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Joe Biden reconnait officiellement le génocide arménien

Le marathon des 100 premiers jours de Joe Biden pour tenir ses promesses de campagne continue, et les retombées sont toujours aussi tonitruantes – au point qu’une partie de la presse américaine, toujours friande de patriotisme populaire l’ait surnommé « Super-Biden ». Dernier coup d’éclat, samedi 24 avril, cérémonie officielle de la Journée nationale de commémoration du génocide arménien, le Président des États-Unis a officiellement reconnu le massacre. En choisissant de qualifier ces exactions de « génocide », Washington rejoint une trentaine de pays qui se sont levés pour dénoncer la mort d’un million et demi d’Arméniens mais aussi de plusieurs centaines de milliers de Chrétiens d’Orient ,assassinées ou morts suite aux marches forcées et aux déportations.

Parmi les historiens, la question ne fait plus débat. Dans Le Monde, Marie Jégo rappelle ainsi que l’historien Taner Akçam, installé aux États-Unis, « a pu prouver, grâce à l’étude de la correspondance privée des organisateurs du génocide et des procès-verbaux des quelques responsables jugés par des tribunaux militaires en 1919, que le meurtre collectif des Arméniens avait été planifié par l’Etat ottoman ». Son travail a valu à l’historien des menaces de mort. Des menaces qui sont devenues tragiquement réelles pour le journaliste Hrant Dink, fondateur du journal Agos, qui a pour sa part été abattu par un nationaliste en janvier 2007. Aussi, on comprend que diplomatiquement, la question est également très délicate.

Avec cette annonce, Biden entend tourner une page ouverte par le recul d’Obama, après s’être engagé à reconnaitre officiellement ce génocide. Il a été suivi par le flirt indécent de Trump avec tous les autocrates de la planète, notamment Erdogan, ayant notamment mené à l’abandon des Kurdes, qui avaient pourtant été des alliés indispensables dans la guerre contre Daech. Et de fait, les sujets de discorde entre Washington et Ankara étaient nombreux durant cette période : le refus d’extrader Fethullah Gülen, qu’Erdogan estime responsable du putsch raté de 2016, les fusées sol-air achetées aux russes, les poursuites engagées contre  la banque publique turque Halkbank pour avoir contourné les sanctions contre l’Iran ou encore les oppositions directes aux alliés européens méditerranée orientale (des alliés que Biden semble vouloir cajoler après les coups de boutoir du trumpisme).

Nationalisme contre realpolitik

A cette annonce, l’opposition turque s’est pratiquement intégralement ralliée derrière Erdogan. En effet, à l’exception du parti démocratique des peuples (HDP, parti de gauche pro-kurde), toutes les formations du parlement ont dénoncé les propos de Biden comme une tentative de réécrire l’histoire. Ce front uni vient nous rappeler que le nationalisme turc est encore la donnée commune de l’échiquier politique turc, et qu’il réunit les Kémalistes laïcs et les Islamo-conservateurs, pourtant grands adversaires historiques. On trouve les échos de ce nationalisme dans le commentaire de l’affaire par la presse turque :« Le lobby arménien des États-Unis force la main de Biden et le contraint à respecter ses promesses de campagne », estime par exemple le quotidien Hürriyet.

Aussi, cette réaction rappelle que ce type d’attaques contre la fierté de la nation turque sert, à terme, le projet politico-identitaire d’Erdogan d’uniformiser la société. Mais là où il se saisit de toutes les occasions de tempêter, Erdogan est cette fois resté inhabituellement timoré. « Personne ne profite du fait que les débats – qui devraient être tenus par des historiens – soient politisés par des tiers et deviennent un instrument d’ingérence dans notre pays », a-t-il tout juste noté ce samedi, après un échange téléphonique avec Joe Biden, qui lui a sans doute annoncé ses intentions. Et pour cause, pour il n’est pas acceptable de davantage endommager sa relation avec les États-Unis, dont le soutien est sa principale garantie dans son bras de fer avec l’UE.

Isolée mais fière

Sous pression des ultranationalistes, auxquels il doit sa majorité, beaucoup estiment de celui qui aime à paraitre comme un homme fort devra réagir d’une manière ou d’une autre – ce qui est d’ailleurs un facteur de crainte pour la communauté arménienne dans la région. « Le nationalisme du gouvernement turc va le contraindre à prendre des mesures de rétorsion contre les États-Unis, alors que la crise économique ne lui laisse a priori aucune marge de manœuvre » estime ainsi le politologue turc Ahmet Insel. Certains parlent d’un retrait de l’OTAN. La solution parait bien improbable, notamment du fait de la présence de bases américaines sur le territoire turque. Un départ de la coopération stratégique de l’organisation – comme ce qui le cas le cas de la France jusqu’à son retour sous Nicolas Sarkozy – est toutefois envisageable.

L’appel de Biden à Erdogan lors duquel les deux hommes se sont engagés sur « une coopération plus étroite sur les sujets d’intérêts mutuels » atteste du fait que les deux pays n’entendent pas couper les ponts. Il s’agit de fait de donner le change malgré le camouflet infligé à la Turquie. Mais de fait, Ankara a de moins en moins de positions communes avec ses « alliés » sinon celle que lui assure sa géographie. « Plus personne n’aime la Turquie » estimait ainsi l’historien et politologue américano-turc Soner Cagaptay, non sans provocation. Les nouveaux amis à géographie variable d’Erdogan ne sont en effet pas non plus en mesure de remplacer relations historiques du pays. En atteste le courroux de Vladimir Poutine après la visite du Président ukrainien à Istamboul.

Dans le même temps, pour ne rien arranger, la sphère politique kurde a entamé un processus de reconnaissance publique de la participation des Kurdes au génocide. Une position qui semble annoncer une forme de solidarité entre victimes de la violence d’état turque. Les rapports stratégiques dans la région sont en plein basculement. Mais à l’heure des choix, Erdogan choisit donc une nouvelle fois l’immobilisme. Une position difficilement tenable dans la durée, les pressions se multipliant dans un camp comme dans l’autre. Quoiqu’il en soit, le durcissement de la position des diplomaties occidentales n’est pas très bon signe pour ce qui est de la durabilité du pouvoir actuel en Turquie. On ne se confronte en effet pas directement à un dirigeant avec lequel on pense devoir composer à l’avenir.

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