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Israël s’invite dans les eaux libanaises 

Liban, IsraëlLiban, Israël

Depuis des années Israël empiète sur l’espace maritime revendiqué par le Liban, et dépasse désormais sa frontière de 860 kilomètres. Beyrouth proteste, mais la corruption qui ronge le pays et la faiblesse de ses forces navales l’empêchent de s’opposer à Israël.

Négociations calamiteuses 

Début mai, une unité flottante de production, de stockage et de déchargement (FPSO) de l’entreprise Energean Power a quitté le port de Singapour à destination du champ gazier de Karish, situé à la frontière maritime entre Israël et le Liban. L’immense navire, mandaté par Israël, a traversé le canal de Suez samedi 4 juin, avant t’atteindre le champ gazier dimanche. « Cette arrivée consacre le fiasco libanais en matière de défense de ses frontières maritimes », admet Laury Haytayan, experte en énergie et secrétaire générale du parti d’opposition Taqaddom.

« Dès lors que débutera l’extraction du gaz, le Liban perdra une carte maîtresse face à Israël », abonde Michel Ghazal, consultant auprès de l’équipe libanaise déléguée pour conduire des pourparlers indirects avec Israël, qui avait proposé un nouveau tracé en octobre 2020, traversant le champ Karish. « Notre objectif était de sortir de la guerre de position qui durait depuis dix ans déjà. Cela supposait que le Liban inverse le rapport de force, grâce à une revendication qui, en droit international de la mer, a pour effet de contraindre les parties à suspendre toute exploitation dans la zone disputée, explique l’expert. Nous comptions sur la volonté israélienne de mener à bien l’exploitation de Karish pour l’amener à transiger et sortir de l’impasse.»

Et la peine est double pour le Liban, qui de son côté peine à entamer l’exploration du champ gazier. « Aucune compagnie n’est disposée à investir dans un État aussi dysfonctionnel », explique Diana Kaissy, consultante en gouvernance dans le secteur de l’énergie. De plus, le seul groupe intéressé, le consortium Total, Eni et Novatek, n’a pour le moment effectué qu’un forage infructueux, et vient d’obtenir des extensions de délais conformément à son contrat. « Le Liban en est réduit à ces marchandages, tandis qu’il y a visiblement très peu d’appétit pour le deuxième appel d’offres pour l’attribution de licences, dont la clôture est prévue le 15 juin », ajoute Diana Kaissy.

« Le Liban est un grand bazar »

Pour Laury Haytayan, bien qu’Israël soit évidemment parti dans ce litige, la responsabilité revient avant tout au Liban, un pays rongé par la corruption, où intérêts personnels et influences étrangères priment sur l’intérêt national. « Pourquoi la ligne 29, la position de négociation la plus favorable, pourtant identifiée dès 2011 dans un rapport de l’office hydrographique britannique UKHO n’a jamais été officialisée pendant une décennie entière ? », s’interroge l’experte, qui promet de mettre sur pied une commission d’enquête parlementaire pour trouver les responsables. 

« Non seulement la ligne 23 comporte de nombreux défauts d’un point de vue du droit international, notamment celui de démarrer en mer et non pas sur le rivage, mais la ligne 29 est la plus solide techniquement et juridiquement, en totale conformité avec la Convention internationale du droit de la mer », relevait Najib Messihi, l’expert juridique de la délégation présidée par Bassam Yassin, général de l’armée libanaise, en 2011. « Comment se fait-il que les autorités ont adopté et envoyé à l’ONU les coordonnées de la ligne 23 en 2011 alors que le rapport UKHO propose deux tracés plus avantageux? Pourquoi ce rapport n’a-t-il pas été porté alors à la connaissance du Conseil des ministres ? », interrogeait d’ailleurs le général dans le rapport britannique UKHO, longtemps resté confidentiel.

« La question gazière est indissociable des enjeux géopolitiques. Derrière les identités mouvantes de la scène politique locale, il y a deux camps: le Hezbollah et ses amis ; les alliés des États-Unis au sens large. Les premiers n’ont pas intérêt à un accord avec Israël indépendant d’une solution régionale impliquant l’Iran. Les seconds ne peuvent pas se permettre de déplaire à Washington dont la priorité est de défendre les intérêts israéliens », rappelle un expert libanais ayant souhaité garder l’anonymat. Oui, « le Liban est un grand bazar », résume Laury Haytayan. 

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