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Présidentielle sans suspense à Djibouti ?

A Djibouti, la campagne vient de démarrer en vue de l’élection présidentielle du 9 avril prochain. Au pouvoir depuis plus de vingt ans, Ismaël Omar Guelleh se présente sans adversaire crédible, l’opposition ayant décidé de boycotter le scrutin.

Djibouti : perle enchâssée sur la Corne de l’Afrique, qui a su rester à l’écart des conflits qui ont ensanglanté les pays voisins pour soigner son statut de « hub » stratégique. Alors que s’ouvre la campagne électorale, nul doute que le président sortant insistera sur son héritage pour ravir les votes dont il a encore besoin pour valider un cinquième mandat.

Si tant est qu’une campagne soit vraiment nécessaire. Car en face de lui, Ismaël Omar Guelleh ne trouvera qu’un seul candidat : Zakaria Ismael Farah, un homme d’affaires dont les chances de succès pèsent peu face à la machine de guerre dont s’est doté Guelleh pour faire durer son règne interminable sur le pays.

Désabusés, les partis d’opposition ont décidé de ne pas concourir au scrutin. Certains appellent les électeurs à ne pas se déplacer ou à déchirer les bulletins au nom du sortant. « Les élections ne servent plus à rien à Djibouti, explique Mohamed Kadamy, le patron du groupe rebelle FRUD. Et donc plus le pouvoir s’éternise, plus les risques de chaos et d’instabilité seront présents. » Les regards sont déjà tournés sur l’après Guelleh, période en vue de laquelle plusieurs ONG et partis d’opposition s’apprêtent à signer une charte de transition.

La France ferme les yeux sur l’absence d’Etat de droit 

En attendant, Ismaël Omar Guelleh risque fort de rempiler pour six ans à la tête du pays, calquant sa longévité sur celle d’un Vladimir Poutine. Et ce ne sont pas les condamnations internationales qui changeront la donne, tant ses alliés, notamment occidentaux, font preuve de mansuétude à son égard. Il faut dire que Djibouti occupe une position géostratégique privilégiée, à l’entrée du Canal de Suez, par où transitent 40% du pétrole mondial. Les troupes de plusieurs puissances étrangères sont stationnées en permanence sur ce territoire d’à peine 23 000 kilomètres carrés qui compte moins d’un million d’habitants.

Parmi eux, la France occupe une place à part, celle de l’ancienne puissance coloniale. Mais cette relation particulière a beaucoup évolué avec le temps. La base française ne compte plus désormais que 1500 hommes contre 4 000 auparavant. Ce qui n’a pas empêché le président djiboutien d’avoir droit à un traitement de faveur lors de sa dernière visite officielle à Paris, les 11 et 12 février derniers. Entre les rencontres politiques, la signature de contrats et l’évocation des enjeux militaires, cette visite semble avoir marqué un regain d’intérêt de la France pour son ancienne possession africaine. Pas un mot n’a été prononcé en revanche sur les velléités de M. Guelleh de s’accrocher au pouvoir, ni sur les violations de l’Etat de droit constatées à de multiples reprises : opposition entravée, société civile atone, répression policière et arrestations arbitraires.

C’est que Paris n’est plus seul dans le jeu. « Le pouvoir djiboutien a cherché ces dernières années à sortir d’une forme de dépendance vis-à-vis de la France, explique Sonia Le Gouriellec, chercheuse à Sciences Po, spécialiste du pays. Et dans ce sens, on peut dire que le président djiboutien a réussi ». Au point de développer une autre forme de dépendance, vis à vis cette fois du géant émergent : la Chine de Xi Jinping.

Derrière un succès en trompe-l’oeil, l’ombre de la Chine

Car l’offensive commerciale lancée par Pékin dans le cadre des nouvelles routes de la soie passe aussi par Djibouti. Entre 2012 et 2018, 14 milliards de dollars ont été investis dans l’économie du pays. La Chine détiendrait aujourd’hui 70% de sa dette. En 2018, un organisme de recherche indépendant plaçait Djibouti parmi les sept pays dont l’économie ressortirait « fortement compromise » des opérations commerciales en cours avec le géant asiatique. D’économique, la dépendance est en train de devenir politique, M. Guelleh se voyant de plus en plus contraint de s’écarter de ses autres alliés pour complaire à Pékin. Ainsi la stratégie consistant à se montrer conciliant avec tous les pays prêts à investir à Djibouti est-elle en train de se refermer sur son initiateur.

Cette dépendance périlleuse à l’argent chinois ne peut qu’accroître les tendances népotiques du pouvoir, dans la mesure où les plus grandes entreprises et infrastructures du pays sont dirigées par des proches du palais. Pendant ce temps, malgré les promesses de ruissellement induites par une politique d’ouverture tous azimuts, la population continue de vivre dans le dénuement, avec un taux de chômage supérieur à 60% et un quart des Djiboutiens réduits à une pauvreté extrême.

En offrant son territoire au plus offrant, M. Guelleh a transformé Djibouti en Etat rentier, plus soucieux d’assurer la prospérité financière de quelques-uns que de développer le bien-être de ses habitants. Lui-même devenu rentier de la politique, il risque, avec son probable cinquième mandat, d’entrainer son pays encore plus loin dans une stratégie qui a montré ses limites.

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