droits humains.

En réaction, des dizaines de milliers de Russes sont descendus dans la rue pour manifester leur opposition à Vladimir Poutine. Des manifestations pacifiques auxquelles le régime a répondu par un déchainement de violences policières et des vagues d’arrestations arbitraires, plus de 10 000 personnes étant arrêtées et détenues aux quatre coins du pays. Pour l’ONG Human Rights Watch (HRW), « les autorités russes continuent de nier la réalité et de décrire les manifestants pacifiques comme des foules violentes ». L’organisation de défense des droits de l’homme a par ailleurs qualifié la condamnation d’Alexei Navalny de « monstrueuse injustice », appelant – pour l’heure en vain – à sa libération immédiate.

Asie centrale : Kirghizistan, une révolution de palais chasse l’autre

Les anciennes républiques vassales de l’URSS sont, pour beaucoup d’entre-elles, aussi en proie à l’agitation. Le Kirghizistan, pays d’Asie centrale, a par exemple la réputation d’être le plus pluraliste, mais aussi le moins stable de la région. Déjà secoué par deux révolutions en 2005 et 2010, qui ont contraint les précédents chefs d’Etat à l’exil, le pays connaît régulièrement des troubles. En 2014, des nationalistes, membres du mouvement Kyrgyz Chorolor, prenaient d’assaut un karaoké de Bichkek, « au prétexte que des Chinois y frayaient avec des femmes kirghizes ».

Le turbulent Kirghizistan a été en fin d’année dernière le théâtre de nouvelles manifestations. Des centaines de personnes ont ainsi battu le pavé de la capitale, Bichkek, pour protester contre des amendements à la Constitution interdisant, entre autre, toute publication portant atteinte à « la moralité et la culture du peuple du Kirghizistan ». Une disposition qui, selon Human Rights Watch, pourrait « gravement violer le droit des gens à la liberté d’expression ».

En Ouzbékistan, la censure et la répression perdurent

La situation semble un peu plus calme en Ouzbékistan, où la disparition du chef d’État Islam Karimov en 2016 a permis une libéralisation, après vingt-sept années de régime fermé. Malgré des signes encourageants de démocratisation, le système répressif et autoritaire hérité de l’ère Karimov perdure : les opposants continuent d’être arrêtés pour « extrémisme » ou « trahison », la propagande d’État et le contrôle strict de l’information musèlent le débat public et les élites opposées au pouvoir sont poussées à l’exil. Dernièrement, le bloggeur anti-corruption Otabek Sattoriï était emprisonné… pour « extorsion ».

Rien d’étonnant alors à ce que l’Ouzbékistan soit classé 157e sur 167 en matière de démocratie par le centre de recherche anglais The Economist Intelligence et que Human Rights Watch estime que si « les développements récents sont les bienvenus, ce ne sont que de petits pas. Les promesses de réformes du gouvernement sont encore inachevées ».

Le Kazakhstan, bon élève de l’Asie centrale

Seul le Kazakhstan semble tirer son épingle du jeu. Le pays, dont la France est le troisième investisseur étranger, poursuit sa voie vers une démocratisation contrôlée et une libéralisation progressive entamée depuis l’élection, en 2019, de Kassym-Jomart Tokayev à la présidence. Ce dernier a fait de la confiance et de l’État à l’écoute les maîtres mots de son mandat, en prenant des initiatives visant à rétablir la confiance entre les élites et la société, notamment le 15 janvier dernier en présentant aux députés de la chambre basse des réformes visant à poursuivre le développement du système politique et à renforcer les mécanismes de protection des droits de l’homme.

Signe de cette libéralisation, le Kazakhstan a aboli la peine de mort le 2 janvier dernier, et ce alors que les exécutions étaient, de fait, suspendues depuis 2003. En 29 ans, le pays semble avoir réussi à devenir un État développé et tolérant, regroupant sur son sol de multiples nationalités.

Le bon élève d’Asie centrale suscite de nombreux espoirs et a valeur d’exemplarité dans la région. En espérant qu’il inspire durablement ses voisins.

*Parole prononcée par le Christ dans son sermon sur la montagne d’après l’Evangile selon Matthieu.

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