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A Alep, les rebelles font de la résistance sur la 10e rue

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Chronique de la bataille d’Alep

Avant la guerre, le quartier de Saladin était peuplé par près de 20 000 personnes. Maintenant, seuls des militaires, quelques milliers de combattants insurgés et une poignée de vieillards têtus hantent encore les ruines de cette zone d’Alep. 

Après plus de 15 jours de combats continus, le quartier de Saladin, centre névralgique des insurgés d’Alep, n’est plus qu’un triangle vide et grêlé, flanqué d’une école en ruines. L’établissement scolaire sert à la fois de centre de commandement et d’hôpital de campagne pour les combattants rebelles.

La bataille d’Alep, ville la plus peuplée de Syrie, a commencé dans ce quartier le 19 juillet 2012, premier jour du Ramadan, quand quelques insurgés s’y sont introduits discrètement, aux premières lueurs de l’aube.

Ces hommes armés venus de la campagne d’Alep, qui ont trouvé dans un premier temps refuge dans les mosquées du quartier, espéraient recevoir le soutien d’hommes prêts à se battre contre le régime du président syrien, Bachar al-Assad. Un scénario qui avait échoué à Damas, d’où les rebelles ont finalement été chassés avec pertes et fracas par l’armée sans parvenir à déclencher d’insurrection populaire.

La 10ème rue : là où tout se joue

Deux semaines plus tard, c’est la rue principale de Saladin, la 10ème rue, qui est devenue la ligne de front principale de cette bataille-clé pour l’avenir de la Syrie.

« C’est cette rue qui sépare les troupes régulières de l’Armée Syrienne Libre. » nous déclare le major Wasil Aoub, un ex-pilote de l’armée ayant fait défection et membre du Conseil militaire rebelle d’Alep. « C’est ici que nous devons combattre. Pour combien de temps je ne sais pas. Deux jours, trois jours. Peut-être même des semaines ou des mois. »

Le drapeau de la République arabe syrienne flotte sur le quartier voisin de Hamdania. C’est le drapeau officiel de la Syrie, celui de l’armée régulière donc. Les tanks de celle-ci déboulent régulièrement sur la route principale qui sépare les deux quartiers.

Mais les insurgés sont déterminés à tenir leur ligne. Des petits groupes en armes, issus de villages de la campagne d’Alep durement touchés par le conflit, ont établi des avant-postes dans les bâtiments en ruine.

« Il y a deux semaines de cela, nous étions des civils. Nous avons acheminé des armes en ville parfois pièce par pièce. Le reste, nous l’avons volé à l’armée. » nous explique Abou Abdou, un imam membre de la rébellion.

Des pertes importantes

Installé dans l’école transformée en base militaire, il évoque ses souvenirs. « J’étais dans cette école en 1987. » dit-il en promenant son regard sur les murs de l’établissement. Seule une ampoule semble fonctionner dans tout le bâtiment.

Selon lui, on compte environ dix tués par jour à Alep. Principalement des civils. Mais l’Armée Syrienne Libre dit cela à chaque fois, et à chaque fois, il est impossible de vérifier ces chiffres.

Lundi, l’armée a bombardé le centre de commandement. Une pluie d’acier, de flammes et de débris. Pour les rebelles, les militaires ont volontairement visé les hommes qui évacuaient les blessés de l’hôpital de campagne.

Deux rebelles passent dans la pénombre, tenant l’un de leurs camarades, inconscient. Tous sont adolescents. Endoctrinés et fanatiques ou épris de liberté, nul ne sait. Les médecins se précipitent, lampe torche à la bouche. Tandis que le jeune blessé semble revenir à la vie, un autre garçon, touché lui aussi, perd à son tour conscience.

Ce fut une journée de bombardements, rythmée par le vrombissement des moteurs des MIG du régime, qui revenaient encore et encore. « Ils ne lâchent pas que des bombes. » nous déclare l’un des combattants, choqué, dans l’incrédulité générale.

L’armée fait bien plus que tenir

Car évidemment, les pilotes avaient une cible qu’ils comptaient bien atteindre. Et pas en lâchant des fleurs. C’est en fait une mosquée un peu plus loin dans le quartier qui était visée. Située dans une petite rue commerçante, elle servait également de base à l’ASL. Nous nous rendons sur place.

Les dégâts sont importants, et tout le bloc est recouvert de pièces de métal tordues et de verre brisé. Les habitants errent dans la rue, vieillards, enfants. Un barbier nous interpelle, nous demandant si nous voulons une coupe de cheveux, avant de nous montrer sa boutique détruite avec un sourire sarcastique. « Elle est très belle maintenant ! »

Depuis, l’école elle aussi, a été largement bombardée. Les rebelles disent qu’ils l’ont finalement abandonnée. Repli stratégique. Mais si l’on en croit les agences de presse syriennes ou iraniennes, c’est l’armée qui en a chassé l’ASL avec une attaque au sol. On parle de 150 tués chez les insurgés. D’un côté comme de l’autre, les informations sont très dures à vérifier. Toujours est-il que la rébellion semble malgré tout encore tenir la 10ème rue.

Le long de la ligne de front, les deux armes les plus lourdes que semblent posséder les rebelles sont deux petits mortiers, inclinés presque à la verticale pour que leurs obus tombent juste de l’autre côté de la rue.

La rébellion saignée à blanc ?

A Saladin, la rébellion semble constituée de cinq petits bataillons vaguement rassemblés sous la bannière de la Brigade du Tawhid. On semble bien loin de l’insurrection populaire générale espérée par l’ASL. Ces bataillons revendiquent malgré tout 8 blindés tués et 150 soldats syriens abattus.

Là encore, invérifiable. Car si nous avons pu constater la présence d’un tank détruit sur la ligne de front, il est difficile de croire que les quelques tireurs rebelles aient pu abattre un nombre si élevé de soldats syriens.

Côté rebelle, les rangs ont besoin d’être regarnis par des renforts presque tous les soirs, de ce que nous avons pu observer. Il faut dire que dans ces rues, il y a mille et une façons d’être tué ou mutilé.

Abou Sayed, 31 ans, en a fait l’amère expérience. « Je suis un homme détruit. » nous dit-il. En avril, son frère de 17 ans aurait été abattu par les services de sécurité syriens au cours d’une manifestation à Saladin. Lui-même aurait passé des mois en détention, bien avant la mort de son frère. Une fois libéré, il a rejoint un groupe armé à l’extérieur de la ville. Il n’était pas là quand son frère a été abattu.

Lors des premiers combats à Saladin, il a été blessé à la jambe. Maintenant, il clopine tant bien que mal au milieu des ruines. Retiré des combats, il se concentre sur son jeûne du Ramadan. Les combattants rebelles, toutefois, reconnaissent leur camarade à son boitement

Une ville détruite remplie de réfugiés

Pour comprendre la portée des combats à Alep, il faut aller dans les écoles, l’université et les parcs dans le centre de la ville. Ils sont inondés de réfugiés.

Un coordinateur du Croissant-rouge nous explique la situation : « Aujourd’hui, nous avons 1300 personnes ici. » Ici, c’est le dortoir d’une école de la ville. Les enfants se bousculent dans les couloirs et des familles entières occupent les petites chambres.

A l’extérieur du parc, Abou Laoud est installé avec 35 membres de sa famille. Au début, il s’était réfugié à Alep pour fuir les combats à Damas. Et maintenant que Damas semble relativement pacifiée, c’est Alep qui s’embrase. Manque de chance.

Sur la 10ème rue, la ligne de front est toujours statique. « Nous avons brûlé nos vaisseaux. » nous confie Abou Abdou. Traduire : nous ne bougerons pas d’ici. Ou bien, nous mourrons ici. C’est selon.

Global Post / Adaptation Charles El Meliani pour JOL Press

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