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F. Balanche: «Un gouvernement provisoire en Syrie est peu probable»

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« Le principe est simple : Bachar al-Assad doit partir, » a déclaré François Hollande face à plus de 200 diplomates venus écouter son discours à l’Elysée, lundi 27 août.

Pour assurer une alternative au régime en place, le chef de l’Etat a demandé à l’opposition syrienne « de constituer un gouvernement provisoire, inclusif et représentatif, qui puisse devenir le représentant légitime de la nouvelle Syrie. » Il va même plus loin en affirmant déjà que « la France reconnaîtra le gouvernement provisoire de la nouvelle Syrie dès lors qu’il aura été formé. »

Mais la formation d’un tel gouvernement n’est pas chose évidente en temps de guerre et de discorde au sein même des principaux mouvements d’opposition au régime.

Pour Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen Orient, une nouvelle tentative de formation d’un gouvernement de transition – ce serait la troisième – aurait toutes les chances d’échouer.

En cause : une opposition de personnes plus que d’idées, et une multitude d’enjeux qui se croisent pour semer la discorde entre les personnalités qui pourraient éventuellement reprendre les rênes de la Syrie de l’après-Assad.

L’issue du conflit serait-elle alors entre les mains de l’Armée syrienne libre ? Une dictature militaire pourrait-elle remplacer une autre dictature militaire ?

Quelles sont aujourd’hui, au sein de l’opposition syrienne, les forces en présence et quel mouvement pourrait se détacher afin de devenir un réel interlocuteur d’opposition au régime ?

Fabrice Balanche : L’opposition syrienne est extrêmement divisée. Il y a tout d’abord le Conseil national syrien (CNS), qui a été constitué grâce au soutien de la France, des Etats-Unis et de la Turquie, qui ont voulu créer une alternative au régime de Bachar al-Assad. Mais aujourd’hui, le CNS ne peut pas constituer une alternative puisqu’il n’y a pas de tête qui émerge pour diriger le mouvement.

Manaf Tlass, fils de l’ancien ministre de la Défense et général de l’armée syrienne pourrait éventuellement représenter cette alternative. Il a fait défection en juillet et a l’aval des Français puisque sa sœur francophone, Nahed Tlass Ojjeh, vit en France et est largement introduite dans les milieux politico-médiatiques de Paris. Actuellement, Manaf Tlass est en Arabie Saoudite afin de rencontrer les Saoudiens, qui sont, comme tout le monde le sait, le plus grand soutien matériel et financier des rebelles syriens. Malgré tout, il ne fait pas consensus auprès du CNS car il représente l’ancien régime de Bachar al-Assad. Il ne fait également pas l’unanimité auprès de l’Armée syrienne libre car il a fait défection très tard.

Quelles sont les personnalités qui auraient la légitimité et le pouvoir pour constituer ce gouvernement ?

Fabrice Balanche : Au sein du CNS, très peu de personnalités peuvent représenter réellement la Syrie actuelle. La plupart de ses membres sont exilés depuis vingt ou trente ans. Ils sont en outre dominés par les Frères musulmans qui ont quitté la Syrie dans les années 1981-1982.

L’Armée syrienne libre, autre organe majeur d’opposition, est constituée de jeunes de banlieues et de déserteurs, qui ne sont pas plus unis. Trois personnalités majeures de l’Armée syrienne libre s’arrachent le pouvoir. Il y a d’abord le colonel al-Assad (aucun lien de parenté avec le Président), exilé en Turquie ; le général el-Sheikh, actuellement entre le Liban et la Turquie et qui ne reconnaît pas le colonel al-Assad pour une question de grade dans l’armée; et puis un troisième général, à l’origine de l’offensive d’Alep. Il est le seul à être actuellement en Syrie et se considère donc comme le plus légitime.

Chacun des membres de l’opposition essaye de tirer la couverture à lui et, dans la plupart des cas, le problème d’entente n’est pas un problème idéologique mais bien un problème de personnes.

L’opposition syrienne peut-elle tout de même aboutir à la création d’un gouvernement ?

Fabrice Balanche : Il faut savoir qu’il s’agit déjà de la troisième tentative de création d’un gouvernement de transition. Au printemps, un homme d’affaires syro-saoudien avait fait une première tentative qui s’est soldée par un échec.

En juillet dernier, Haytham al-Maleh, défenseur des droits de l’Homme musulman de 80 ans avait fait une deuxième tentative.

Aujourd’hui, c’est le CNS qui réfléchit car, comme François Hollande en a témoigné lors de son discours, l’opposition syrienne ne peut être soutenue que si elle est unie. Ce qui n’est vraiment pas le cas aujourd’hui.

Pourtant le Conseil national syrien est aujourd’hui accueilli à l’Elysée. Serait-il considéré, comme lors du conflit en Libye, comme l’opposition la plus légitime aux yeux des Occidentaux ?

Fabrice Balanche : Dans le cas libyen, il y avait d’avantage de consensus autour du Conseil national de transition. Accueillir aujourd’hui le CNS est une erreur puisqu’il ne représente que les exilés de Syrie et non les Syriens de l’intérieur. La France l’a d’ailleurs compris et le ministère des Affaires étrangères a pris ses distances vis-à-vis de ses membres.

Dans tous les cas, ce n’est certainement pas le CNS qui changera le cours du conflit syrien. L’Armée syrienne libre sera bel et bien victorieuse de cette guerre et arrivera, dans quelques mois voire dans quelques années, à faire tomber le régime en continuant à se battre et en parvenant à affaiblir le régime.

Dans le cas d’une victoire de l’Armée syrienne libre, quel visage aurait la nouvelle Syrie ?

Fabrice Balanche : En clair, une dictature militaire sera remplacée par une autre dictature militaire. Et puisqu’en Syrie, comme dans de nombreux pays arabes, l’armée cultive un profond mépris pour les civils, il n’y aura pas de transfert de pouvoir à un autre gouvernement.

Pour ce qui est du régime actuel, de la même manière que les Kurdes contrôlent déjà le nord-est de la Syrie pour y former une sorte de Kurdistan syrien, les alaouites se réfugieront sur la côte ouest et formeront leur Etat alaouite.

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