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Sri Lanka : une crise en chasse une autre

Manifestation anti-gouvernement au Sri Lanka

La situation ne s’améliore pas pour le Sri Lanka. L’économie nationale est au bord d’un effondrement « irrémédiable » d’après le chef de la Banque centrale, Nandalal Weerasinghe. Le pays est au plus mal depuis que la pandémie de Covid a stoppé le tourisme – source de revenus très important pour l’île. La situation s’est toutefois sensiblement empirée sous l’effet de la guerre d’Ukraine qui a qui a brutalement augmenté le prix de l’énergie et des céréales. Le pays est aujourd’hui confronté à une inflation galopante, qui a notamment affecté les prix des denrées alimentaires (30 % en avril). Cette situation a été aggravée par une série de mauvaises décisions politiques, si bien qu’aujourd’hui, le pays n’a plus assez de réserves de change pour importer l’énergie qu’il faut pour faire tourner le pays.

Il s’agit de « la pire crise économique depuis son accession à l’indépendance en 1948 » d’après l’éditorialiste Pierre Haski. De fait, le pays est endetté à hauteur 51 milliards de dollars, dont 8 arrivent à maturité, laissant pratiquement aucun espoir de remboursement. « Nous espérons pouvoir parvenir à un accord avec nos créanciers d’ici six mois environ. Notre position est très claire. Jusqu’à ce qu’ils arrivent à restructurer, nous ne serons pas capables de payer », a prévenu Nandalal Weerasinghe. Une situation empirée par l’incapacité du gouvernement à nommer un ministre des Finances, ce qui retarde chaque jour un peu plus les négociations avec les créanciers et le Fonds monétaire international.

A ce jour, le pays a besoin d’au moins 85 millions de dollars de liquidités par semaine pour financer les importations essentielles. Le pays jour gros, car son premier créancier est nul autre la Chine, qui a multiplié les crédits dans le cadre de ses nouvelles routes de la soie. Or, Pékin s’est systématiquement montrée intransigeante dans ses négociations en cas d’impayés : le Sri Lanka a d’ores et déjà dû céder le contrôle d’un port en eau profonde pour 99 ans. Dans le même temps, la colère gronde et un mouvement de contestation demande le départ du Président Gotabaya Rajapaksa afin de mettre un terme à la mainmise sur le pouvoir de son clan politique – le premier ministre était nul autre que son frère, Mahinda Rajapaksa.

Le déclin de la dynastie Rajapksa

Ce dernier a été contraint de démissionner le 9 mai, peu après des attaques meurtrières par ses partisans contre des manifestants. Un retrait qui a ouvert la voie du pouvoir au principal parti d’opposition, le Samagi Jana Balawegaya. Après plusieurs jours de blocage, les deux principaux partis d’opposition ont finalement décidé de soutenir un nouveau gouvernement afin de sortir le pays de l’impasse. Ranil Wickremesinghe est aux commandes depuis une semaine – un ancien Premier ministre chassé du pouvoir dans le sillage des sanglants attentats de Pâques en 2019. Un souvenir très douloureux qui explique en partie pourquoi ce dernier ne fait pas l’unanimité, en particulier au sein du mouvement de protestation

Les manifestants accusent également leur nouveau chef de gouvernement d’avoir protégé les Rajapaksa lors de son dernier mandat. « Les gens veulent une personne intègre, pas quelqu’un qui a été battu politiquement. M. Wickremesinghe n’est qu’un représentant du Parlement et il n’y dispose pas de la majorité. Cette nomination n’est pas légale, et ce n’est pas la solution que la population de ce pays », a abondé l’archevêque de Colombo, le cardinal Malcolm Ranjith. Un avis partagé par Omale Sobitha, membre influent du clergé bouddhiste du Sri Lanka : « Ce que nous avons demandé, c’est un nouveau gouvernement qui comprendra du sang neuf, et non pas ceux qui ont déjà été rejetés par le peuple ».

Le mécontentement reste toutefois principalement dirigé vers le Président. « Aux yeux des manifestants, la famille, qui est au cœur de la politique de pouvoir de la nation depuis 2005, est la cause centrale des malheurs du Sri Lanka et n’est plus crédible en tant que protectrice de la majorité bouddhiste cinghalaise du pays », précise Alan Keenan, de l’ONG Crisis Group. Et pour cause : à leur apogée, les Rajapaksa occupaient tous les postes clé au Sri Lanka : président, Premier ministre, ministres des Finances et de l’Intérieur. « Pendant de nombreuses années, les défenseurs des droits humains ont dénoncé la répression, les massacres, la corruption et le népotisme de la dynastie politique la plus puissante d’Asie du Sud-Est » rappelle à ce propos Leela Jacinto dans les colonnes de France 24.

Vers un embrasement national ?

A ce jour, le président Gotabaya Rajapaksa, dernier membre de son clan à avoir échappé à la vindicte populaire, s’accroche encore au pouvoir. Ce dernier a eu recours à un déploiement massif de l’armée et maintient le pays dans un état d’urgence constant, autorisant les forces de sécurité à procéder à des arrestations et des détentions arbitraires. Amnesty International a dénoncé des autorisations de tirer sur les manifestants qui « confèrent des pouvoirs excessifs à la police et à l’armée » et « constituent un permis de tuer ». « Si à ce jour, le président Gotabaya demeure encore à son poste, l’actualité de son départ se pose moins au conditionnel qu’au futur proche » estime toutefois Olivier Guillard, spécialiste de l’Asie chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal)

D’après ce dernier, Rajapksa, qui est politiquement très isolé. Pour autant, il souhaite à tout prix conserver son immunité présidentielle « alors que de possibles procédures pénales, au Sri Lanka mais également – et surtout – à l’étranger, pourraient voir le jour ». Ce dernier est inquiété à plus d’un titre : son rôle dans les dernières années de guerre civile à la fin des années 2000, de possibles malversations, prises illégales d’intérêt, détournements de fonds publics et autres faits de corruption. Aujourd’hui, la disgrâce qui frappe cette famille semble s’étendre au nouveau gouvernement à mesure que les résultats concrets pour la population se font attendre. La situation matérielle se dégrade encore un peu plus pour la population, avec des pénuries des de denrées alimentaires, de carburant ou de médicaments et de coupures de courant allant parfois jusqu’à 12h par jour. Aussi, il existe un risque de plus en plus réel que les manifestations politiques se transformer en émeutes de la faim.

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