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Marica Frangakis: «Syriza veut que la Grèce respire»

[image:1,l]Marica Frangakis est économiste. Elle est membre du Comité central de Synapismos et membre du comité chargé du programme de Syriza. Elle milite aussi au sein d’ATTAC-Grèce. Elle nous livre son analyse quelques jours à peine après les élections législatives du dimanche 17 juin.

JOL Press : Quelle est votre réaction à l’annonce de la formation d’un gouvernement de coalition Nouvelle Démocratie-PASOK, dirigé par Antonis Samaras ?

Marica Frangakis : C’est conforme aux résultats des élections législatives du dimanche 17 juin. Dans la nouvelle assemblée, Nouvelle Démocratie, la droite conservatrice, a le plus grand groupe parlementaire et à une majorité avec le PASOK et l’appui de Dimar, la Gauche démocratique.

Etes-vous surprise par le soutien apporté par la Gauche démocratique ?

Marica Frangakis : Ce ralliement est incontestablement une victoire pour la nouvelle majorité. Mais, je vois mal Nouvelle Démocratie défendre les mêmes idées que la Gauche démocratique et j’espère que ces derniers ne vont pas, de ce fait, aller à leur perte.

Une défaite aux airs de victoire pour Syriza

Dimanche, sur les images de la télévision, on pouvait voir certains de vos supporters en liesse. Une défaite aux airs de victoire…

Marica Frangakis : Notre résultat est phénoménal et ils avaient bien raison de faire la fête. Rendez-vous compte… En octobre 2009, nous avions réalisé un score inférieur à 5% et, dimanche dernier, Syriza, qui est une coalition de partis dont fait partie mon mouvement, Synapismos, a obtenu près de 27%. Deux points derrière Nouvelle Démocratie, nous sommes désormais la première force d’opposition.

Nous allons jouer notre rôle d’opposition parlementaire, suivre avec attention ce que fait le gouvernement et proposer une alternative. Nous ne sommes pas au pouvoir mais nous comptons bien y accéder. De notre point de vue, la recette que proposent les forces au pouvoir pour sortir de la crise de la dette n’est pas la bonne. Nous ne sommes pas les seuls à le penser. De plus en plus de citoyens, en Grèce, mais aussi en Espagne, en Italie, au Portugal, partagent notre sentiment et proposent des solutions alternatives, à celles mises en œuvre pour sortir la zone euro de son déclin.

Stopper la paupérisation des Grecs

Justement, quelles sont les grandes lignes de votre programme alternatif ?

Marica Frangakis : Tout d’abord, nous estimons qu’il convient de cesser de réduire les revenus des gens. En Grèce, le revenu moyen a diminué d’un tiers environ depuis le début de la crise. C’est insoutenable, intolérable.

Et puis, il faut prendre des mesures immédiates pour stopper la paupérisation croissante des Grecs. Le pourcentage de mes compatriotes vivant en dessous du seuil de pauvreté atteint 27%, près d’un tiers, de la population contre 20% – un chiffre déjà élevé – avant la crise. Ensuite, il faut inverser la courbe du chômage, passé en quelques années de 10% à 23%. Il faut aussi augmenter le salaire minimum. Nous voulons le rétablir au niveau où il était au début de l’année, c’est-à-dire 700 euros. Et puis, une pression doit être exercée sur les banques pour qu’elles prennent en charge une partie de la dette privée des ménages.

Nous devons bâtir une société moins inégalitaire.

Comment compter financer ces mesures alors que les caisses du pays sont vides ?

Marica Frangakis : Immédiatement, nous pourrions réduire drastiquement les dépenses militaires, un budget deux fois supérieur à la moyenne des pays membres de l’Eurozone. Il faut cesser de s’imaginer des ennemis désormais imaginaires.

Ensuite, il faut augmenter les recettes fiscales. Non pas en augmentant les impôts – surtout ceux des plus modestes – mais en améliorant les conditions de la collecte fiscale. L’Etat grec est incapable de collecter correctement les impôts. Il en est ainsi depuis l’indépendance il y a plus de 150 ans. Est-ce normal que l’église orthodoxe paie si peu d’impôts ? Est-ce normal qu’il n’existe pas de registre, comme un cadastre, indiquant qui détient quoi.

Le mémorandum imposé par Bruxelles et les créanciers internationaux ne prévoit rien pour y remédier. Or, c’est précisément ce qu’il convient de faire en priorité.

La classe politique grecque, les représentants des partis qui, aujourd’hui, demeurent au pouvoir ont fermé les yeux depuis des générations. Ils n’ont pas traité ces questions de peur de remettre en cause l’équilibre des pouvoirs – et par la même occasion de perdre leur pouvoir.

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La résistance des forces conservatrices

Et pourtant, les citoyens grecs continuent à voter pour ces représentants de la classe politique…

Marica Frangakis : La popularité de Syriza est croissante. Nous étions, et nous demeurons, des candidats sérieux à l’exercice du pouvoir et les forces conservatrices, de droite comme de gauche, ont pris peur. Les médias – surtout ceux de droite – ont livré une bataille féroce contre nous, entre les élections de mai et le scrutin de dimanche dernier. En GrèceSyriza ne dispose d’aucun véritable relais pour diffuser et mieux faire connaitre son programme. A l’étranger, nous sommes caricaturés. Le Financial Times de Londres – pourtant un journal sérieux – a qualifié notre leader Alexis Tsipras de « jeune extrémiste immature ». Ce n’est pas seulement de la désinformation, c’est de l’intox.

Vous voulez dire que c’est la raison pour laquelle Nouvelle Démocratie est arrivé en tête ?

Marica Frangakis : Je vais vous raconter une anecdote. J’habite Athènes mais je vote sur l’île dont je suis originaire, Ios, dans les Cyclades. Vendredi soir, j’ai pris le bateau. Il était plein à craquer, des familles entières étaient à bord. En mai dernier, lorsque j’ai fait le même trajet pour aller voter, il était vide. Je vous dis que les tickets avaient été achetés par Nouvelle Démocratie et distribués à des électeurs connus pour leur loyauté.

C’est du trucage et c’est contraire à la loi, non ?

Marica Frangakis : Je n’ai pas de preuve mais la coïncidence est troublante.

Ce que je sais avec certitude, en revanche, c’est que les électeurs grecs ont été trompés par un discours dominant mensonger qui laissait entendre qu’en cas de victoire de Syriza la Grèce serait contrainte de sortir de l’euro, de quitter l’Europe. C’est faux. Notre programme n’est pas révolutionnaire, nous voulons juste améliorer la vie de nos compatriotes avec des mesures de bon sens. Et les Grecs veulent autre chose.

La peur de voir la Grèce quitter l’euro

Peut-être mais il y a bien une crise de la dette et les exigences des créanciers internationaux. Y a-t-il eu des contacts avant les élections entre les responsables de Syriza et les autorités bruxelloises ?

Marica Frangakis : Je ne sais et, dans tous les cas, ce n’est pas à moi de le dire.

Vous imaginez que Bruxelles et les instances européennes vous auraient suivis ?

Marica Frangakis : Ce ne sont que des spéculations.

Ce qui est certain, c’est que la principale peur des responsables européens serait de voir la Grèce quitter la zone euro. Il n’existe aucun mécanisme pour enclencher la sortie d’un pays membre de la zone euro. Mais, s’ils arrêtaient de financer, la Grèce pourrait, de son propre chef, choisir de quitter la zone euro.

Ce serait le scénario catastrophe, la boite de Pandore serait ouverte et cela pourrait conduire d’autres Etats à faire de même. Ce serait le moment « Lehmann Brothers » pour l’Europe.

Que l’Union européenne, la BCE et le FMI continuent à financer la dette grecque mais jusqu’à quand ?

Marica Frangakis : Dans les rangs de Syriza, nous estimons qu’il faudrait laisser un délai de grâce à la Grèce, un peu d’air pendant au moins trois ans. Ce serait l’objectif de notre renégociation avec les créanciers internationaux, tous publics depuis l’échange d’obligation du début du printemps.

Aujourd’hui, l’essentiel de l’argent prêté à la Grèce sert à payer les échéances de notre dette. Nous devions recevoir 5,2 milliards d’euros sur lesquels 4,2 milliards étaient destinés à rembourser ceux-là même qui nous prêtent cet argent. C’est fou.

Et d’ailleurs, au lieu de 5,2 milliards d’euros, seuls 4,2 milliards ont été versés…

Marica Frangakis : Exactement. Après les législatives du 6 mai et devant l’impossibilité d’aboutir à la formation d’un gouvernement stable – et face à la crainte de voir Syriza accéder au pouvoir -, nous avons reçu un milliard d’euros en moins. Un milliard qui, justement, permettrait de financer des mesures de rétablissement, telles que nous les prônons.

Le parti pris de Bruxelles

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Bruxelles a pris parti. C’est ce que vous voulez dire ?

Marica Frangakis : C’est évident. Les forces conservatrices à travers l’Europe ont peur. Ce que cette crise a révélé, partout à travers l’Europe, c’est l’acharnement des responsables en place à conserver, à tout prix, leur pouvoir. Les Grecs n’en veulent pas à l’Europe, à proprement parler. Le sentiment anti-européen ne progresse pas véritablement. Ils en veulent à la chancelière Merkel de nous imposer une telle cure d’austérité qui nous saigne à blanc.

Ils en veulent aussi à la Nouvelle Démocratie et au PASOK de ne pas avoir mieux négocié avec nos créanciers, d’avoir signé un tel mémorandum.

Mais, désormais, Antonis Samaras et Evangelos Venizelos parlent de renégocier ce mémorandum…

Marica Frangakis : L’influence croissante de Syriza les oblige à évoluer. Tout le discours politique est en train de basculer. Les termes du débat public se sont radicalisés.  La question aujourd’hui n’est plus de savoir si la Grèce doit rester dans la zone euro ou en sortir. Les interrogations vont bien au-delà. Il y a des solutions mais il faut changer d’approche. Nous ne sommes pas les seuls à le penser et à le dire.

Pour faire progresser vos idées, le combat parlementaire suffira-t-il, selon vous, ou souhaitez-vous de nouvelles manifestations ?

Marica Frangakis : Nous avons une majorité et une opposition démocratiquement élus, malgré les réserves que j’ai pu énoncer. George Papandréou, lui, avait menti et son mensonge est apparu évident dès mai 2011. Notre action, nous allons la mener au Parlement avant tout. Le mouvement social, les syndicats étaient très proches du PASOK. C’est en train d’évoluer. KKE, le parti communiste, progresse dans les rangs syndicaux et il pourrait encourager la grogne sociale. Syriza est en contact avec le mouvement social mais ne saurait le diriger. Nous n’en avons ni les moyens, ni l’envie. Mais, il est certain qu’on assiste à une radicalisation de la vie politique grecque.

Vous êtes optimiste quant à l’avenir de notre pays ?

Marica Frangakis : Les Grecs ont honte et ce sentiment ne sera pas facile à estomper. Mais, optimiste, je le suis. Par nature, mais aussi parce que je me suis engagée politiquement, alors que j’avais à peine 20 ans. A l’époque, l’adversaire à combattre, c’étaient la junte et ses généraux.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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