Site icon La Revue Internationale

B.Hourcade: «Une nouvelle étape dans le conflit israélo-iranien»

[image:1,l]

L’attentat, qui visait un bus transférant vers le terminal de l’aéroport de Bourgas 151 touristes israéliens, a entraîné mercredi 18 juillet la mort d’au moins huit personnes, dont six Israéliens et un Bulgare.

Pour Benyamin Netanyahou il n’y a pas de doute, il s’agirait d’une « offensive terroriste iranienne ». « Tous les signes mènent à l’Iran », a-t-il ajouté dans un communiqué.

Pour Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS, les conséquences de cet attentent pourraient être dramatiques.

JOL Press : Pensez-vous que l’Iran puisse être responsable de l’attentat en Bulgarie ?

Bernard Hourcade : Israël et l’Iran sont en guerre depuis 20 ans. Si l’Iran est un coupable potentiel, on ne dispose d’aucune certitude pour le moment. Le contexte de tensions dans le monde arabe a fait émerger une nébuleuse de groupes extrémistes qui auraient pu perpétrer cet attentat pour semer le chaos et traumatiser la communauté internationale.

Cependant, il est vrai que les Iraniens se sont déjà rendus coupables d’attentats en Inde, au Kenya ou en Thaïlande, mais les cibles étaient des personnalités politiques ou des diplomates. Là, il s’agit de simples touristes. Nous assistons à une escalade de violence très inquiétante au vu de ce qui se passe en Syrie. Nous n’avons pas affaire à un acte de guerre, mais à du terrorisme.

L’événement est d’autant plus important que l’Iran n’a pas commis depuis 1992 d’attentats terroristes à l’étranger. S’il est impliqué, les conséquences pourraient être très graves. Mais depuis plusieurs mois, l’Iran est observé par la communauté internationale à cause de son programme nucléaire. Lancer un attentat dans ce contexte me paraît peu probable.

JOL Press : L’Iran s’apprêterait en effet à avoir l’arme nucléaire ? Quelles seraient les conséquences pour Israël ?

Bernard Hourcade : Tout pays qui lance une politique nucléaire a une capacité militaire. Mais Israël ne craint pas le nucléaire iranien, la dissuasion israélienne serait forcément supérieure à celle que pourrait posséder l’Iran. Cependant ce qu’Israël ne veut pas, c’est que par l’acquisition de l’arme nucléaire, l’Iran devienne une puissance mondiale. La dissuasion nucléaire donne à un État une autorité et une légitimité que seul Israël possède actuellement au Moyen-Orient.

Le cœur des tensions entre les deux pays, c’est la République islamique de Mahmoud Ahmadinejad. Le nucléaire iranien ne représente pas un danger immédiat pour Israël, sauf si le pays commence à verser dans le terrorisme.

Ce qui est inquiétant avec l’attentat en Bulgarie, c’est qu’il pourrait être instrumentalisé par Israël pour justifier une attaque en Iran. Israël se venge toujours dès lors que l’on touche à son peuple. Cet attentat tombe « presque trop bien ». Ce drame arrive à un moment stratégique pour Israël.

JOL Press : Israël va-t-il se servir de l’attentat de Bulgarie pour attaquer l’Iran ?

Bernard Hourcade : Une chose est certaine, Israël va se venger, mais nous ne savons pas comment. Si Israël attaquait l’Iran, les conséquences seraient dramatiques. La situation deviendrait incontrôlable. Bien sûr la communauté internationale condamnerait l’attaque, mais ça ne serait pas la première fois… Cet attentat permettrait à Israël de rendre acceptable une intervention militaire inacceptable en Iran.

JOL Press : Sans l’aval des Etats-Unis ?

Bernard Hourcade : Israël peut se passer de l’aide américaine. Le pays veut donner l’impression qu’il domine le Moyen-Orient. Par ce conflit il s’affirmerait dans la région, c’est tout ce qu’il cherche.

Seulement, de nombreux pays s’opposeraient à cette intervention. Tout d’abord la Russie qui a signé et reconduit un accord de défense avec l’Iran depuis 1932, mais aussi la Chine, le Japon et les pays émergents, nombreux sont les pays qui ne veulent pas  qu’Israël règne en maître dans une région d’où dépendent un grand nombre d’enjeux, en particulier pétroliers.

JOL Press : Peut-on parler de guerre invisible entre Israël et l’Iran ?

Bernard Hourcade : Les deux pays sont en guerre par intermittence depuis très longtemps, mais pour l’Iran, Israël n’est pas l’ennemi n°1. L’Iran a conscience qu’il ne sera jamais leader dans le monde arabe, et son principal adversaire dans cette concurrence, c’est l’Arabie Saoudite. Avec une seule frontière qui les sépare, le Golfe persique et les enjeux géostratégiques qui en découlent.

JOL Press : Assistons-nous à une montée du sentiment anti-Israël ?

Bernard Hourcade : Tant qu’Israël donnera l’impression de ne pas vouloir régler le problème palestinien, l’opinion publique aura tendance à lui en vouloir. Il n’est pas question de remettre en cause la légitimité d’Israël, mais il est clair que le conflit israélo-palestinien est la question centrale. Ses tensions avec l’Iran lui permettent de détourner le sujet. Si l’opinion publique a peur de l’Iran, alors les combats que mèneront Israël deviendront légitimes.

Cette situation inquiète énormément les Iraniens qui craignent des conséquences de l’attentat en Bulgarie. Cet attentat est grave, il peut devenir l’étincelle d’un conflit extrêmement complexe et aux répercussions internationales.

Propos recueillis par Marine Tertrais  pour JOL Press

Quitter la version mobile