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Crise en Ukraine : que veut vraiment Poutine ?

Poutine

Les relations entre occidentaux et russes sont compliquées depuis le renversement du président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch lors d’un coup d’État en 2014. Les tensions ont toutefois atteint un point d’orgue avec le déploiement par Moscou de 100 000 soldats à la frontière du Donbass, région insurgée ukrainienne. Dans le même temps, la Russie a présenté aux États-Unis une liste de conditions qu’elle jugeait nécessaires pour éviter un affrontement militaire en Ukraine et a indiqué que l’Occident disposait d’un mois seulement pour répondre. Dans le même temps, les cyber-attaques se sont multipliées contre Kiev, auxquelles il faut ajouter lé découverte de nombreux logiciels malveillants dormants sur de nombreux sites ukrainiens.

La provocation de la Russie atteint des niveaux dangereux – surtout pour un pays dont le dirigeant tient largement sa licence sociale d’autocrate de son image d’homme fort qui défend fièrement les intérêts de la patrie. En réaction, lundi l’Otan a annoncé avoir envoyé des renforts militaires, dont des navires de guerre et des avions de combat, en Europe de l’Est. Heureusement, le conflit est improbable. Pour commencer, les occidentaux n’ont aucune obligation de défendre l’Ukraine, qui n’est pas un membre de l’Otan. En outre, les exigences de Moscou constituent vraisemblablement une offre de départ visant à ouvrir des négociations et non un ultimatum.

La difficulté vient du fait que Vladimir Poutine ne peut pas se permettre d’être pris en flagrant délit de bluff. Fragilisé dans son pays et incapable de se trouver un hériter, il n’acceptera pas une nouvelle humiliation.  Et s’il ne souhaite pas de confrontation directe avec l’occident, il se prépare à ses conséquences. Pour contrer de nouvelles sanctions économiques et financières, Moscou tente de s’appuyer sur Pékin. Poutine et Xi Jinping discutent ainsi déjà depuis quelques temps de mécanismes financiers pour se protéger mutuellement. Des échanges qui doivent reprendre lors de la visite du Président russe en Chine pour les Jeux olympiques d’hiver en février 2022.

Des problèmes de voisinage

Du fait de sa proximité historique et culturelle avec la Russie, l’Otan a laissé l’Ukraine de côté lors de son grignotement de l’espace post-soviétique à partir des années 1990. En un peu plus de 20 ans, 14 pays ont adhéré à l’Otan. Un avancement qui rendait pratiquement inévitable un réveil du jingoïsme russe à mesure que sa zone d’influence se réduit et que la menace se rapproche.  Ce réveil a été incarné par Poutine. Pour Moscou, l’Ukraine– au même titre que la Biélorussie – joue le rôle de tampon entre sa frontière et son ennemi perçu.  Poutine est déterminé à s’opposer à l’émergence d’éventuelles sociétés libérales pro-occidentales dans ces deux pays, qui lui assurerait d’y perdre toute son influence.

Le récent sursaut de la politique régionale russe a été déclenché par plusieurs facteurs. D’abord in y a l’échec des négociations sur accord dans le Donbas avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky – elles étaient pourtant en bonne voie pas plus tard que fin 2019.  Ce dernier, porté au pouvoir par un raz-de-marée, se présentait comme un candidat de la paix. Mais s’est avéré être un dirigeant plutôt erratique. Sa décision de recourir en 2021 à des drones armés contre les séparatistes prorusses à l’Est de son pays a de fait relancé de plus belle les tensions avec Moscou. L’heure est donc à nouveau au rapport de force.

Le chef de la délégation russe à Genève, Sergei Ryabkov, a déclaré qu’il était « impératif que l’Ukraine ne puisse jamais, absolument jamais, entrer dans l’Otan ». Le Pacte de l’Atlantique a aussi fait l’objet des attaques du chef de la diplomatie russe, Sergei Lavrov, qui l’a qualifié de « projet idéologique destiné à récupérer les orphelins de l’effondrement du Pacte de Varsovie et de l’Union soviétique ». Devant ces provocations à la chaîne, le camp occidental a eu la force de garder un sens de la mesure. Et parfois un sens de la formule. « Cher Monsieur Lavrov, nous ne sommes pas orphelins de celui qui nous occupait, mais un pays libre de choisir son avenir », a ainsi répondu un eurodéputé slovaque sur Twitter

Le camp occidental remet son logiciel à jour

La réaction un temps nonchalante, puis alarmiste – avec l’évacuation de son personnel diplomatique – de la Maison blanche aux manœuvres russes a pour leur pas divisé jusqu’en Ukraine. « Ces [divisions] sont sans doute inévitables, car Poutine a en face de lui des pays qui ont des histoires, des intérêts, des situations politiques différentes, même s’ils partagent la même vision stratégique face aux ambitions russes », note justement l’éditorialiste Pierre Haski. Biden s’est plaint de cette désunion des occidentaux qui rend toute riposte militaire difficile, mais dans le même temps a accepté un tête-à-tête exclusif avec Moscou. Une façon sans doute de prendre le leadership et d’anticiper l’opposition à un accord aux États-Unis du fait de la polarisation de la politique nationale.

Si d’aucuns parlent de maladresse diplomatique, il faut nuancer. « Ce propos peut d’abord être une façon pour Biden de montrer aux pays de l’Est de l’Europe (l’Ukraine, la Pologne, les Pays Baltes) que seuls les États-Unis sont un partenaire fiable pour les protéger de la menace russe. Il peut aussi constituer un rappel à l’ordre aux Européens de l’Ouest cette fois : rangez-vous derrière nous, sinon vous serez partiellement responsables d’une éventuelle agression russe en Ukraine » souligne l’analyste Jean-Marc Four. « Berlin rentre d’ailleurs un peu dans le rang en se disant désormais prêt, en cas de conflit, à fermer le gazoduc Nord Stream 2 ». Paradoxalement, les agitations russes donnent également une nouvelle justification à l’Otan, alors même que son rôle était questionné par certains – France en tête.

Le temps de la renégociation

Quoiqu’il en soit, le temps de la renégociation arrive. Samantha Power, ambassadrice américaine aux Nations unies au moment de l’invasion du Donbas et de la Crimée – depuis annexée dans des conditions pour le moins discutables – par la Russie, a fait remarquer que le respect des accords de Minsk était « la seule issue viable à ce conflit ». Il n’est bien sûr pas question de céder à toutes les demandes russes – au moins sans contrepartie. Le Kremlin pourrait être satisfait si le gouvernement américain acceptait un moratoire à long terme sur l’élargissement de l’Otan et s’engageait à ne pas installer de missiles à portée intermédiaire en Europe.

La situation en Ukraine doit aussi progresser. Le statu quo est en effet vécu comme une humiliation par la Russie – qui n’est pas parvenu à obtenir gain de cause – mais aussi dans une moindre mesure par les occidentaux – qui s’offusquent toujours de l’annexion de la Crimée –, sans parler de Kiev. Il est probable que pour sécuriser un accord plutôt qu’un conflit que personne ne veut vraiment, la Russie prenne des engagements réciproques pour répondre à certaines préoccupations des États-Unis.

Son objectif réel n’est pas de conquérir l’Ukraine et de la réintégrer dans un bloc soviétique 2.0, mais de créer ce qu’elle appelle un « équilibre des intérêts » qui revienne sur la composition politique héritée de l’après-guerre froide dans l’Est de l’Europe. Cela constituerait en tout cas une victoire solide susceptible de porter une probable candidature de Poutine sa réélection en 2024. Plus largement, compte tenu de l’évolution du monde ces 30 dernières années, ce changement est inévitable. Reste à savoir si l’UE saura s’unifier à temps et faire entendre sa voix dans ce nouveau chapitre qui se joue à ses frontières.

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