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Quand le chaos de l’après-Kadhafi profite aux prisonniers

[image:1,l]Au plus fort de soulèvement libyen, le chaos a gagné les prisons. Des centaines de gardes ont alors quitté leurs postes pour contrôler les rues. D’autres ont fui par peur des représailles d’une population libérée de quatre décennies d’oppression.

Des milliers de prisonniers dans la nature

Vers la mi-février 2011, près d’un mois après le début de la révolution, les portes des prisons ont commencé à s’ouvrir et des milliers de détenus ont pris la fuite.

D’après des sources officielles, 26 000 criminels – les prisonniers politiques étaient enfermés dans des installations séparées et sont restés isolés –  purgeaient leur peine au moment où les évasions ont commencé. Parmi les évadés, près de 200 condamnés à mort pour crimes graves et assassinat.

« Ce fut la panique à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons, » se souvient Dya Adin Badi qui, dès le début des manifestations, a été chargé de sept centres de détention, de Ras Lanuf à Misrata et Syrte.

« Les gardes avaient fui. Il n’y avait pas de sécurité, aucun personnel. Nous ne voulions pas en plus prendre le risque d’une émeute. »

« Nous attentions les ordres de Tripoli, mais rien n’est venu. »

De son côté, à Tripoli, le colonel Mouammar Kadhafi avait déjà commencé à libérer des prisonniers dans l’espoir, selon certains, de les voir rejoindre les rangs de son armée. Ailleurs, l’instabilité a laissé les gardiens avec peu d’options.

Badi se rappelle des foules en colère qui s’amassaient devant les prisons. Des proches venaient demander la libération de leurs amis, de leurs familles, emprisonnés injustement, prétendaient-ils.

« Nous attentions les ordres de Tripoli, mais rien n’est venu. Nous avons donc trouvé notre propre solution. »

Le peu de personnel restant a libéré les prisonniers par dizaines. Ceux accusés de meurtres ont été maintenus en détention pendant deux jours, tant pour la protection des citoyens que pour la leur. Puis, en l’absence de sécurité, de personnel, de budget et de nourriture, Badi n’a pas eu d’autres choix que de les relâcher à leur tour.

Certains étaient réticents à l’idée quitter les murs de la prison, ils craignaient des représailles. Il se souvient que l’un d’eux l’a supplié de le maintenir enfermé. Il avait tué deux enfants et leur mère – et a été retrouvé mort deux jours plus tard.

Alors que la guerre s’est aggravé, il est impossible de dire combien d’entre eux ont connu le même sort. 

Des criminels en liberté, un danger

Des centaines de prisonniers ont rejoint les rangs des rebelles. Plusieurs ont gravi les échelons et sont devenus commandants, beaucoup ont été tués dans la bataille et d’autres ont, tout simplement, fui vers d’autres horizons. 

Aujourd’hui, avec la prolifération des armes de petits calibres à tous les coins de rue, la présence de prisonniers qui se sont échappés constitue un risque de déstabilisation. Pour le chef de la police de Misrata, Ibrahim Mohammed Alsherikcia, ces criminels sont l’une des plus grandes menaces qui pèsent désormais sur la ville. Les registres des établissements pénitentiers ont été détruits dans le bombardement du palais de justice et son occupation par les forces de Kadhafi et, dès lors, aucun d’eux ne peut être de nouveau arrêté, quelle que soit la gravité de ses crimes et délits.  

« Il y a maintenant des criminels en liberté, et tous sont armés. »

Parmi ceux qui ont rejoint les rangs des rebelles, beaucoup sont devenus des martyrs et ont « racheté leurs pêchés, » estime Alsherikcia. Mais, d’autres ont profité de la guerre pour rassembler des armes et reprendre leurs activités criminelles. Ceux qui enfreignent de nouveau la loi restent impunis, la faute à un système où la milice détient plus de pouvoirs que la police.

Un système judiciaire inadapté

Dans un rapport publié au début du mois de mars 2012, l’Organisation des Nations Unies a fait part de ses préoccupations concernant du développement du système judiciaire, ainsi que sur la capacité de la Lybie à tourner la page de tant d’années de dictature.

« Le système judiciaire a longtemps servi à opprimer et paie désormais le prix de cet héritage, » indique le rapport. « Les lois libyennes doivent être abrogées ou modifiées… La grande majorité des détenus sont maintenus en dehors du cadre juridique et ce, en dépit des efforts visant à centraliser les mises en détention. »

Depuis la fin de la révolution,  les milices et la police font régner leurs propres justices. Pendant que les membres des forces de Kadhafi sont pourchassés et emprisonnés – sans plaintes ou accès à l’aide juridique –, ceux qui commettent des infractions au sein des forces révolutionnaires restent impunis.

Des prisonniers face à un avenir incertain

Abdullatef Gadour, un procureur chevronné qui a suivi le nouveau gouvernement, a déclaré que des changements majeurs sont en cours mais qu’une grande partie de l’ancien système judiciaire resterait en place. D’après lui, les lois mises en place sous l’ère Kadhafi sont justes et adéquates – c’est leur application qui prêtait à discussion.

« L’une des rares choses que Kadhafi n’ait pas détruit est le système juridique du pays. »

Au lieu de changer le système, Kadhafi a tout simplement créé des « tribunaux et lois d’exceptions » afin de juger les prisonniers politiques et de punir la déloyauté envers le régime.

Pour ce qui est de la « dé-kadhafisation », de l’épuration, aujourd’hui, plus de 8 000 membres de l’ancien régime sont emprisonnés, face à un avenir incertain, car rares sont ceux à être présentés devant un tribunal.

Mais Gadour a néanmoins assuré que des enquêtes sont en cours, que des procès sont en préparation et que de nouvelles lois prendront effet avec la nouvelle constitution. Pour lui, cela devrait prendre cinq mois avant que les procès ne commencent.

Privés du droit international

Les membres de l’armée de Kadhafi seront présentés devant un tribunal militaire et les recrues et bénévoles qui ont combattu pour l’ancien leader libyen feront face à une cour civile. Mêmes si leurs victimes étaient des combattants, l’accusation retenue reste le meurtre.

Tuer au combat ne constitue pourtant pas une violation au regard du droit international. Mais, la loi nationale, comme l’a expliqué Gadour, ne reconnait pas ce droit pour ceux qui ont combattu pour l’ancien régime.

« Les troupes de Kadhafi ont pris des civils pour cible, pendant que les forces rebelles les défendaient. La différence se trouve là. »

Le nouveau coordinateur de la Justice, Jamal Bennor, a déclaré que, le moment venu, des changements nécessaires au système juridique libyen seront mis en œuvre. Pour cela, il est crucial de mettre en place un ministère de la sécurité, d’introduire une nouvelle constitution et de tenir des élections nationales. En temps voulu, la justice s’appliquera de manière égalitaire.

« Je pense que les gens ont toujours la même confiance en la loi. Nous sommes encore loin de l’appliquer, comme il conviendrait, pour punir de nombreux actes criminels mais nous n’ignorons pas ces crimes. Toutes les infractions seront examinées. »

GlobalPost/Adaptation Antoine Le Lay pour JOL Press

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