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Du thé et des bombes: la vie avec une unité rebelle

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Deux coups de feu résonnent dans le silence de la forêt. Les tireurs se cachent immédiatement derrière des rochers. Six cent mètres plus loin, deux soldats du régime sont à terre.

Ces guerriers pères de famille

Ces balles précieuses, une denrée rare parmi les rebelles syriens, ont atteint leur cible.

Quelques minutes plus tard, de nouveaux tirs se font entendre. Nous restons calmes et silencieux, et tentons d’en analyser la provenance. Un chien errant et effrayé court entre les arbres. Petit rire de soulagement devant cette invasion inattendue.

Le premier tireur s’appelle Khalid, un guerrier chevronné entraîné par le régime syrien à Damas. Depuis qu’il s’est retourné contre son gouvernement, en désertant il y a 9 mois, Khalid se vante d’avoir déjà tué 55 hommes du président Bachar al-Assad. Ce joyeux père de cinq enfants n’a vraiment pas la tête d’un assassin.

Ce que son jeune homologue, Jamal, n’a pas en expérience, il le compense en enthousiasme et en confiance en lui. Etudiant en science politique avant la révolution, Jamal a appris à utiliser son arme lorsqu’il a rejoint les combattants de la liberté, dans les montagnes de son village natal, Jabal al-Zawia, après que son université ait fermé. A 4 dollars la balle, son entraînement a été réduit, mais il a rapidement appris les ficelles du métier.

« L’hospitalité syrienne est impitoyable »

En mai dernier, je voyageais avec le photographe Finlandais Niklas Meltio. Nous avions suivi cette unité rebelle de 80 hommes durant une semaine. Après avoir traversé plusieurs villes et avoir eu des difficultés à trouver un endroit pour nous accueillir, nous avons fini par atterrir ici. Obtenir la confiance des locaux est difficile dans un pays ou les informateurs du gouvernement sont partout, mais obtenir de l’Armée syrienne libre qu’elle accepte de nous faire prendre d’énormes risques pour nous permettre de suivre leur conflit l’a été beaucoup plus.

En tant que femme, j’ai eu du mal à les convaincre de mes aptitudes. Une bonne connaissance de leurs armes et de la manière de les utiliser a certainement joué en ma faveur, mais de nombreuses heures d’argumentation et encore plus de tasses de thé m’attendaient encore. L’hospitalité syrienne est impitoyable.

Le leader du groupe était connu sous le nom de Abou Mosaad. La plupart des hommes, particulièrement ceux qui tenaient un rang plus élevé, étaient connu sous le nom arabe de « Abou », qui signifie « père de », suivi du nom de leur fils ainé. Une technique qui ne sert pas seulement à imposer une marque de respect, mais aide à préserver l’anonymat de ceux qui ne sont pas encore sur la liste des personnes recherchées par le régime.

Au cœur d’une base des combattants de la liberté

Abou Mosaad était doux, affable et profondément religieux. Il avait une barbe bien taillée et un visage doux avec un air autoritaire qui imposait immédiatement le respect. Nous avons tout de suite été pris d’affection pour cet homme et lui avons rapidement attribué le surnom de Fidel, pour sa ressemblance avec le charismatique qu’était Fidel Castro lorsqu’il était plus jeune. Parmi les hommes sous ses ordres, de nombreux déserteurs des forces de police et de l’armée, comme Khalid ou des étudiants comme Jamal, mais également des ingénieurs, fermiers, chauffeurs, professeurs ou encore pères de famille.

La base de l’unité se composait d’une large cour ombragée par un arbre qui produit de généreuses baies blanches. Au fond de la cour, deux grandes salles étaient réservées à la prière et au repos. Deux salles plus petites étaient utilisées en cellules de prison et une troisième servait de réserve pour l’armement. Il y avait déjà un prisonnier lorsque nous sommes arrivés. Ibrahim Wanoose, chauffeur de l’un des officiers de Bachar al-Assad près de Homs. De nombreux autres allaient remplir les cellules durant les semaines suivantes.

Cette base était située à la périphérie d’un village pittoresque où la plupart des familles des hommes vivaient. Situé sur une montagne, il surmontait les autres villages environnant et les plantations d’oliviers. Tout autour, la région était sous le contrôle des combattants de la liberté.

La Vraie Armée syrienne libre

Le nom « Armée syrienne libre » est rarement utilisé ici. Sans doute à cause de l’isolement des groupes de rebelles dans certaines parties du pays, mais pour beaucoup, il s’agit également d’une prise de position contre ceux qu’ils voient plus comme des déserteurs que des chefs et qui ont quitté la Syrie pour établir ce mouvement de résistance officielle de l’autre côté de la frontière turque.

« Ceux qui protègent le peuple syrien sont la vraie Armée syrienne libre, pas ceux qui sont assis à l’étranger et qui se protègent eux-mêmes, » expliquait Abou Mossad. « Nous travaillons indépendamment. Notre objectif est très clair : protéger les civils. Nous travaillons avec tous ceux qui partagent notre volonté. »

Des centaines de maisons avaient déjà été incendiées dans la région, après les attaques par les soldats du gouvernement, mais pendant plus d’un mois, les affrontements ne s’étaient déroulés que dans la campagne et les villages environnants. Certains réfugiés qui avaient fui vers la Turquie étaient alors revenus lentement pour reconstruire leur maison.

Une femme parmi les guerriers

La vie des femmes était dirigée par un certains nombres de règles. Après plusieurs années au Moyen Orient, j’étais déjà accoutumée à porter des foulards et de longues vestes, mais il ne se passait aucune journée sans que je ressente une pression afin de porter l’abaya complet (un voile noir qui couvre l’intégralité du corps et de la tête). L’idée qu’une femme puisse travailler ou même penser par elle-même est complètement étrangère ici et c’était toujours une lutte pour rappeler que j’étais là pour travailler et que j’étais capable de faire mon travail comme un homme, pourvu que je ne sois pas inhibée par une longue, noire et étouffante robe.

De nombreux hommes dormaient sur la base et chaque nuit, l’un d’entre eux devait effectuer plusieurs rondes. La plupart étaient mariés et rentraient occasionnellement passer la soirée avec leur famille. Tous étaient là à l’appel. Leurs vies étaient désormais engagées dans la bataille contre le régime de Bachar al-Assad et leurs vies antérieures restaient en suspens.

L’unité s’est ensuite placée sous le commandement central de Ahmed al Sheikh, mieux connu sous le nom de Abou Issa. Il était en charge d’un mouvement de 6 000 hommes, environ 2 000 d’entre eux étaient armés. Ce groupe semblait mieux organisé et définitivement plus uni que les autres groupes que nous avions rencontrés et qui semblaient passer plus de temps à se battre les uns contre les autres que contre les forces gouvernementales.

Le quotidien des rebelles syriens

Niklas Meltio dormait sur la base, avec les hommes tandis que j’étais emmenée dans la maison d’Abou Mossad, afin de rester avec sa mère, sa femme, ses sœurs et ses quatre enfants.

Tous les jours, des missions conduisaient les hommes à construire des bombes destinées aux chars et véhicules de l’armée, où à partir par petites unités de snipers constitués de 3 ou 4 guerriers. Pour accompagner Khalid et Jamal, Abou Reese et Ahmed, un jeune professeur de musique. Les deux portaient des Kalachnikov.

Abou Reese avait, grâce à nous, obtenu le malheureux surnom de Docteur Muznun, où le médecin fou, dans la mesure où il passait son temps à soigner les hommes et les prisonniers pour des blessures mineures et était régulièrement vu se promenant autour de la base avec une seringue entre les mains.

Ahmed quant à lui, avec son bavardage constant et sa grande gamme de chansons hilarantes, semblait réaliser ses missions comme s’il partait en pique-nique.

« Je suis plus un parleur qu’un travailleur, » nous disait-il un matin alors que nous attendions qu’une bombe posée sur le réservoir d’un char du régime explose au son de la bande originale de Titanic.

Les versets du Coran accompagnent les combattants de la liberté

Mais aujourd’hui, il est plus réservé.

Il semble même nerveux au regard de l’isolement de cette mission dans la forêt. Les forces de soutien sont loin derrière. Alors qu’il tient fermement son arme, il ne chante plus que les versets du Coran.

Khalid et Jamal tirent quelques coups, annonçant ainsi qu’ils ont eu trois soldats de plus, avant de partir pour une course folle à travers les arbres. Après un bon kilomètre de course, deux motos nous attendent. Pas vraiment une escapade à toute allure, particulièrement lorsqu’il faut 15 minutes de discussions pour décider du moyen de placer six personnes sur deux engins, et surtout de la manière qu’il faudra employer pour qu’on me transporte sans être touchée par un homme.

Alors que les hélices d’un hélicoptère résonnent au-dessus de la cime des arbres, une décision rapide est prise et je suis autorisée à m’accrocher à l’arrière d’une moto tout en me retenant à Niklas Meltio.

Durant les semaines suivantes, nous les accompagnons lors de nombreuses missions. Sous le feu des tirs d’hélicoptères, Abou Mosaad, récitera de nombreux versets du Coran.

Global Post / Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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