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Comment répondre à la menace nucléaire iranienne ?

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L’Iran, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine tentent de sauver l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA). Ce dernier offrait à Téhéran la levée d’une partie des sanctions étouffant son économie en échange d’une réduction drastique de son programme nucléaire. Si elle n’est pas officiellement présente l’ombre de Washington pèse sur ces échanges, d’une part car la situation actuelle est directement liée au retrait unilatéral de Trump du traité, mais aussi au travers du poids indirect que l’administration américaine exerce dans ces négociations. Ce rôle est souligné par les derniers commentaires de la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki : « Le nouveau gouvernement iranien n’est pas venu à Vienne avec des propositions constructives. L’approche de l’Iran cette semaine n’a pas été, malheureusement, de tenter de résoudre les problèmes en suspens ». Un commentaire surprenant pour un pays qui officiellement ne participe pas aux négociations.

Après cinq jours de tractations, Les négociations piétinent. En cause, la volonté du nouveau gouvernement iranien de revenir sur les compromis trouvés au printemps dernier. De fait, la délégation iranienne est “revenue sur la quasi-totalité des compromis si difficilement trouvés après de longs mois de travail”, note ainsi la Deutsche Welle. Un blocage causé par l’accession au pouvoir du président iranien Ebrahim Raisi en juin 2021, qui succède au modéré Hassan Rohani avec une ligne politique nationaliste très dure. « La nouvelle équipe iranienne pense que ses prédécesseurs ont négocié un mauvais accord en 2015 et qu’ils peuvent obtenir plus de concessions », explique Ali Vaez, directeur du programme Iran à l’International Crisis Group. Rohani avait en effet fait le pari de la relance économique, mais s’était heurté à l’intransigeance de Trump et avait été vivement critiquée pour sa gestion du dossier jugée « trop faible » par les nationalistes iraniens.

Le statu quo n’arrange personne

En fin de semaine, Européens et Américains ont mis en garde contre un réel risque d’impasse devant l’appétit sans limite des négociateurs iraniens – qui donnerait lieu à une nouvelle série de mesures restrictives. L’objectif est de créer un rapport de force et pousser Téhéran au compromis. L’autre solution serait une levée anticipée et partielle des sanctions américaines pour encourager Téhéran au compromis. Mais cela reviendrait à prêter le flanc à la critique pour une administration Biden dont la popularité a déjà connu une chute spectaculaire dans le sillage du départ chaotique d’Afghanistan. Pour la Maison blanche, la question iranienne est bien une question de politique interne. « L’administration Biden ne va pas sacrifier son capital politique interne pour un deal avec la république islamique. C’est une question extrêmement sensible » prédit ainsi Clément Therme, chercheur associé à l’Institut universitaire de Florence, également associé à l’Institut Rasanah

Autrement dit : les Etats-Unis et l’Iran sont tous les deux restreints par une partie de leur propre opinion publique ce qui réduit considérablement le champ des possibles. Et pourtant le statu quo ne va à personne : l’Iran est écrasé par des sanctions économiques très dures et les Etats-Unis perdent du terrain à mesure que l’Iran poursuit parallèlement son programme d’enrichissement d’uranium. Le pays est parvenu à des niveaux largement au-dessus des seuils fixés par le JCPOA depuis le départ américain – 17,7 kg d’uranium enrichi à 60%, 113kg à 20%, alors que l’accord fixait une limite de 3,67%. Des chiffrent qui rendent de plus en plus difficile de prétendre que le pays n’a que des objectifs civils.

Pour autant, il faut dépasser un seul d’enrichissement de 85% pour obtenir des matériaux fissiles de qualité militaire. Il reste donc du chemin. Aujourd’hui, Israël affirme que le régime s’est fixé un objectif secret d’enrichissement à 90%. Quand bien même il serait effectivement atteint, il faudrait encore développer une technologie permettant de charger l’uranium dans un missile balistique et à le tester – un processus qui prend plusieurs années. Aussi, il est plus probable que l’objectif iranien soit davantage de se servir de l’uranium comme levier dans les négociations visant à lever les sanctions dont il fait l’objet plutôt que d’obtenir une bombe en catimini. « [Le régime] va probablement continuer à gagner du temps, mais il manque une impulsion politique pour arriver vraiment à la bombe » résume ainsi Héloïse Fayet, chercheure au Centre des études de sécurité de l’IFRI.

L’Iran peut-il tenir ?

Pour l’heure, Téhéran montre les muscles. « Nous ne reculerons pas d’un iota sur les intérêts du peuple iranien » rappelait récemment Raisi. Une déclaration qu’il faut prendre avec une pincée de sel, surtout au vu de la récente répression des « fauteurs de trouble » qui manifestaient contre le manque d’eau à Ispahan. A se demander si le régime ne confond pas ses intérêts avec ceux de la population. De fait, il y a un véritable ras-le-bol à l’égard d’une classe dirigeante dont les choix géopolitiques ont considérablement appauvri la population. « L’Iran souffre depuis trois ans de nouvelles sanctions imposées par Trump, et régulièrement, le mécontentement populaire se manifeste face aux conditions de vie difficiles, en ce moment même sur la question des pénuries d’eau. Dans quelle mesure le pouvoir n’a-t-il pas intérêt au compromis qui desserrerait l’étau ? », s’interroge l’éditorialiste Pierre Haski.

L’autre inconnu est la réaction des alliés de l’Iran en cas de d’échec des négociations, en particulier la Russie et la Chine, signataires de l’accord de 2015. « On sait que Pékin s’est rapproché de l’Iran, mais jusqu’ici, Russie et Chine jouent le jeu à Vienne » rappelle l’analyste. Soutiendront-ils un régime fragile s’il se montre inconséquent ? Difficile à dire. Et ce d’autant qu’un autre acteur régional joue des pieds et des mains pour isoler l’Iran : Israël. En attestent ses manœuvres militaires avec le Bahreïn et les Emirats arabes unis dans la mer rouge le mois dernier. « Si l’Iran n’apporte aucune modification à ses demandes, il semble désormais possible que les négociations échouent la semaine prochaine, avec le risque potentiel d’une attaque d’Israël contre Téhéran », observe The Guardian.

Le paradoxe israélien

Ce retour de l’option militaire, pourtant enterrée avec les réserves américaines sous Georges W Bush puis Barack Obama, est une première qui atteste des évolutions rapides dans la région. Elles ont été permises par la signature des accords d’Abraham de 2020, qui a officialisé le rapprochement de l’Etat hébreu avec des pays arabes du Golfe. Ce texte a permis un alignement stratégique contre la menace iranienne d’acteurs historiquement ennemis. « Israël essaye de se protéger d’un retrait global des américains de la région. On l’a vu déjà avec le retrait d’Afghanistan, le retrait qui se prépare en Irak et plus largement le pivot vers la Chine », analyse Héloïse Fayet. Il s’agit également de compenser l’éloignement avec l’UE après les brouilles répétées entre Bruxelles et Benyamin Netanyahou – qui n’a pas hésité à chercher à diviser l’Union, quitte à se rapprocher de régimes ouvertement antisémites.

Pour Israël, la question du nucléaire iranien est une priorité absolue. La « doctrine Begin » veut ainsi éviter à tout prix qu’une puissance nucléaire n’apparaisse à ses côtés. Aussi, le pays joue sur tous les tableaux, avec la tournée du Ministre des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, en déplacement à Londres et Paris mais aussi celle de Benny Gantz et du directeur du Mossad, David Barnea, attendus cette semaine à Washington. Ces derniers se trouvent cependant dans une situation délicate : ils sont opposés à l’accord – et à toute levée des sanctions visant l’Iran qu’ils accusent de faire du « chantage nucléaire » – alors que c’est bien l’absence d’accord qui a mené au pouvoir un gouvernement ultraconservateur et a permis à Téhéran de reprendre sa politique d’enrichissement. Si la situation a rapidement et profondément évolué dans la région, en grande partie à l’initiative de l’Etat hébreu, ce dernier ne semble pas sur ce point précis disposé à en prendre note et changer son fusil d’épaule.

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