Site icon La Revue Internationale

Les mille-et-un défis de la Libye de demain

libye-défis-election-presiddentielle - La revue internationalelibye-défis-election-presiddentielle - La revue internationale

Le pays d’Afrique du Nord est déchiré depuis la chute de Mouammar Kadhafi par d’incessantes rivalités entre adversaires politiques, eux-mêmes soutenus et armés par des puissances étrangères aux intérêts divergents. Dans le même temps, la population est en première ligne face à la corruption généralisée et au crime organisé, sur fond d’inflation galopante et de paupérisation avancée. L’élection présidentielle, pourtant cruciale pour le destin du pays, tarde à arriver.

Un nouveau coup dans l’eau et la perspective d’une plongée toujours plus profonde dans le chaos. Mi-juin, la médiation de l’ONU censée rapprocher les deux camps rivaux libyens autour d’un cadre favorisant la tenue de prochaines élections – présidentielle et législatives – s’est, sans réelle surprise, à nouveau conclue sur un constat d’échec, après plusieurs tentatives avortées, dont la Conférence de Berlin II, qui a entériné les espoirs d’une paix durable en Libye. Alors que le mandat du gouvernement d’union nationale (GNU) expirait officiellement le 21 juin, aucun terrain d’entente n’a été trouvé entre les représentants, d’un coté, du Parlement libyen et de son gouvernement formé à Syrte, dans l’Est du pays, en mars dernier et, de l’autre, les émissaires du Haut conseil d’Etat (HCE)-Sénat de Tripoli, soutenu pour sa part par les Nations Unies. « Des divergences persistent sur les mesures régissant la période transitoire menant aux élections », s’est bornée à reconnaître la conseillère du secrétaire général de l’ONU pour la Libye, Stephanie Williams. « Des élections présidentielles équitables nous rapprocheraient un peu plus de l’unité, de la transformation et de la stabilité de la Libye », estime Mohamed Shawesh, un candidat à l’élection présidentielle libyenne issu du monde des affaires et de la société civile, qui souhaite transformer la vie politique locale pour y faire émerger des personnalités nouvelles.

La Libye, théâtre d’un jeu d’influence entre puissances étrangères

Depuis la chute du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011, le pays est en proie au chaos et à la violence, aucune force ne réussissant à s’imposer sur les autres pour tenter de faire régner un semblant d’ordre. Les coups d’État succèdent aux coups de force, comme lorsqu’en avril 2019 le maréchal Haftar, soutenu par les Emirats arabes unis (EAU) et les mercenaires russes de l’organisation paramilitaire Wagner, a tenté de s’emparer de la capitale Tripoli, avant d’en être chassé par les troupes loyalistes épaulées par la Turquie.

Si la capitale libyenne est aujourd’hui le théâtre d’affrontements quasi-quotidiens entre milices rivales, un espoir de paix avait pourtant semblé poindre à la suite du cessez-le-feu signé en octobre 2020. Et, surtout, après la nomination en février 2021 du gouvernement d’unité nationale, les camps rivaux acceptant de gouverner ensemble pendant une période de transition de 18 mois. Arrivée à échéance sans qu’aucune porte de sortie ne soit aménagée, cette trêve armée laisse désormais place à une période lourde d’incertitude, le gouvernement de l’Est, dirigé par Fathi Bashagha, menaçant celui de Tripoli, à la tête duquel compte bien se maintenir, faute d’élections, l’actuel premier ministre Abdel Hamid Dbeiba.

Extrêmement confus et volatil sur le terrain, le chaos libyen ne peut être appréhendé qu’à la lumière des luttes que s’y livrent, par camps interposés, les puissances étrangères. « Les relations avec l’ouest de la Libye et les nations étrangères, couplées à des relations similaires avec l’est de la Libye et d’autres nations étrangères concurrentes, découlent des engagements des gouvernements précédents envers des accords d’intérêt personnel qui n’ont pas expiré au fil du temps » souligne aussi Mohamed Shawesh. Ainsi à l’Est, Bashagha est soutenu par l’Egypte, où le cousin de feu Mouammar Kadhafi, Ahmed Gaddaf al-Dam, mène un puissant travail de lobbying en tirant parti de sa proximité personnelle avec le président égyptien al-Sissi. Le camp oriental pouvait aussi, jusqu’il y a peu, compter sur le soutien d’Abou Dabi et du Kremlin, avant que les EAU et la Russie ne se désengagent, sans aller toutefois jusqu’à soutenir ouvertement le GNU de Dbeiba. Dbeiba et le GNU qui peuvent, de leur côté, miser sur l’appui récent de l’Algérie voisine – mais aussi sur celui de l’autocrate tchétchène Ramzam Kadirov et des conseils tribaux de la région méridionale du Fezzan, dont le plein contrôle échappe pour le moment aux troupes du général Haftar. « Des sanctions doivent permettre de tarir les flux de financement des milices venus de l’intérieur mais aussi de l’extérieur du pays. Il faut une stratégie globale et concertée. La plupart des membres des milices ne veulent pas faire ce qu’ils font, mais ils doivent le faire car ils n’ont pas le choix » explique Mohamed Shawesh.

Les habitants sombrent dans la pauvreté

Déchirée par la violence et au bord d’une nouvelle implosion politique, la Libye fait, de surcroît, face à une situation économique des plus dégradées. Excessivement dépendant du pétrole dont son sous-sol regorge, le pays est, paradoxalement, contraint d’importer, au prix fort, 80% de sa consommation intérieure. Des importations de gasoil dont une part significative (près de 40%) serait, de plus, détournée par les contrebandiers et trafiquants qui mettent l’économie libyenne en coupe réglée. Sans parler de la corruption endémique, la Libye pointant, en 2021, à un désastreux 172e rang mondial (sur 180 pays) à l’indice international de perception de la corruption établi par l’ONG Transparency International. « La corruption doit être combattue par une application efficace de la loi, assurée par un cadre juridique solide, soutenu par un système judiciaire indépendant et efficace » affirme Mohamed Shawesh. Face à ce phénomène, Mohamed Shawesh prône l’instauration d’une culture de la transparence. « En établissant des normes convenues pour les appels d’offres publics afin de soutenir tous les projets, il faut promouvoir la transparence et fournir un accès à l’information sur demande, permettant aux citoyens d’avoir toujours un aperçu de tout à tout moment », explique-t-il.

Enfin, la prééminence d’un pléthorique secteur public, qui emploie toujours les trois quarts de la population active libyenne – sans parvenir à la faire vivre, la plupart des agents publics devant exercer une activité privée pour boucler les fins de mois – contribue à l’atonie économique. Une situation qui oblige le gouvernement à développer le secteur privé selon Mohamed Shawesh : « Il est essentiel que le gouvernement rende l’économie favorable aux entrepreneurs. Il doit proposer de manière proactive des programmes de formation et des subventions financières pour soutenir les nouvelles idées ». Il affirme aussi vouloir créer un « ensemble diversifié d’exportations nouvelles et variées créant une capacité économique résiliente pour la nation à l’avenir ».

Dans ce chaos généralisé, les premières victimes sont évidemment les populations civiles. L’effondrement du dinar libyen, dont la valeur a été divisée par cinq depuis la révolution, couplé à l’inflation galopante des produits de première nécessité comme le riz, dont le prix a bondi de 75%, a plongé une grande partie des habitants dans la misère. Pris en otages entre les factions rivales, spectateurs impuissants des violences déchirant leur pays depuis plus de dix ans et victimes collatérales de la désintégration politique et économique de la Libye, les citoyens en sont, pour la plupart, réduits au système D pour tenter de joindre les deux bouts. L’incertitude entourant la perspective de futures élections pourrait bien faire s’envoler le peu d’espoir que certains nourrissaient encore à propos d’un rétablissement et d’une pacification de la Libye.

Quitter la version mobile