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Canal de Suez : nouveau hoquet dans la mondialisation

Après la quarantaine liée à la Covid, un nouvel incident est venu paralyser les échanges commerciaux internationaux. L’échouement le 23 mars dernier d’un porte-conteneurs géant de l’armateur taïwanais Evergreen Marine Corporation dans le Canal de Suez a tout bonnement bloqué la circulation sur cette route maritime essentielle au commerce international. L’Ever-Given – d’une longueur est équivalente à quatre terrains de football – avait ainsi bloqué le passage de 422 navires, chargés de 26 millions de tonnes de marchandises. Après cinq jours d’efforts, le bâtiment avait finalement pu être débloqué lundi 29 mars, mais il a fallu attendre samedi dernier pour l’embouteillage titanesque causé par ce blocage ne soit totalement terminé.

L’incident a tout d’abord été imputé à des vents violents et une tempête de sable, avant que le Président de l’Autorité du Canal de Suez (SCA), Osama Rabie, n’évoque la possibilité d’ « erreurs, humaine ou technique ». Une version plus probable d’après la journaliste britannique spécialiste du transport maritime Rose George, qui rappelle que : « plus des deux tiers des accidents maritimes sont dus à une erreur humaine ». Ce sont les sociétés Smit Salvage, qui étaient déjà intervenue lors de l’incident du Costa Concordia, navire de croisière italien qui s’était échoué au large de la Toscane en 2012, et Nippon Salvage, qui avaient été commissionnées pour régler ce fiasco, en soutien à l’administration égyptienne qui gère le canal.

Un axe incontournable du commerce international

L’obstruction du Canal de Suez a eu des conséquences majeures pour le commerce international. C’est en effet pratiquement 12% du commerce international qui y transite. A titre d’exemple quelques 19 000 navires l’ont empruntée en 2020, selon la SCA, soit plus de 50 navires par jour en moyenne. Aussi l’incident bloquait chaque jour l’équivalent d’environ 9,6 milliards de dollars (8,1 milliards d’euros) de marchandises – avec des conséquences en domino pour toutes les entreprises qui dépendaient de cet approvisionnement. Une situation ironiquement anticipée par Karl Marx, en 1869, dans le deuxième tome du Capital.

Pas certain, pour autant, que la chute du capitalisme suive, comme il l’avait professé. En 150 ans d’histoire, deux incidents similaires ont déjà eu lieu à Suez, sans pour autant que la mondialisation galopante se renverse – bien au contraire. Le premier date de 1956, lorsque le Président égyptien Nasser a nationalisé le Canal et l’avait brièvement bloqué. Le second, plus conséquent, aura duré sept ans, avec l’occupation par l’armée israélienne du Sinaï entre 1967 et 1975, dans le prolongement de la guerre des six jours. Cela avait d’ailleurs poussé à la création d’un nouveau type de nouveaux navires – les supertankers – pour rentabiliser et sécuriser le contournement de cette route via l’Afrique.

Cette fois, malgré l’importance des retards liés à l’intensité du trafic maritime à Suez, la réponse à la crise a été assez rapide. Prétexte pour l’Egypte de rappeler la nécessité des importantes taxes qu’elle prélève (500 000 dollars pour le passage d’un bateau, 700 pour les plus imposants) pour y assurer pour le dragage et la gestion de crises. « Il y aura forcément une propagande d’État par l’Egypte du maréchal Sissi pour tirer avantage du règlement de l’incident dans le Canal de Suez, ce verrou du monde », explique Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime. Dès son arrivée au pouvoir, ce dernier avait mis le canal au centre de sa politique de relance économique – qui peine à porter ses fruits. Aussi, ce dernier n’a pas manqué de se féliciter du rôle des acteurs égyptiens dans le sauvetage du commerce international et en faire une victoire patriotique.

Les routes alternatives

Ce dysfonctionnement et ses conséquences posent une question : celle de la viabilité des routes alternatives au Canal de Suez. Jusqu’à présent, la solution de rempli était de passer par le cap de Bonne-Espérance, soit un détour de 9 000 kilomètres qui nécessite 10 jours supplémentaires. Une solution qui coûte cher et pollue beaucoup. Aussi, pour le responsable de la diplomatie russe en Arctique, Nikolaï Korchounov, le blocage du canal de Suez « a mis en lumière la nécessité avant tout de la poursuite du développement de la Route maritime du Nord ». Une position soutenue par la Chine, qui dépend aujourd’hui encore largement de ses exportations et voit ces accrocs d’un mauvais œil. Aussi une version de la route de la soie parie désormais sur cette option.

La voie Arctique est en effet beaucoup plus courte que l’alternative africaine, mais aussi qui celle qu’empruntent aujourd’hui les navires transitant par Suez. Les conditions de transit la rendent toutefois très chère, et le fait qu’elle se situe en eaux peu profondes exclut pour l’heure le passage des supertankers et autres portes centenaires géants. En outre, les mauvaises surprises sont loin d’être anecdotiques : « En janvier, un cargo s’était retrouvé bloqué par la banquise qui s’était formée autour de lui en quelques heures. Il aura fallu une semaine et quatre brise-glaces pour le sortir », rappelait ainsi Eric Biegala sur France Inter. Un incident qui rend la solution Suez d’autant plus rassurante.

« La route est 40% plus courte que celle de Suez, le problème a toujours été qu’une épaisse banquise rendait le trajet impraticable la majeure partie de l’année », poursuit-il. Pour autant les possibilités de passage pourraient bien évoluer sous l’effet du changement climatique – 2 fois plus important en Arctique que sur le reste de la planète. C’est ce qu’espère en tout cas la Russie, qui a récemment commandé huit nouveaux brise-glaces nucléaires, ce qui permettra au pays de quadrupler ses capacités de fret sur cette route compliquée, passant à 80 millions de tonnes par an (aujourd’hui, le fret total qui y transit correspond à une semaine de passage à Suez, seulement). Une stratégie qui revient à miser sur le scénario du pire d’un point de vue climatique, sans quoi cette route ne serait probablement jamais rentable.

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