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Le dilemme des anti-guerre face à la situation en Ukraine

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HMNZS Canterbury loading Army vehicles in the port of Napier.

Les anti-impérialistes sont fortement divisés depuis le début du conflit en Ukraine, leur rejet du recours à l’outil militaire devant désormais être mis en balance avec la situation sur le terrain, et les conséquences réelles d’un recours à la force. En définitive, leur camp se retrouve scindé en deux, avec d’un côté ceux qui prétendent vouloir préserver la vie à tout prix, quitte à se soumettre à Poutine, et de l’autre les partisans de la liberté, qui veulent armer l’Ukraine. 

« Le point de vue avec lequel nous polémiquons ne se caractérise pas par une sympathie envers PoutineIl s’agit d’une gauche qui a condamné l’invasion de l’Ukraine mais qui renvoie ce conflit à une rivalité interimpérialiste. Selon moi, cette position est abstraite et dangereuse du point de vue de ses conséquences, si elle était appliquée. Car la ligne de partage, au fond, est celle qui sépare ceux qui approuvent les livraisons d’armes et ceux qui s’y opposent », résume la philosophe Daria Saburova.

L’art de ne rien dire

Il s’avère que les plus farouches opposants aux livraisons d’armes sont également les anti-impérialistes les plus convaincus, qui se contentent de rejeter la faute d’un camp à l’autre. Leur argumentaire tourne autour des notions de responsabilité, de camps, d’impérialisme sans se soucier, en définitive, de la situation sur le terrain. 

Le philosophe Stathis Kouvélakis par exemple, base tout son raisonnement sur la responsabilité des Etats-Unis. Il s’échine à démontrer qu’ils sont en grande partie responsables de la situation actuelle, et que les livraisons d’armes ne servent maintenant qu’à « vassaliser » l’Ukraine, mais se garde bien de proposer une situation tangible pour sortir du conflit. 

Poutine n’a pas fantasmé son «“encerclement” par des puissances hostiles » orchestré par « l’impérialisme archidominant » des Etats-Unis. « Tout cela est malheureusement avéré », affirme Stathis Kouvélakis. Le « niveau d’implication de l’Occident montre bien qu’il ne s’agit pas d’un simple différend extérieur entre un État fort et un État faible. L’intégration de l’Ukraine au camp occidental n’est pas l’enjeu unique, mais c’est l’enjeu central », affirme le philosophe. 

« La livraison d’armes à l’Ukraine ne peut avoir qu’un seul but, assurer sa future vassalisation et sa transformation en avant-poste de l’Otan sur le flanc est de la Russie », ajoute Stathis Kouvélakis. « Comme dans tout conflit interimpérialiste, la victoire d’un camp ou d’un autre entraîne des conséquences dévastatrices, la pire étant sans doute un embrasement généralisé en Europe », se contente-t-il de prévenir.

Nécessité de composer

En restant obnubilés par l’idée d’impérialisme, qu’ils considèrent être la cause du conflit, les opposants aux livraisons d’armes en oublient la situation réelle. Les analyses du « néo-impérialisme américain » sont prévisibles et dépassées, leur répond le chercheur ukrainien Volodymyr ArtiukhElles n’expliquent pas « le monde qui émerge des ruines du Donbass et de la place principale de Kharkiv. Les États-Unis ont peut-être dessiné le contour de ce jeu de société, mais aujourd’hui les autres joueurs déplacent leurs pions et ajoutent leurs propres contours avec un marqueur rouge ».

La réponse la plus pertinente vient donc des anti-guerres qui ont réussi à composer entre anti-impérialisme et réalité. « Dans l’idéal, je suis favorable au démantèlement des blocs militaires et au désarmement nucléaire, mais dans la conjoncture actuelle, il est délicat de dénier à d’autres peuples l’aspiration à des garanties sécuritaires fortes », explique Daria Saburova. 

« Quand on parle de l’armement de la résistance ukrainienne, on doit penser avant tout aux besoins des groupes de défense territoriale issus de la mobilisation générale, ainsi qu’au besoin de protection des populations civiles par les armes permettant d’abattre les roquettes et les raids aériens qui les visent, ajoute la philosophe. Une position antimilitariste abstraite doit faire place à un mouvement concret pour la paix en Ukraine, qui prenne en compte les besoins aussi bien militaires que non militaires de la résistance ukrainienne. Plus elle dure, et plus elle se renforce, plus le mouvement pour la paix en Russie comme à l’étranger a des chances de réussir. »

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