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Le plan B de la Syrie: un Etat alaouite?

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De loin, le massacre des rebelles et des civils du petit village sunnite de Tremseh, qui a eu lieu 12 juillet dernier, semble n’être qu’un énième épisode de violence dans la quête du pouvoir en Syrie.

La création d’un Etat alaouite

Mais, interviewés pas GlobalPost, quelques alliés au régime, certaines sources et experts, reconnaissent que les meurtres de Tremseh, lors desquels les forces gouvernementales ont usé d’une puissance de feu écrasante pour détruire en grande partie le village et où des témoins affirment avoir vu des militaires alaouites exécuter des dizaines de personnes, font partie d’un plan d’attaque des troupes de Bachar al-Assad visant à établir un Etat alaouite à part entière.

Les Alaouites, une minorité dominante

Etant une minorité à la tête du pays, les Alaouites, une ramification de l’islam chiite, se battent de plus en plus fort pour s’affirmer face à l’opposition majoritaire sunnite. Des sources syriennes indiquent qu’à Damas la politique se réoriente après l’échec cuisant de faire taire la rébellion qui touche le pays depuis 16 mois. Le plan B : faire fuir les Sunnites de la terre alaouite.

Vers une Syrie divisée

« Sur place on assiste de plus en plus à une balkanisation du conflit », explique un diplomate occidental basé à Damas, en référence aux guerres qui ont touché les Balkans, fracturant la péninsule en une multitude d’Etats indépendants ethniquement et religieusement. « Il n’y a plus de solution politique. C’est fini depuis longtemps. Cette bataille se fera les armes à la main. »

Attaques anti-Sunnites

Depuis les premières attaques sur les Sunnites vivant dans la terre traditionnellement alaouite des montagnes de la côte ouest de la Syrie (qui abrite les ports de Lattaquié et Tartous), les hommes de la milice alaouite, plus connus sous le nom de shabiha (malfrats), ont, ces derniers mois, intensifié leurs massacres à l’est, sur les plaines du bord de l’Oronte.

Pour les spécialistes, le plateau de l’Oronte est de plus en plus vu par le régime comme une zone tampon entre la région dominée par les Alaouites à l’ouest et les deux grandes villes sunnites de Homs et de Hama, hauts lieux de l’opposition.

Faire fuir la population sunnite

« Les massacres des villages sunnites sont fait pour nettoyer la rive gauche de l’Oronte des Sunnites, et les opérations militaires dans la zone sont organisées pour faire fuir les Sunnites à l’est », explique Haider, un Alaouite de 30 ans dont le père est un haut responsable de la sécurité syrienne basé près de Qerdaha, la ville natale de Bachar al-Assad.

Témoignage d’un fils de responsable syrien

Le jeune homme affirme avoir été présent lors de discussions entre son père et d’autres responsables des services de sécurité à propos de la « création d’un Etat alaouite de Lattaquié et Tartous jusqu’à l’ouest de Homs et de Hama ».

Il révèle par ailleurs que des rumeurs circulent, parmi les Alaouites, sur d’éventuelles ressources en pétrole et en gaz trouvées près de la côte. « Ces rumeurs nous disent que nous, Alaouites, vivront dans un Etat riche très prochainement. »

Les quartiers alaouites, seuls protégés par l’armée

Abu Bakr, activiste à Homs, une ville jadis peuplée de près d’un million d’habitants, a confié à GlobalPost que la plupart des quartiers sunnites étaient la cible de bombardements et avaient été en grande partie abandonnés, à l’exception de quelques familles restantes et des rebelles. Les quartiers alaouites sont quant à eux toujours peuplés, protégés par l’armée.

Un rituel de massacre

A Al-Qoubir, à une vingtaine de kilomètres de Hama, 78 personnes, essentiellement des femmes et enfants sunnites, ont été abattus le 6 juin 2012 par un bombardement militaire suivi d’une attaque armée et d’un massacre perpétrés par les shabiha alaouites. A Houla, à 25 kilomètres de Homs, 108 Sunnites ont été tués exactement de la même façon le 25 mai dernier : un bombardement, une attaque et un massacre des shabiha.

Les villages sunnites pris pour cibles

Tremseh, Al-Qoubir et Houla sont des villages majoritairement sunnites entourés de villages majoritairement alaouites. A chaque fois, le régime a annoncé que les personnes tuées étaient des « terroristes ». Les villages ont depuis été en grande majorité abandonnés par leurs habitants sunnites.

Une idée qui remonterait à 1997

Ayman Abdel Nour, un ancien camarade de classe de Bachar al-Assad devenu son conseiller politique avant de déserter le régime en 2007, a reconnu que l’idée de créer un Etat alaouite à part entière ne datait pas d’hier dans l’optique de la politique syrienne.

Mohammed Nasif, un ancien professeur de Bachar al-Assad devenu l’un de ses plus proches conseillers, avait commencé à parler d’un Etat exclusivement alaouite en 1997, selon Ayman Abdel Nour.

Diviser pour mieux régner

« A l’époque cette idée m’avait fait rire mais maintenant que le gouvernement a poussé le pays à la guerre civile… Ces massacres ne sont pas perpétrés par erreur. Ils sont faits pour diviser la Syrie », continue Ayman Abdel Nour, maintenant basé à Dubaï et travaillant pour le site d’actualités All4Syria.

« Plusieurs généraux parlent ouvertement de la création d’un Etat alaouite désormais », confie un expert sur la Syrie basé à Damas qui connait bien le régime et souhaite rester dans l’anonymat pour s’exprimer librement.

Assad ne parle pas encore de son « Plan B »

« Pour l’heure, Assad continue de parler de l’Etat syrien car c’est ce qui lui donne sa légitimité. Mais les membres du gouvernement pensent de plus en plus à la création d’un Etat alaouite comme une issue possible. »

La fuite des Sunnites jusqu’à Damas

La déportation massive des Sunnites a même atteint les environs de Damas. Après la semaine d’intenses bombardements sur Duma, qui comptait jadis un demi-million de résidents majoritairement sunnites, le Comité international de la Croix-Rouge a seulement évacué 26 personnes le 1er juillet, et apporté nourriture à quelques 600 habitants restants.

Alors que les pertes s’accumulent des deux côtés, la lutte entre les Sunnites, qui représentent 74% de la population syrienne, et la minorité alaouite, qui ne représente que 13% de la population mais domine au sein de l’élite, devient de plus en plus amère.

« Des terroristes » selon les Alaouites

« Nous ne pouvons plus les supporter dans notre pays, tous ces terroristes », déclare une jeune femme près de Lattaquié, en référence à l’opposition sunnite. Son frère, militaire, ajoute : « S’ils veulent vivre sous nos règles, très bien. Sinon, qu’ils retournent en Arabie Saoudite ou on va les exterminer ».

Un membre du parti Baas se confie

Dans un rare élan d’opposition au dogme du régime, un membre du parti Baas au pouvoir a confié à GlobalPost que les massacres de Homs et de Hama avaient été perpétrés « par des shabiha alaouites fanatiques ». « Dans les années 80, le conflit opposait les Baassistes et les Frères musulmans. Aujourd’hui, c’est un combat entre les Sunnites et les Alaouites. »

Le CNS pas aussi tranché

Radwan Ziadeh, porte-parole de l’opposition au Conseil national syrien (CNS, créé lors de la révolte syrienne de 2011), dénonce pourtant les attaques contre la minorité alaouite sur les réseaux sociaux. Il reproche aux pouvoirs internationaux « d’envoyer un message au peuple syrien que le choix se fait exclusivement entre Assad ou la guerre civile », au lieu d’agir suite aux récents massacres.

Un régime intouchable ?

Selon Ayman Abdel Nour, ce qui participe grandement au chaos et aux violences qui embrasent la Syrie, c’est la conviction personnelle de Bachar al-Assad que son régime est intouchable.

« Il croit avoir été choisi par Dieu pour diriger la Syrie, qu’il a le droit de faire ce qu’il veut, qu’il est au-dessus de son peuple et qu’il n’a besoin de l’avis de personne. Il se croit plus intelligent que les autres dirigeants arabes, plus jeune, plus au fait de tout. C’est pour cela que je suis parti, parce qu’on ne peut travailler qu’avec un humain, pas un dieu. »

GlobalPost / Adaptation Amélie Garcia – JOL Press

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