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Pourquoi Poutine n’utilisera pas l’arme nucléaire

Bien qu’il multiplie les allusions au feu nucléaire, le président russe n’aurait aucun intérêt à y avoir recours, et il le sait. Une telle arme n’aurait que peu d’effet sur le champ de bataille, mais elle isolerait inévitablement Moscou de la scène internationale. 

« Je voudrais ici rappeler à tous que notre pays dispose de divers types de ressources militaires, dont certains éléments sont plus avancés que ceux des pays de l’Otan. En cas de menace de l’intégrité territoriale de notre pays, il va de soi que nous utiliserons tous les moyens à notre disposition pour défendre la Russie et notre peuple. Ce n’est pas du bluff », a une nouvelle fois rappelé Vladimir Poutine le 21 septembre, lors de son discours annonçant la mobilisation partielle. Mais la menace de l’emploi de la bombe est bien plus efficace que la bombe elle-même, tant les conséquences de son utilisation seraient néfastes pour la Russie. 

Faible intérêt tactique

Tout d’abord, l’utilisation d’une arme nucléaire ne changerait pas le cours de la guerre. En effet, une telle arme n’est pas utile contre une armée, puisque « les unités sont disséminées, et pas toutes concentrées au même endroit, explique Xavier Tytelman, ancien aviateur militaire et consultant en défense et aéronautique. Cela impliquerait de tirer sur l’intégralité des fronts nord et sud … ». Peu probable donc.

« Le théâtre ukrainien se prête assez mal à un emploi de ces armes de nature à changer la donne sur le plan militaire : il y a peu de grandes concentrations de blindés, par exemple », abonde Bruno Tertrais, directeur adjoint de la FRS (Fondation pour la recherche stratégique).

Toutefois, un « scénario du pire » reste envisageable, selon l’expert. Cela « consisterait sans doute dans l’explosion symbolique, destinée à effrayer, d’une arme nucléaire, soit en haute altitude, soit en pleine mer », explique Bruno Tertrais. « Les conséquences seraient bien moindres qu’une frappe sur une ville ou sur un convoi d’armement très localisé, un scénario hautement improbable à ce stade », suggère Héloïse Fayet, chercheuse à l’Ifri. « Dans les années 1970, les puissances nucléaires occidentales, dont la France, sont passées d’une doctrine anti-cités, qui consistait à faire le plus de dégâts possible sur des centres démographiques, à une doctrine anti-forces, qui vise à cibler beaucoup plus précisément des points névralgiques. Mais la Russie ne communique pas sur ses éventuels plans de cible », nuance la chercheuse.

Isolement diplomatique

Mais plus que le faible intérêt tactique, c’est l’isolement diplomatique que redoute Moscou. En effet, comme l’a récemment assuré le président américain Joe Biden, en cas d’agression nucléaire « la Russie deviendra encore plus un paria dans le monde qu’elle ne l’a jamais été ».

« Si l’on veut bien considérer qu’il est un joueur de poker plutôt que d’échecs, cela reviendrait à « faire tapis », illustre Bruno Tertrais. Car il risquerait alors de tout perdre, à minima ses soutiens internationaux, y compris celui de la Chine, pour laquelle un tel geste serait sans doute inacceptable ».

En effet, la Chine « se désolidariserait complètement » de Moscou, selon Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France à Moscou. « Ce n’est pas encore une grande puissance nucléaire, et elle n’a aucun intérêt à une escalade dans le domaine ». Or, « si les échanges s’arrêtent avec la Chine, la Russie s’effondre en trois semaines », assure Xavier Tytelman.

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