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Divisés, les insurgés peinent à s’organiser

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[image:1,l]Ils se battent pour défendre leurs familles ou venger le meurtre d’un être aimé, pour leur pays, leur Dieu ou encore les deux à la fois. Ils ont pris les armes pour la liberté et la justice et, pour certains, dans l’espoir d’imposer la charia. Certains sont des soldats de carrière, beaucoup sont de jeunes conscrits, d’autres sont simplement des civils qui savent manier un fusil.

En plus des libéraux laïcs, on retrouve quelques islamistes qui ont autrefois combattu sous les couleurs d’Al-Qaïda en Irak. Mais tous se sont regroupés autour de la même mission : faire tomber le président syrien Bachar al-Assad et son régime par une lutte armée.

Derrière l’unité de façade, rivalités et querelles

Alors que le régime intensifie ses attaques sur l’Armée syrienne libre (ASL) – notamment fin février avec le bombardement ininterrompu du quartier de Baba Amr, à Homs, pendant un mois, forçant les forces rebelles à quitter leur fief – l’opposition et ses représentants politiques se battent pour surmonter de profondes divergences.

S’exprimant devant une caméra après s’être réfugié au Liban, Abu Omar, un commandant de l’ASL, a salué les « honorables » et « héroïques » combattants qui ont résisté aux bombardements du régime pendant 27 jours avant d’opérer un « retrait tactique ». Mais hors caméra et libre de parler à sa guise, il a qualifié de « chiens » les leaders de la brigade Farouk de l’ASL qui « se sont enfuis » de Baba Amr trois jours avec que le régime de Bachar al-Assad n’envoie des troupes sur place. Des civils dans des villes proches de Homs comme Qseir et Bweida ont rapporté qu’il était si furieux contre les combattants de la brigade Farouk qu’il leur aurait craché aux visages.

L’ASL a-t-elle failli à Homs ?

Après avoir durement lutté en décembre et janvier pour prendre le contrôle des quartiers de Baba Amr, Khaldiyeh et Inshaat, trois grands bastions de l’opposition sunnite à Homs, le retrait des troupes de l’Armée syrienne libre n’est pas qu’une défaite stratégique, c’est une véritable tragédie pour les civils restés seuls, sans défense, contre les milices de Bachar al-Assad.

Dans les jours qui ont suivi la chute de Homs, des dizaines de civils ont été poignardés à mort ou exécutés par des miliciens du régime, les chabihas, relatent les rebelles et militants toujours présents sur place. Les chabihas viennent de la minorité alaouite du pays, qui constitue 12% de la population (75% pour les sunnites) mais qui domine néanmoins la Syrie.

Le militaire de carrière Abu Omar a détaillé les tensions qui existent entre les militaires de l’ASL – qui se voient comme les leaders de la rébellion armée – et les personnalités religieuses de l’opposition.

Les salafistes, favorables à la charia 

Parmi eux, on retrouve certains salafistes sunnites ultraconservateurs, qui ont conservé des liens de longue date avec des pays du Golfe comme l’Arabie Saoudite et le Qatar, deux pétromonarchies qui soutiennent ouvertement l’Armée syrienne libre en fournissant l’argent qui permettrait aux rebelles d’acheter des armes, selon des sources diplomatiques.

« Ils reçoivent de l’argent mais nous ne savons pas ce qu’ils en font », confiait Abu Omar.

L’un de ceux qui reconnait ouvertement recevoir d’importantes sommes d’argent pour acheter des armes est un vieux leader salafiste connu sous le nom d’Abu Annas al-Homsi. Dès l’invasion de l’Irak en 2003, il a combattu auprès des djihadistes contre les troupes américaines. 

Bien qu’il reconnaisse l’Armée syrienne libre, Al-Homsi a déclaré que son chef, le colonel Riad al-Assad (aucun lien de parenté avec le président Bachar), ne représente pas plus de 20 % des combattants présents sur le terrain qui se battent pour « libérer notre pays et défendre notre religion. »

« Nous voulons une Syrie pour toutes les religions, mais je reste favorable à la mise en place d’une loi islamique car la majorité du pays est sunnite et quand la Syrie était un califat islamique, l’époque était couronnée de succès », a-t-il déclaré aux journalistes du GlobalPost lors d’une interview.

Les Frères musulmans, opposants de longue date 

Subvenant également aux besoins de l’armée rebelles avec de la nourriture, des téléphones satellitaires et des médicaments, un autre groupe sunnite bien plus important et bien mieux organisé soutient également l’Armée syrienne libre : les Frères musulmans.

Ce sont en effet des membres des Frères musulmans syriens qui ont dirigé la première grande rébellion armée contre le père d’Assad, Hafez. Un conflit dont le point culminant a été atteint lors du massacre de Hama, au nord de Homs, en 1982, lorsque les troupes du régime pilonnèrent des zones civiles avant de se rendre de maison en maison. Les estimations portent à 20 000 le nombre de victimes, dont une majorité de civils.

Le rôle des Frères musulmans dans le soulèvement actuel n’est pas très documenté, mais un membre du groupe, un Libanais de 29 ans originaire d’un village du Nord, à la frontière avec la Syrie, a décrit avec fierté la façon dont il a aidé à équiper les militant à Homs en nourriture et en médicaments, mais également en fournissant une connexion Internet et des liaisons téléphoniques. 

« Je suis fier d’être un membre des Frères musulmans et nous ne cachons pas le fait que nous soutenons la révolution syrienne et l’Armée syrienne libre qui défend le peuple syrien.  »

Le Liban, un refuge pour les rebelles

Lorsque les soldats blessés de l’Armée syrienne libre traversent la frontière avec le Liban pour recevoir des soins d’urgence, ils sont reçus dans un hôpital privé de Tripoli géré par une organisation caritative islamique considérée comme proche des Frères musulmans. 

Mais ce n’est pas la foi qui a poussé le jeune Mohammed, 22 ans, à quitter sa brigade déployée à Damas pour retourner chez lui, à Homs : son frère a été arrêté et exécuté par des membres de l’Airforce Intelligence. Il a depuis rejoint un groupe de 15 soldats et de cinq civils armés.

« Je ne suis pas religieux et ne je prie même pas », confesse Mohammed. « Je me bats pour venger la mort de mon frère. Mais je suis un sunnite et il reste dur d’entendre que les chabihas alaouites attaquent des femmes endeuillées. Cela contribue à augmenter les sentiments sectaires des sunnites. »

L’Armée syrienne libre victime d’infiltrations

Abu Annas al-Homsi, le leader salafiste, a déclaré que son groupe avait combattu aux côtés d’hommes qui prétendaient appartenir à l’Armée syrienne libre mais qui étaient en réalité étaient envoyés par le régime. De son côté, le capitaine Ammar al-Wawi, un autre leader de l’ASL, assure que ses hommes ont arrêté plusieurs membres de « gangs qui prétendent être des membres de l’ASL mais qui au contraire, endommagent la révolution. »

Division au sommet entre civils et militaires

Les divisions sur le terrain sont probablement exacerbées par des querelles ouvertes entre des chefs de l’armée et avec leurs représentants civils.

A la mi-février, le colonel Riad al-Asaad, l’un des premiers haut gradés de l’armée du régime à rejoindre l’ASL, a publiquement traité les membres du Conseil national syrien en exil de « traitres » pour avoir failli à leur devoir de fournir en armes et en ravitaillements les soldats qui se battent sur le terrain. Riad al-Asaad commande les opérations de l’ASL, tandis qu’un ancien général de l’armée syrienne, qui a rejoint plus tardivement les rangs des insurgés, Mustafa al-Cheikh, a annoncé la création, le 6 février, du Conseil militaire révolutionnaire supérieur, afin d’améliorer l’organisation de la rébellion armée.

Le 1er mars, le président du Conseil national syrien (CNS),  Burhan Ghalioun, a finalement annoncé la formation d’un bureau militaire dans le but « d’organiser et d’unifier » l’opposition armée « sous l’égide du CNS ». Le colonel Al-Asaad et le général Al-Cheick auraient donné leur accord pour en faire partie.

« Avec tout le respect que je lui dois, Ghalioun est un professeur, pas un politicien », s’inquiète Abou Omar. « Il comprend la politique, mais il ne l’a pas pratiqué. Sur le terrain, nous nous organisons, nous n’avons pas le temps d’attendre que le CNS mette fin à ces désaccords. »

Risque de guerre civile ?

Compte tenu des clivages, les diplomates occidentaux hésitent à l’idée d’armer l’ASL. Une telle démarche pourrait conduire à une guerre civile entre un régime dominé par les alaouites et les rebelles sunnites.

Mais cette opinion n’est pas partagée par Imad Salameh, professeur de sciences politiques à l’université américaine de Beyrouth, qui pense au contraire que « les guerres civiles ont besoin de deux groupes de taille égale pour se battre et cela n’existe pas en Syrie. »

« La communauté internationale cherche des prétextes pour rendre la révolution syrienne compliquée, en disant par exemple qu’il y a des islamistes en Syrie et qu’armer les rebelles reviendrait à donner des armes à Al-Qaida. Aucune révolution n’a jamais été parfaite. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elles éclatent. Pour marginaliser les extrémistes il faut insister sur le respect de la justice et des droits de l’homme. Mais la communauté internationale ne fait pas grand-chose. »

Plus le régime utilisera des armes lourdes, plus le climat sera favorable à l’extrémisme, préviennent l’ASL et des leaders civils de l’opposition. « Le peuple syrien est désespéré, pauvre, en sang et déçu par le manque de réaction de la communauté internationale », confiait Abu Fares, un membre du Conseil révolutionnaire de Homs. « C’est l’environnement idéal pour des groupes radicaux qui peuvent venir et sympathiser. Chaque meurtre aide les extrémistes et affaiblit les modérés. » 

Global Post/Adaptation Antoine Le Lay – JOL Press

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