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Chine et Russie : partenaires mais pas alliées

La Chine a adopté une position en demi-teinte à l’égard du conflit ukrainien. Pékin a évité de critiquer l’intervention militaire de la Russie et s’est abstenue de la qualifier d’invasion. Dans le même temps, le pays continue d’appeler à la diplomatie plutôt qu’à la guerre pour le règlement des différends entre les deux pays – et plus largement, la Russie et l’Occident. Mais si le régime chinois continue de se prétendre neutre et à défend la paix et la souveraineté territoriale des pays, sa communication interne dit tout autre. Les organes de presse chinois reprennent à ce jour mot pour mot la propagande de Moscou. Aussi, la position du pays est qualifiée par David Rennie, chef du poreau pékinois de The Economist, de « pseudo-neutralité ».

« Il n’y a pas de condamnation ou de soutien explicite à la Russie. Par contre, il faut être extrêmement clair, il y a un soutien implicite continu et omniprésent » résume Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique. « Les éléments de langage chinois, y compris de sa diplomatie, critiquent avant tout les Etats-Unis, qui sont présentés comme responsables de ce conflit ». Un « ni-ni » est à l’image de l’embarras de la Chine :« Il est vrai que les diplomates chinois à l’ONU où à Pékin que ces derniers semblaient surpris et qu’ils n’avaient ni d’éléments de langage prêts ni préparé l’évacuation de leurs ressortissants en Ukraine », note David Rennie.

« Cela étant dit, cela ne signifie pas que Xi Jinping ne le savait pas puisque les décisions les plus délicats sont prises au somment du Parti communiste chinois (PCC) et que le personnel diplomatique se trouve bien plus bas dans l’organigramme du parti », ajoute-t-il. Autrement dit, il est difficile de savoir quelle connaissance le Président chinous avait des intentions russes. Certains éléments vont d’ailleurs dans le sens de la surprise, notamment le fait que la Chine n’aide pas directement le Russie à échapper aux sanctions occidentales et n’a pas pris une position totalement favorable à cette dernière comme l’a montré son abstention lors des votes à l’ONU la semaine dernière.

Il n’en demeure pas moins que Pékin est aujourd’hui « le seul ami de la Russie avec des poches profondes », comme le rappelle David Rennie. Elle est le premier partenaire commercial de la Russie – si on ne compte pas l’UE comme une entité unique – et a acheté un tiers des exportations de pétrole brut de la Russie en 2020. Aussi Moscou tente de convaincre Pékin de l’aider à compenser les boycotts européens en lui achetant davantage de matières premières, de combustibles fossiles et de blé. A ce propos, Gazprom a déclaré avoir signé un contrat pour la réalisation de travaux de conception et d’étude dans le cadre de la construction du gazoduc Soyouz Vostok. Ce dernier permettrait de livrer chaque année jusqu’à 50 milliards de mètres cubes de gaz naturel russe à la Chine via la Mongolie.

Un partenariat, mais pas une alliance

Ce chantier titanesque, permettrait de relier la Chine aux importantes réserves de Sibérie occidentale, qui exporte à ce jour uniquement vers l’Europe. Jusqu’à son inauguration, prévue en 2030, la Russie ne peut envoyer en chine que depuis ses gisements beaucoup plus limités de Sibérie orientale. Pour l’heure, le soutien de Pékin à Moscou est encore limité – tant par ses capacités que sa volonté. À l’ouverture des Jeux Olympiques, Xi Jinping et Vladimir Poutine s’affichaient soudés, et adoptaient un discours anti-atlantiste commun. Ils revitalisaient ainsi le « club des autocrates » faisant front commun contre les démocraties libérales, qui remettent en question la pérennité même de leurs régimes. Mais derrière cette union de façade, il ne faut pas se méprendre : la priorité chinoise est bien de défendre ses intérêts.

La Chine ne sortira en aucun cas de ses gonds pour un allié. « Ils ne se font pas confiance entièrement », résume François Godement, historien et sinologue, conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne. Cette position mesurée n’est pas nouvelle, en attestent les 11 vétos chinois au Conseil de sécurité de l’ONU sur les 21 déposés par la Russie. Elle est renforcée par le fait que l’Ukraine est un partenaire commercial important pour la Chine, avec plus de 15 milliards de dollars d’échanges bilatéraux en 2020. Il s’agit également de la porte d’entrée en Europe de ses nouvelles routes de la soie. S’en faire un ennemi durable serait une sérieuse épine dans le pied pour Pékin, qui deviendrait de fait dépendante de la Russie. La retenue de la Chine se retrouve dans les colonnes du quotidien officiel du PCC Global Times, qui explique que Pékin entend rester « neutre » pour pouvoir jouer un rôle de médiateur entre Kiev et Moscou.

Un soutien évident à Moscou nuirait par ailleurs aux relations de la Chine avec l’Europe, son principal partenaire commercial, mais il risquerait également de pousser les pays traditionnellement non alignés dans le camp occidental devant l’ampleur des violences en Ukraine. « Si Pékin parvenait à ses fins, elle maintiendrait des liens solides avec Moscou, préserverait ses relations commerciales avec l’Ukraine, garderait l’UE dans son orbite économique et éviterait les retombées des sanctions américaines et européennes contre Moscou, tout en empêchant les relations avec les États-Unis de se détériorer de manière significative. Il est sans doute possible d’atteindre l’un ou l’autre de ces objectifs. Les atteindre tous ne l’est pas », résument Jude Blanchette et Bonny Lin pour la revue Foreign Affairs.

Ce que veut absolument éviter le PCC, de de se retrouver enfermé dans une logique de guerre froide avec la plus faible des quatre superpuissances, isolée auprès des autres acteurs par le comportement volatile de la Russie. Mais plus largement, Pékin a un intérêt économique à la stabilité car elle doit sa croissance à ses exportations et son statut d’usine du monde. Le pays est aujourd’hui « de plein pied dans la mondialisation » – tendance renforcée par son recours à la planification pour assurer sa montée en puissance. Aussi il « voit donc forcément d’un mauvais œil une déstabilisation économique mondiale, une flambée des cours des matières premières, et des turbulences sur les marchés financiers », analyse justement l’éditorialiste Jean-Marc Four.

Une mise à jour du logiciel géostratégique mondial

Si la Chine se serait bien passée de cette crise, certaines voix s’y sont levées pour souligner certains bénéfices qu’elle pourrait en tirer. En premier lieu, le conflit détourne l’attention de Washington de la rivalité sino-américaine. Sa montée en puissance a été d’autant plus flagrante qu’elle s’est faite pendant que Washington se saignait dans des guerres insolubles, comme le rappelle le diplomate et universitaire singapourien Kishore Mahbubani. Mais la stratégie adoptée par l’administration Biden en Ukraine a précisément évité aux Etats-Unis de s’enliser dans un conflit, s’appuyant largement sur une réponse européenne commune. Il n’en demeure pas moins que le barrage de sanctions occidentales pousse indéniablement Moscou dans les bras de Pékin et en fait un « partenaire captif ».

Le principal centre d’attention pour les stratèges du PCC est de mesurer l’ampleur et les conséquences des sanctions prises contre Moscou – et dans quelle mesure elles sont réplicables contre la Chine. Si les occidentaux ont l’air faible, cette guerre pourrait en effet servir de précédent pour une invasion de Taïwan, rendue de plus en plus inévitable aux yeux de Pékin par la montée du nationalisme sur l’île. La Chine doit certainement déjà étudier des solutions sur les moyens de se protéger des sanctions occidentales – comme Poutine l’a fait après 2014. Le Premier ministre japonais Fumio Kishida a mis en garde contre ce scénario : « Nous devons envisager la possibilité que si nous tolérons le recours à la force pour modifier le statu quo, cela aura également un impact sur l’Asie ». Le ministre australien de la Défense, Peter Dutton, a fait de même.

Pour autant, l’invasion russe pourrait constituer un recul pour la Chine : « Pékin ne souhaite pas non plus soutenir publiquement l’accaparement d’un territoire par la Russie, étant donné ses craintes profondes que d’autres puissent utiliser une logique similaire pour porter atteinte à la souveraineté territoriale chinoise », soulignent Jude Blanchette et Bonny Lin. La première leçon de cet épisode est que la réponse occidentale est beaucoup plus sévère que prévu. La Chine a peut-être sous-estimé leur détermination après les fiascos afghan et syrien. A cela il faut ajouter invasion russe se passe mal. Intimider un adversaire pour le soumettre est plus difficile qu’il n’y paraît. Les difficultés de la conquête, le coût en vies, en argent et en réputation sont considérables. Si la Chine prend des notes sur les conséquences de l’invasion russe en Ukraine, il est fort à parier qu’après cette attaque et la mise au pas brutale de Hongkong, les taïwanais soient en train de prendre des notes sur et d’adapter leurs moyens de défense.

« La leçon que l’on peut tirer des actions de la Russie est que si la PCC envahissait Taïwan et que cela se transformait en un long bain de sang, la réputation mondiale de la Chine se dégraderait rapidement et durablement. La Chine s’isolerait et deviendrait un paria international » conclut Grant Newsham, chargé de recherche senior au Forum japonais d’études stratégiques. « Même les classes financières et commerciales américaines – qui ont jusqu’à présent ignoré les preuves accablantes de violations des droits de l’homme en Chine dans l’espoir de faire de l’argent – devraient changer de discours devant des vidéos de Taipei, Taichung et Kaohsiung bombardées, avec des civils morts dans les rues. » Sans parler des pays non-alignés que la Chine courtise avec un discours dénonçant l’impérialisme occidental – et qui comprendraient mal que la Chine en fasse de même.

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