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La Ligue arabe suspend sa mission

[image:1,l] Installés dans un hôtel de Damas pour le petit déjeuner, samedi 21 janvier, les observateurs de la Ligue arabe ne se doutent pas qu’il s’agit du dernier jour de leur mission.

Une crise qui tourne en guerre civile

Chaque matin depuis leur arrivée en Syrie, ils se mettent en route pour être les témoins des effets de la répression exercée par le régime contre son propre peuple.

Depuis le début de leur mission, leur travail n’a pas été des plus faciles. La crise en Syrie a rapidement pris des tournures de guerre civile, faisant plus de 5 000 morts depuis le mois de mars 2011, selon un bilan publié par les Nations unies.

Face à un régime qui a visiblement perfectionné son art de la mise en scène, ces hommes qui parcourent le pays, vêtus de gilets orange et de chapeaux blancs, avaient dès le début peu de chances de réussir la tâche qui leur a été confiée : vérifier si Bachar al-Assad se conforme au traité de paix signé entre Damas et la Ligue arabe.

Rankous, un village au cœur de la contestation

En cette froide matinée d’hiver, les observateurs se dirigent vers Rankous, un village situé à une heure de route au nord de Damas, entre les villages chrétiens de Saidnaya et Maaloula.

Rankous compte parmi la centaine de villages qui forment les bastions de la protestation contre le régime. Depuis près d’une semaine, le village était passé hors du contrôle de l’armée. Une nouvelle s’est répandue selon laquelle 33 personnes avaient été tuées suite d’une violente action de l’armée pour écraser la résistance de la population.

Lorsque les observateurs arrivent, la tension est encore vive. Un convoi de police, des véhicules de l’armée syrienne et de la télévision d’Etat se fraient un passage à travers la circulation. A l’entrée de Rankous, quelques soldats sont alignés pour bloquer le passage et accueillir la mission, tout en les prévenant de la présence de gangs armés contrôlant le centre de la ville.

« La ville est contrôlée par des gangs armés »

Les observateurs remarquent des trous dans des sacs de sable, sans doute provoqués par des tirs. « C’est arrivé la nuit dernière, vers 23 heures », explique un soldat installé dans une guérite couverte de neige. « Ils ont roulé jusque devant notre poste de contrôle et nous ont tiré dessus. » L’observateur chargé de conduire le groupe décide alors de ne pas entrer dans le centre de Rankous. Il est trop effrayé.

Un minibus s’arrête et plusieurs caméras de la télévision syrienne s’attroupent. Les passagers, deux jeunes hommes, sont étourdis. Ils arrivent à lire le mot « Al-Dunia » écrit sur le micro d’un journaliste. « Al-Dunia » est une chaîne de télévision par satellite tenue par le très puissant cousin du président Bachar al-Assad, Rami Makhlouf. Les deux hommes savent très bien ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas dire. Un conducteur de camion est ensuite invité par un soldat à descendre de son véhicule. Il s’exécute, avec précaution.

Les Syriens sont discrets avec les observateurs

« Nous sommes ici pour vous aider et pour vous écouter », lui explique l’ambassadeur Jaafar Kibeida, un important observateur, alors que les caméras syriennes sont braquées sur eux. Le conducteur le remercie et dit seulement espérer que la situation redevienne normale. Un chauffeur de taxi passe mais refuse de s’arrêter pour parler aux observateurs. Un  officier de sécurité le foudroie du regard.

Les télévisions pro Bachar al-Assad

Pour les journalistes syriens, pro Bachar al-Assad, cette matinée semble être un jeu. Ils blaguent et rient, filment sans arrêt les mêmes scènes, encore et encore et ne posent aucune questions aux observateurs. Pendant près de trente minutes, les observateurs tournent en rond autour du poste d’observation. L’un d’entre eux tente de s’écarter et approche une maison voisine, les caméras le poursuivent. « Nous ne parlons pas de politique, lui explique un homme pendant que les caméras enregistrent. Nous sommes un seul peuple. Nous voulons seulement la paix. »

Deux officiers de l’armée arrivent peu après. « Les gens là-bas, dit l’un d’entre eux pointant son doigt vers le village, ils parlent des langues étrangères. Ils viennent d’Afghanistan, de Turquie et d’ailleurs» « Vous pouvez y aller, vous êtes libres d’y aller, explique l’autre officier à l’observateur de la Ligue Jaafar Kibeida. Mais à mon avis, ce n’est pas une bonne idée. »

Echec de la mission

Ils suivent ce conseil et remontent dans leur Mercedes. Tout le convoi retourne à Damas. En quelques heures, Rankous était attaqué par les tanks du gouvernement et des snipers. Quatre jours plus tard, le village reste encore assiégé. De retour à Damas, les télévisions diffusent les images des sacs de sable troués, et c’est tout. Elles ne décrivent pas la réalité.

La Ligue arabe a annoncé le retrait de 55 observateurs trois jours plus tard, le 24 janvier. 110 autres restent et continueront leur mission jusqu’au 23 février. Mais le gouvernement syrien a déjà déclaré refuser les « solutions de la Ligue arabe ».

Cet article a été écrit par un correspondant de Global Post à Damas dont le nom a été masqué pour des raisons de sécurité

Global Post/Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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