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Guinée : la junte doit orchestrer rapidement une transition vers un nouvel ordre politique et constitutionnel

Le 5 septembre 2021 a marqué le début d’un nouveau chapitre pour la Guinée avec le renversement de son ancien président Alpha Condé à l’occasion d’un coup d’Etat militaire retentissant. Depuis, une junte, le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), est aux manettes et entend assurer une transition progressive vers un nouveau gouvernement. Si l’on peut lui reconnaître d’avoir débarrassé le pays d’un président impopulaire et autocrate, on peut cependant s’interroger sur les risques d’une confiscation du pouvoir par le CNRD et d’une continuation, sous une autre forme, de la politique de son prédécesseur.

Le 1er janvier 2022, l’ancien chef d’Etat Alpha Condé, âgé de 83 ans, prisonnier puis assigné à résidence depuis son renversement le 5 septembre 2021, obtenait l’autorisation de quitter la Guinée pour effectuer des examens médicaux. Une requête adressée par la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) auprès du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), la junte militaire dirigée par le colonel et ancien légionnaire de l’armée française Mamadi Doumbouya à l’origine du coup d’Etat. Depuis la Cédéao s’inquiète des modalités de transition vers un régime représentatif et exige la tenue d’élections libres dans les six mois. Aujourd’hui, la date de ces élections reste encore inconnue. L’organisation internationale a depuis sanctionné individuellement les personnalités constituant la junte et a suspendu la Guinée au sein de ses instances.

La peste d’un autocrate ou le choléra d’une junte militaire ?

Depuis le putsch du 5 septembre 2021, le gouvernement intérimaire entend de son côté rassurer la population et les organisations internationales sur sa volonté d’instaurer un gouvernement démocratique. Cette junte peut s’appuyer sur un soutien populaire solide, nourri par une paupérisation grandissante de la population guinéenne et un vent de révolte depuis le fameux « coup d’état constitutionnel » orchestré par Alpha Condé, ce dernier ayant modifié la Constitution pour mieux être réélu. Ce qu’il fut avec 60% des voix dans des conditions calamiteuses en octobre 2020, lui permettant d’obtenir un troisième mandat consécutif et une onzième année au pouvoir. « La défense de la Constitution contre l’arbitraire du président a fédéré toutes les colères » résumait à cet égard le député de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon. Dans son rapport 2020, le département d’Etat américain dénonçait par ailleurs une répression de masse à l’égard des opposants politiques : des détentions «extrajudiciaires massives», de « sérieuses restrictions de la liberté d’expression », des « violences » et des cas de torture. Début 2021, le pays vivait encore sous la menace de sanctions de la part de l’Union européenne concernant le sort des prisonniers politiques.

Un an après, qu’en est-il des actuels putchistes ? Auréolés d’un état de grâce, ils tentent d’apparaître comme irréprochables. Mais certains signes laissent craindre en sous-main une progressive confiscation du pouvoir. Depuis 1958, la Guinée a déjà connu deux coups d’Etat et des transitions inachevées… pour ne pas dire ratées. Pourtant, la junte veut rester optimiste : « Le président du CNRD remercie le peuple de Guinée pour son adhésion massive à sa vision exprimée à travers des scènes de joie dans l’ensemble du pays » précisait dès septembre un communiqué gouvernemental. « Toutefois, [il] interdit toute manifestation de soutien de quelque nature que ce soit » nuançait le communiqué… Autres sujets d’inquiétude, la présence d’un certain nombre de dignitaires de l’ancien régime toujours en place au sein de la junte et une préférence ethnique de la part du CNRD qui pourrait s’accentuer à l’égard de la communauté malinké – incarnée par Alpha Condé et Mamady Doumbouya -, au détriment des Peuls ou des Soussou.

Cellou Dalein Diallo : « La principale mission, c’est le retour à l’ordre constitutionnel »

« Nous n’avons aucune raison, pour l’instant, de douter de sa bonne foi. Mais, évidemment, nous sommes et resterons vigilants » déclarait en novembre dernier Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition pour Jeune Afrique à propos du colonel Doumboya. « La principale mission, c’est la mise en place d’institutions légitimes, donc le retour à l’ordre constitutionnel ». La plupart des organisations civiles réclament en effet depuis septembre 2021 une transition d’une durée de 18 mois maximum, idéalement 12, et appellent à la mise en place de réformes urgentes afin de lutter contre la misère dans laquelle vit une grande partie de la population guinéenne. Même son de cloche du côté de Cellou Dalein Diallo. Economiste réputé aux allures de Gandhi africain, connu pour avoir restructuré le système bancaire guinéen et chef de file de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), il est arrivé en tête au premier tour des élections de 2010 loin devant Alpha Condé, ainsi qu’en octobre 2020, dénonçant une nouvelle fois les fraudes de l’élection présidentielle et l’inféodation de la commission électorale et de la Cour constitutionnelle aux autorités. Sa longue expérience de l’Etat pourrait en faire le candidat favori des Guinéens à la fonction suprême.

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