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Comment adopter une politique européenne unie à l’égard de la Russie ?

Après Joe Biden, c’était au tour des européens d’envisager de reprendre un dialogue « exigeant » avec Moscou. Comme l’a expliqué Emmanuel Macron avant le Conseil européen des 24 et 25 juin : « nous ne pouvons pas rester dans une logique purement réactive à l’égard de la Russie alors qu’on a assisté à une discussion structurée entre les Présidents Biden et Poutine ». Cette initiative franco-allemande s’appuie sur l’idée que le format EU est susceptible de rééquilibrer un rapport de force défavorable avec la Russie. Cette dernière n’a en effet eu de cesse de s’opposer aux intérêts européens ces dernières années,

La liste des différends qui oppose les deux voisins est longue. Que ce soit en Ukraine, en Syrie, par des manœuvres militaires agressives aux portes de l’Europe, le piège diplomatique tendu au chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, en février dernier, les cyberattaques à répétition, l’affaire Skripal, l’empoisonnement d’Alexeï Navalny ou encore le soutien indéfectible au dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko après le détournement d’un vol Ryanair européen pour arrêter l’opposant Roman Protassevitch, les sujets de désaccord ne manquent pas.

Le Pari proposé par Emmanuel Macron – qui n’a jamais fait de secret sur son intention de réchauffer les relations avec Moscou – et Angela Merkel – qui a défendu bec et ongles le projet de gazoduc Nordstream II – est qu’en apaisant les échanges avec le Kremlin, des points de convergence pourraient être trouvés. Autrement dit, le bras de fer ne serait plus le rapport systématique – où, a minima, l’UE opposerait un front uni à la Russie. Si d’ordinaire, les deux grandes puissances font office de moteur au sein du bloc, il se sont cette fois heurtés à la résistance des pays du Nord de l’Europe, pour la plupart frontaliers de la Russie.

La fronde des frontaliers

Les pays Baltes, la Pologne, la Suède et les Pays-Bas n’en décolèrent pas de ce projet de sommet européen avec Vladimir Poutine. Ce dernier a été annoncé à la veille d’un sommet européen, sans vraisemblablement qu’ils aient été prévenus en amont. Aussi se sont-ils vivement opposés à toute normalisation des relations avec Moscou. « Il est trop tôt parce que jusqu’à présent, nous ne voyons pas de changement radical dans le comportement de Vladimir Poutine », s’est expliqué le président lituanien, Gitanas Nauseda. « S’engager sans aucune ligne rouge ou condition préalable, serait un très mauvais signal. »

Cette objection s’entend, et ce d’autant que l’annonce franco-allemande revient à une politique du fait accompli peu encline à rassurer les voisins de la Russie. Ces derniers sont régulièrement exposés aux manœuvres et ingérences du Kremlin – en particulier les pays Baltes, virtuellement encerclés à l’exception d’un étroite couloir entre Biélorussie et Russie, et dont l’importante minorité russophone, datant des massifs déplacements ethniques staliniens, est instrumentalisée par Moscou.

« Seul un retrait de la politique agressive de la Russie envers ses voisins, en particulier l’Ukraine, mais aussi envers les pays de l’UE, en particulier la Pologne, peut constituer une base pour l’ouverture d’un dialogue plus large », a pour sa part prévenu le premier ministre Mateusz Morawiecki. Autrement dit : il va falloir dialoguer entre européens et établir une stratégie commune avant de dialoguer avec la Russie. Une position qui montre la confiance toute relative que le pays à en la capacité géopolitique de l’UE à protéger leurs intérêts – une conséquence, notamment, du rôle proéminent de Paris et Berlin dans la direction des affaires européennes. « Ils considèrent que leur sécurité est mieux assurée par un lien étroit avec les États-Unis au travers de l’Otan que ne le feraient une nouvelle architecture de sécurité européenne », analyse ainsi Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France en Russie.

Parler d’une seule voix

Le fiasco qu’a été cette tentative de rouvrir ce dossier est un rappel édifiant du fait que les 27 États membres ne partagent pas les mêmes priorités. Pour autant, cette déconvenue ne doit pas obligatoirement être vue comme un point final à toute conversation européenne sur sa stratégie russe. La levée de boucliers de la semaine dernière a eu le mérite d’expliciter les réserves des pays de l’Est européen, qui demandent clairement à être davantage entendus dans la définition d’une relation commune avec la Russie. Elle pourrait donc constituer un nouveau départ.

Il faut également comprendre que la Russie n’a pas toujours été spécialement fair-play avec les pays européens – individuellement et collectivement – ces deux dernières décennies. En atteste l’échec de la tentative d’ouverture de la France à l’été 2019. Le dialogue avec Vladimir Poutine ne pourra pas avoir lieu tant que l’UE n’est pas en mesure de parler d’une seule voie. Ce dernier a beau jeu d’instrumentaliser les divisions occidentales – il a cette fois accusé l’Otan d’avoir divisé l’Europe, jouant du même coup sur les désaccords stratégiques européens et l’opposition UE/Otan.

Pour l’heure, Poutine n’a rien à gagner à baisser la garde face à un voisin dont il se méfie depuis les grands revers de la fin des années 90s, vécus comme une trahison par les russes. « Si les 27 valident l’idée d’un sommet UE-Russie, Vladimir Poutine acceptera cette main tendue, il y a intérêt alors que l’UE reste le premier partenaire commercial de la Russie », tempère toutefois Carole Grimaud Potter, analyste géopolitique, spécialiste de la Russie.

Depuis mars 2019, l’UE a mis en place des orientations stratégiques communes avec la Chine. Rien ne l’empêche de faire de même avec la Russie – encore faut-il s’y prendre de la bonne manière. Le fait accompli est à exclure. Peut-être faut-il également envisager une réforme des institutions – problématiques à bien des égards. Le ministre allemand Heiko Maas a estimé le 7 juin dernier que l’UE était « prise en otage » par sa propre règle d’unanimité en matière de politique étrangère : « le veto doit disparaître, même si cela signifie que nous pouvons être mis en minorité ». Après tout, la collaboration ouverte plutôt qu’un système qui encourage à faire chambre à part et défendre ses seuls intérêts propres, n’est-elle pas la condition sine qua non d’une véritable union ?

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