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La neutralité suisse face à la guerre

Alors que la Suisse vient une nouvelle fois d’interdire à l’Allemagne d’envoyer en Ukraine des munitions de conception helvète destinées aux blindés de défense antiaérienne Gepard, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer la neutralité suisse. Pourtant ce statut, qui ne concerne que le volet militaire, n’empêche pas la Suisse de fournir une aide précieuse à l’Ukraine.

Neutralité codifiée

Il « n’y a toujours pas lieu de répondre favorablement à la demande de l’Allemagne », expliquait le ministre suisse de l’Économie Guy Parmelin. Pourtant, comme le rappelle Jean-Marc Rickli, directeur des risques globaux et émergeants au Centre de politique de sécurité (GCSP) de Genève, les obligations des Etats neutres, derrière lesquelles se cache la Suisse, sont en réalité peu nombreuses. 

Codifiées lors des conventions de La Haye de 1899 et 1907, les principales obligations sont les suivantes. Tout d’abord, l’Etat neutre « ne peut pas mettre son territoire à disposition des belligérants et doit garantir l’inviolabilité de son territoire », explique Jean-Marc Rickli. La neutralité n’interdit donc pas d’avoir une armée. Au contraire, elle l’impose, puisque l’Etat doit défendre son territoire. 

Autre grand principe de la neutralité, l’Etat concerné ne peut fournir aucun soutien militaire dans le cadre d’un conflit armé. La Suisse ne peut donc pas « livrer des biens militaires de stocks étatiques », insiste l’expert. De plus, outre ces conventions, « la législation suisse sur l’exportation du matériel de guerre interdit de commercer avec des États en guerre interétatique et donc la décision du gouvernement suisse repose sur le respect de cette législation ».

Neutralité politique 

Mais bien que codifiée, la neutralité est aménageable en fonction des considérations politiques du pays. Par exemple, en Suisse, la loi « permet des exceptions en ‘circonstances exceptionnelles’, au paragraphe 2 de l’article 19 », rappelle Thomas Cottier, ancien directeur du World Trade Institute et professeur émérite de droit européen et international à l’Université de Berne.

Or, la guerre en Ukraine pourrait être assimilée à une « circonstance exceptionnelle ». En effet, « le gouvernement suisse a la possibilité d’octroyer à l’Allemagne une permission exceptionnelle de réexportation, car l’agression russe viole l’article 51 de la Charte de l’ONU, qui autorise en retour tous ses membres, y compris la Suisse, à prendre des mesures de défense collective contre l’agresseur », pointe Thomas Cottier.

D’après le chercheur, l’opposition de la Suisse au transfert de munitions par l’Allemagne tient plus de « considérations de nature purement politique » que juridique. « Le gouvernement suisse craint de perdre la face et de s’exposer à la critique de la droite en cédant aux pressions allemandes », estime Thomas Cottier.

Sanctions économiques

En définitive, « chaque État neutre peut choisir la politique qu’il veut mettre en œuvre pour crédibiliser sa neutralité », explique Jean-Marc Rickli. Et, quelle qu’elle soit, la politique choisie n’est pas figée, elle « peut évoluer en fonction de la perception du climat international et s’adapter au contexte mais elle doit respecter les obligations du droit de neutralité ».

En ce qui concerne la Suisse, celle-ci préfère donc avoir recours à des sanctions économiques, ces dernières n’étant « pas couvertes par le droit de la neutralité, qui ne concerne que l’aspect militaire », souligne Jean-Marc Rickli. Ainsi, depuis 1993, la Confédération helvétique a décidé d’appliquer « les sanctions onusiennes et les sanctions économiques par d’autres organisations si elles servent la paix et l’ordre international. Dans ce cas le gouvernement doit peser soigneusement les intérêts en présence », explique le chercheur.

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