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Vieille Europe, nouveau tiers-monde?

[image:1,l] Retour au début des années 2000 : le président français Jacques Chirac narguait les Etats-Unis avec sa vision d’un monde « multi-polaire »  où un groupe de puissances émergentes feraient équipe avec une Europe forte et unie défiant l’hégémonie américaine. Une décennie plus tard, les illusions chiraquiennes ont été déçues.

Une Europe fragilisée 

Le sommet du G20, la semaine dernière u Mexique, a montré combien Jacques Chirac aurait dû être plus prudent avant de partager sa vision du monde futur. De puissants nouveaux acteurs économiques ont effectivement émergé. Mais c’est l’Europe, affaiblie par son  interminable crise de la dette, qui a vu sa position se fragiliser avec, notamment, l’arrivée de la Chine, du Brésil et de l’Inde sur ​​la scène internationale.

 «Nous assistons à l’affaiblissement politique de l’Union Européenne sur la scène internationale», a déclaré Jacek Saryusz-Wolski, un membre éminent du Parlement européen. « L’impact de la crise ne se limite pas seulement à ​​l’économie » a-t-il ajouté : « il s’agit d’un enlisement de l’Union, de son avenir, de son unité et de sa sécurité ».

Les pays émergents à la rescousse de la zone euro

Lors du dernier sommet du G20 au Mexique, les puissances émergentes ont reproché aux dirigeants européens de ne pas parvenir à résoudre la crise de la dette. Les Européens ont été, de plus, humiliés par la presse internationale qui dénonçait leur incapacité à calmer les marchés. La Colombie, la Malaisie et l’Afrique du Sud ont dû leur venir en aide, à la demande du Fonds monétaire international qui a provisionné 456 milliards de dollars pour faire face à un éventuel effondrement de la zone euro.

Cela a déclenché des appels aux pays européens – et aux États-Unis, qui ont refusé de contribuer au financement supplémentaire – pour qu’ils renoncent à leurs positions dominantes dans la gouvernance du FMI« Les économies émergentes vont renflouer l’Europe, et ces pays attendent quelque chose en retour », explique Carlos Zarco, porte-parole de l’organisation d’aide Oxfam. « L’Europe doit permettre aux autres pays du monde de disposer d’un pouvoir de décision renforcé au FMI », a-t-il ajouté.

Les nations de l’Union européenne ont laissé entendre qu’elles étaient prêtes à revoir le système actuel qui leur octroie un tiers des votes au sein du FMI.

« Un nouvel environnement économique » 

Le plus inquiétant pour les Européens, à long terme, sont les implications politiques et économiques des contributions chinoises et russes, respectivement de 43 et 10 milliards de dollars au FMI.

Les responsables du Kremlin ont déclaré que ce « nouvel environnement économique » obligeait les nations européennes à être moins pointilleuses sur les investissements russes dans leurs économies. Les entreprises chinoises ont, quant à elles, investi à prix cassé dans les pays touchés par la crise – par exemple, le réseau électrique du Portugal et le principal port de Grèce. Certains diplomates européens craignent que cette dépendance n’affaiblisse la position de l’Europe dans ses relations politiques, stratégiques et économiques avec Moscou et Pékin.

Une Europe affaiblie: les budjets de défense s’effondrent 

La crise affaiblit l’Europe dans d’autres domaines. Le sommet de l’OTAN, qui se tenait en mai dernier à Chicago, n’a pas pu dissimuler les préoccupations profondes liées aux réductions des budgets de défense des pays européens. Celles-ci risquent d’hypothéquer leur capacité à participer à des opérations militaires importantes.

«Au cours des deux premières années de la crise financière, les dépenses liées au budget de la défense dans les pays membres européens de l’OTAN a chuté de 45 milliards de dollars, » déclare  Karl Lamers, le législateur allemand qui préside l’Assemblée parlementaire de l’OTAN«Avec de telles réductions de dépenses, il est de plus en plus difficile pour les membres de l’OTAN de maintenir leurs capacités de défense de manière appropriée », a t-il ajouté. « Nous avons atteint un point critique ».

L’Europe peut-elle encore être un « modèle de développement » ? 

Avant la crise, les Européens répondaient à cette critique américaine de réductions des budgets militaires en vantant  le « soft power » de l’Union Européenne – notamment, en prenant l’ascendant sur les anciennes nations ennemies, en les faisant adhérer au modèle de l’Union européenne : travailler ensemble dans la paix pour renforcer la sécurité et la prospérité.

Les trois dernières années de querelles internes et les disparités économiques croissantes entre le Nord et le Sud de l’Union Européenne ont laminé cette thèse.

 «Le déclin de l’Europe indique qu’elle ne peut plus être un modèle de développement, » déclare Rob de Wijk, directeur du Centre de La Haye pour les études stratégiques, dans la dernière édition du World Europe, un journal politique. « Les Etats membres de l’UE ne peuvent plus défendre efficacement leur sécurité et la prospérité dans un monde de plus en plus multi-polaire, »  a t-il ajouté.

Un rapport de force inversé entre l’Europe et la Turquie ?

Les gouvernements de l’Union européenne ont longtemps considéré la Turquie comme un voisin pauvre et ont mollement soutenu ses efforts pour rejoindre le club européen. Maintenant, la croissance de la Turquie et son faible niveau d’endettement font l’envie de la plupart des nations de l’UE. Ses citoyens sont maintenant plus riches que ceux de la Roumanie et de la Bulgarie. La Turquie jouit d’un taux de croissance estimé à plus de 6 % sur les cinq prochaines années. Désormais, certains estiment même que la Turquie pourrait devenir le « moteur de croissance » de l’UE.

Dans le même temps, l’intérêt pour adhérer à l’Union Européenne décline. Les données publiées récemment par des statistiques turques ont montré que leur appui à la candidature d’adhésion à l’Union Européenne a chuté de 63 % à 44 % au cours des six dernières années. Parmi les jeunes Turcs, le soutien est passé de 74 % à 47 % .

L’Europe, un sujet de moquerie…

Pour certains, la faiblesse de l’Europe est devenue risible. Le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy aurait envoyé un texto déclarant que« l’Espagne n’est pas l’Ouganda», comme justification pour exiger des conditions favorables au plan de sauvetage de l’Union européenne.  Les tweeters de la nation africaine se plaisaient à souligner que l’économie de l’Ouganda  allait croître de plus de 5 % cette année, tandis que celle de l’Espagne baisse de 1,8%.

Les critiques des ambitions mondiales de l’UE ont également été moquées dans une vidéo qui a fait le buzz cette semaine. On y voit Catherine Ashton, la haute représentante de l‘Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, recevant pour la première fois le nouveau  président serbe Tomislav Nikolic, le 14 juin dernier. Au dernier moment, elle se rend compte qu’elle ne sait pas « à quoi ressemble» le dirigeant et interpelle ses collaborateurs: «Robert, venez avec moi s’il vous plait parce que je ne sais pas à quoi il ressemble».

…mais qui reste un allié fiable et solide

Les Américains pourraient être tentés de profiter du déclin de l’Europe, mais la situation européenne n’est pas aussi risible outre-atlantique. La perspective d’une implosion de la zone euro menace de tirer l’économie américaine vers le bas, et – en dépit des relations parfois difficiles avec les souhaits de l’ancien Président Jacques Chirac -l’Europe reste un allié important et fiable dans le jeu géo-stratégique.

Global Post/ Adaptation Louise Michel D. pour JOL Press

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