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Élysée 2012: le score de Marine Le Pen vu de Londres

[image:1,l] Marine Le Pen frôle les 18% des voix au premier tour de l’élection présidentielle du 22 avril 2012. Comment est perçu ce phénomène politique à l’étranger – et outre-Manche d’abord ? Un appel à Londres, dès les résultats tombés, pour recueillir le point de vue d’un des journalistes et intellectuels britanniques les plus en pointe sur la question des populismes, et sur le rôle tenu par les élites progressistes dans l’émergence et la montée de ces nouvelles forces politiques.

Nick Cohen est aujourd’hui éditorialiste pour The Observer, l’édition dominicale du quotidien de centre-gauche The Guardian, il tient un blog pour le magazine très conservateur The Spectator et est critique de télévision pour le mensuel Standpoint. Auteur de nombreux ouvrages de réflexion politique, il a notamment publié, en 2007, « What’s Left ? », un pamphlet dans lequel il dénonce ce qu’est, pour lui, la responsabilité de la gauche libérale du XXème siècle dans l’émergence de nouveaux fascismes, y compris islamiste, au XXIème siècle. 

30% des électeurs français restés bloqués au XXème siècle

JOL PRESS : Près de 18% des Français ont voté pour Marine Le Pen. C’est un point de plus que le score qui avait permis à son père, Jean-Marie Le Pen, de se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle en 2002. Etes-vous surpris par ce résultat ?

Nick Cohen : Non, personnellement, ce score ne me surprend pas. Au Royaume-Uni, les « bien-pensants », l’essentiel du parti travailliste au centre-gauche, mais aussi les libéraux-démocrates et l’aile progressiste des conservateurs, utilisent la France et le modèle français comme un argument rhétorique – tout y marcherait mieux, la qualité de vie y serait supérieure, les citoyens mieux protégés… comme dans une sorte d’eldorado.

La réalité est toute autre. Ajoutez au vote Le Pen toutes les voix qui se sont portées sur la gauche de la gauche, lors de ce premier tour, et vous obtenez plus de 30% de l’électorat français soutenant des mouvements extrémistes, dont les fondamentaux restent ceux des idéologies les plus funestes du XXème siècle.   

Oser déboulonner ce sacré euro

JOL Press : Si c’est un anachronisme, comment s’explique-t-il ?

Nick Cohen : Récemment, je me suis rendu à Paris. Je me suis retrouvé à débattre avec des gens, des intellectuels se déclarant de gauche, à Saint-Germain-des-Prés. J’ai trouvé leur raisonnement profondément curieux. Je leur ai expliqué que, de mon point de vue, l’expérience de l’euro, telle qu’elle a été et est conduite, est un désastre. J’ai poursuivi en arguant qu’il n’y avait qu’une seule alternative : soit y mettre un terme et rétablir des monnaies nationales, soit, constituer un authentique État européen de type fédéraliste.

Ils m’ont traité d’hérétique, s’offusquant que je puisse tenir de tels propos, des propos qu’ils ont qualifiés d’extrême-droite.

Marine Le Pen est peut-être la seule candidate à dire une vérité comparable. Mais, ce qu’elle ne dit pas et que je dis – parce que c’est la famille de pensée dont je suis issu -, c’est que l’euro, tel qu’il a été mis en place, est en contradiction avec les positions traditionnelles de la gauche européenne. Beaucoup le savent, mais ils sont réduits au silence car l’euro est sacré. Ils ont laissé faire et ainsi ils ont laissé s’établir les conditions favorisant la montée des populismes, en particulier de l’extrême-droite. Une responsabilité historique.

Avec la crise que traverse actuellement l’Europe, on évoque souvent 1929 et la Grande dépression. L’euro et la politique d’austérité développée à l’heure actuelle sont pour notre époque ce que l’étalon-or a été aux années 30. On connaît la suite… Qu’attendent les dirigeants européens pour réagir ?

Le Royaume-Uni à l’abri des populismes

JOL Press : La France n’est pas une exception et le vote populiste, vote de protestation, atteint des niveaux sans précédents dans la plupart des pays de l’Union européenne. Le Royaume-Uni est-il à l’abri ?

Nick Cohen : C’est assez improbable. Le système politique britannique a été conçu pour éviter la montée des extrêmes. Le scrutin majoritaire à un tour dans un système parlementaire est censé nous protéger. En tout cas, nous en sommes convaincus.

JOL Press : On pourrait prétendre le contraire dans la mesure où, justement, avec un scrutin majoritaire à un tour un candidat peut être élu avec à peine 25% des suffrages exprimés – voire moins – et cela sans qu’il puisse y avoir le garde-fou, comme en France, d’un second tour… UKIP, le parti pour l’indépendance du Royaume-Uni grimpe dans les sondages. Ne pourrait-il pas profiter, à droite, d’un échec de David Cameron, par exemple ?

Nick Cohen : Certes, David Cameron traverse de grandes difficultés et il ne cesse de s’affaiblir. Pour autant, UKIP ne constitue pas une menace lors d’élections générales. Sans doute, ce parti eurosceptique réalisera, comme cela a déjà été le cas dans le passé, de très bons scores aux élections européennes et obtiendra des élus. Parce que ces élections ne comptent pas vraiment.

Il n’y a pas de tradition de vote protestataire, en dehors des deux principaux partis de gouvernement – conservateurs et travaillistes – et des libéraux-démocrates, lors des législatives au Royaume-Uni. UKIP s’apparente davantage à un lobby, à un groupe de pression, plutôt qu’à un parti politique. Ils ne disposent pas des structures militantes adéquates.

Dans tous les cas, même si cela devait se produire, UKIP n’est pas le Front National français. Le parti de l’indépendance ne relève pas de la tradition fasciste.   

Un regard peu cordial sur les deux finalistes

JOL Press : Marine Le Pen, malgré son score record, ne sera pas au second tour qui verra s’affronter François Hollande et Nicolas Sarkozy. Tout d’abord, quel jugement portez-vous sur le candidat du parti socialiste français ?

Nick Cohen : Lors de mon dernier séjour à Paris, j’ai lu son programme. J’ai été frappé de constater à quel point la ligne politique de François Hollande le placerait très à gauche sur l’échiquier politique britannique. On est loin de Tony Blair et Gordon Brown, et de leur New Labour.

La gauche britannique reste très modérée, même si le leader du parti travailliste Ed Miliband – qui, par ailleurs, manque totalement de charisme – s’efforce de radicaliser, de gauchiser son positionnement.

JOL Press : Et pour ce qui est de Nicolas Sarkozy ?

Nick Cohen : En 2007, les conservateurs britanniques avaient placé beaucoup d’espoirs en Nicolas Sarkozy, le comparant à Margaret Thatcher. Aujourd’hui, ils l’ignorent, le rejettent. Dans la presse populaire, il est souvent associé à Silvio Berlusconi, l’ancien président du Conseil italien.

Il me semble que tout cela est largement exagéré. Nicolas Sarkozy n’est pas Silvio Berlusconi. On peut dire qu’il n’est plus pris au sérieux au Royaume-Uni. Mais, surtout, il ne correspondrait pas à l’image que les Britanniques se font, à partir des expériences passées, d’un président français.

[image:2,xs]Nick Cohen est aujourd’hui éditorialiste pour The Observer, l’édition dominicale du quotidien de centre-gauche The Guardian, il tient un blog pour le magazine très conservateur The Spectator et est critique télé pour le mensuel Standpoint

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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